Le projet minier du Lac Barrière : quelle place pour la consultation des communautés autochtones ?

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Par Fatoumata Kaba pour la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval

En janvier 2017, les Algonquins du Lac Barrière se sont opposés à la décision du gouvernement du Québec d’octroyer un permis d’exploration minière à la Société Copper One. Pour cause, leur droit constitutionnel d’être consulté n’a pas été respecté, droit qui a été défini par la Cour suprême du Canada notamment dans les décisions Nation Haïda c. Colombie-Britannique, Première nation crie Mikisew c. Canada et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (1) ¨.

C’est dans ce contexte que le gouvernement du Québec a suspendu la validité de certains « claims » au motif que l’accès au site minier aurait pu être bloqué par la communauté autochtone du Lac Barrière. Par la suite, la minière Copper One a déposé une demande en justice visant à forcer le gouvernement à lui délivrer les permis de déboisement et autres requis pour ses activités d’exploration minière.

Le droit à la consultation des communautés autochtones est protégé par le droit constitutionnel canadien

Le droit à la consultation des peuples autochtones, et les accommodements à leurs préoccupations dans certains cas, se traduisent par l’obligation gouvernementale de consulter les communautés autochtones. Cette obligation prend sa source dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (2) qui reconnaît les droits ancestraux des peuples autochtones. La tenue d’une consultation est obligatoire pour toute prise de décision par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pouvant avoir un effet négatif sur les territoires que les peuples autochtones occupent ou utilisent traditionnellement. Donc, la consultation « ….découle de la nécessité de protéger les intérêts autochtones » (3) et devient ainsi une mesure d’information et de négociation entre les peuples autochtones et un tiers afin d’obtenir leur soutien pour le développement de leur territoire et bénéficier des avantages qui en découlent. En résumé, les règles qui encadrent la consultation des communautés autochtones sont les suivantes :

  • La communication par l’État d’information sur la nature, la localisation géographique, les impacts possibles du projet minier à l’étape de la planification et pour la suite ;
  •  Les communautés autochtones doivent avoir la possibilité de participer de façon active aux discussions, de donner librement leur avis et de faire des contre-propositions ;
  • Les négociations doivent être menées de bonne foi par l’État et les peuples autochtones. Si la consultation révèle que le projet ne sera pas en mesure d’éviter certains effets préjudiciables sur les droits autochtones, des mesures d’accommodement pourront être prises.

Ces obligations de consultation sont en partie reprises par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) (4) qui par ailleurs va plus loin en retenant le droit au consentement des peuples autochtones en respectant leurs coutumes. Cette Déclaration est non contraignante ; elle représente un engagement politique. Depuis mai 2016, le Canada appuie la Déclaration pleinement et sans réserve (5).

Certaines lois québécoises sont lacunaires quant aux obligations constitutionnelles de consulter les communautés autochtones

L’analyse de la législation minière québécoise, au regard du devoir constitutionnel de consulter les communautés autochtones, révèle une certaine insuffisance en la matière. En effet, l’activité minière du Lac Barrière aura des impacts négatifs possibles sur le territoire traditionnel des Algonquins et ses ressources (eau et faune). Aussi, la tenue de la consultation était obligatoire dans ce cas. Pourtant des dispositions de la Loi sur les mines (6) ont permis au projet d’exploration minière du Lac Barrière d’échapper à l’obligation de consultation du gouvernement.

D’abord, dans la Loi sur les mines , il y a seulement trois articles pertinents qui nous apparaissent insuffisants pour répondre aux obligations du gouvernement. Ces articles sont lacunaires car ils ne prescrivent que de lire la Loi sur les mines en harmonie avec le droit à la consultation des peuples autochtones et la conciliation des droits de ceux-ci avec les autres usages du territoire.

Le projet de politique de consultation du gouvernement du Québec, prévu par la troisième disposition de la Loi sur les mines, contient à son tour plusieurs énoncés contestables. Par exemple, dans la présentation du projet de politique, on considère d’emblée que l’exploration minière n’a pas d’impact sur le territoire. Ce qui ne se vérifie pas d’après des observations sur les sites miniers (7). Ensuite, la consultation n’est pas automatique et n’est pas réalisée avant l’octroi des titres miniers. Après la réception d’une demande de permis d’exploration, le Québec fait une évaluation préliminaire afin de voir si une consultation est nécessaire et le cas échéant, préciser son étendue. Il relève donc de la seule discrétion du gouvernement du Québec de décider de la pertinence ou pas de la tenue d’une consultation. La conséquence est que la majorité des projets miniers ne sont pas soumis à une consultation.

De plus, la loi encadre les activités d’exploration minière au moyen d’un système de désignation sur carte, ou de « claim », octroyé à un promoteur de façon unilatérale et sans intervention du gouvernement. C’est seulement après l’octroi des claims que la société est encouragée à prendre contact avec le gouvernement provincial pour avoir des informations sur les communautés autochtones qui peuvent être touchées par l’exploration minière. C’est d’ailleurs une simple invitation, et non une obligation.

Enfin, il est recommandé au promoteur d’informer les peuples autochtones de l’acquisition du claim seulement dans les 60 jours suivant l’inscription du claim (8). Le claim est un titre de concession qui confère l’exclusivité de la prospection et un accès prioritaire à l’exploitation si celle-ci est autorisée et rentable.

À travers ces dispositions, il appert que la consultation des peuples autochtones avant l’octroi de droits miniers est plus qu’improbable dans le contexte minier québécois. Pourtant, ailleurs au Canada, tel qu’au Yukon (9), le régime d’enregistrement automatique des claims qui ne permet pas de réaliser une consultation préalable – comme cela se fait au Québec – a été déclaré inconstitutionnel. Au regard de l’analogie avec la situation au Québec, on constate qu’une partie importante de Loi sur les mines du Québec est exposée à des débats constitutionnels. L’exploration minière du territorial ancestral des communautés autochtones du Lac Barrière sans leur consultation est un cas important à ce propos. La communauté étant intervenue dans l’action judiciaire entreprise par la société minière Copper One contre le gouvernement, le dossier est définitivement à suivre…

En guise de conclusion, on retient que le droit minier québécois comporte des lacunes au regard des obligations constitutionnelles et des droits reconnus aux Autochtones en matière d’obligation de consultation et ce, malgré la réforme du régime miner québécois en 2013.


(1) Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 RCS 511 ; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 RCS 388 ; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 RCS 550.
(2) Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3 reproduite dans L.R.C.1985, app. II, no 5.
(3) Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 RCS 650, par 33.
(4) Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, Rés AG, Doc off AG NU, 61e sess, Doc NU A/RES/61/295 (2007), articles 18, 19 et 32 principalement.
(5) Gouvernement du Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en ligne : www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1309374407406/1309374458958#a2 (Date de consultation : 10/07/2017).
(6) Loi sur les mines, LRQ, c M-13.1.
(7) Nigel Bankes et Cheryl Sharvit, Aboriginal Title and Free Entry Mining Regimes in Northern Canada, Northern Minerals Program Working Paper no. 2, Ottawa, Canadian Arctic Resources Committee, 1998 à la p 6 et 12.
(8) Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Projet de Politique de consultation des communautés autochtones propre au secteur minier, 2015, aux pages 7 à 9. Soulignons que ce document est toujours un projet aujourd’hui.
(9) Ross River Dena Council v. Government of Yukon, 2012 YKCA 14 (CanLII).


Fatoumata Kaba est étudiante au doctorat à la Faculté de droit de l’Université Laval à Québec et étudiante chercheure invitée de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement. Fatoumata Kaba est titulaire d’une maîtrise en droit des Autochtones de l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Son projet doctoral s’intéresse à la question de l’exploitation minière et des droits des peuples autochtones en droit canadien, régional africain et international, ainsi qu’à celle de l’autonomie gouvernementale autochtone. Ses travaux de recherche sont dirigés par la Professeure Geneviève Motard.


Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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