La négociation pour protéger les océans s’est rouverte à l’ONU

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Par Lorène Lavocat pour le média environnemental français Reporterre

Photo : Unsplash

La négociation visant l’élaboration d’un traité pour protéger les deux tiers de nos océans s’est ouverte le 25 mars au siège des Nations unies, à New York. L’objectif est d’enrayer le rapide déclin de la biodiversité marine. Reporterre vous présente les 5 clés de la discussion.

Actualisation – Mercredi 27 mars 2019 – Les négociations sur la haute mer ont repris lundi 25 mars à New York sous l’égide de l’ONU et dureront jusqu’au 5 avril. La session inaugurale s’était tenue il y a six mois, au même endroit. Désormais, les négociateurs disposent d’un premier texte de travail.

Article original publié le 4 septembre 2018 :

Une négociation historique pour protéger les océans s’ouvre à l’ONU

Pour la première fois, une négociation visant l’élaboration d’un traité pour protéger les deux tiers de nos océans s’ouvre ce mardi 4 septembre au siège des Nations unies, à New York. L’objectif est d’enrayer le rapide déclin de la biodiversité marine. Reporterre vous présente les 5 clés de la discussion.

Qu’est-ce qui n’appartient à personne, mais que tout le monde convoite ? Un trésor, répondrez-vous, et vous aurez raison. Berceau de la vie, la haute mer recouvre la moitié de notre planète, abrite une biodiversité exceptionnelle et encore largement méconnue, fournit protéines, énergie et minéraux, absorbe la chaleur, stocke plus d’un quart des émissions de carbone liées aux activités humaines, produit près de la moitié de l’oxygène que nous respirons… mais ne bénéficie d’aucune protection, ou si peu.

Pour remédier à ce vide juridique abyssal, une seule solution : la négociation ! Après plus de dix ans de discussions au sein de l’ONU, une conférence intergouvernementale s’ouvre enfin à New York ce mardi 4 septembre. Pendant deux semaines, diplomates, experts et représentants des États vont plancher sur un futur traité pour la haute mer, aussi appelée « eaux internationales », car se trouvant au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des pays. L’objectif est de s’accorder, d’ici à 2020, sur « un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durables de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des juridictions nationales »stipule la résolution onusienne.

« L’actuel système de gouvernance de la haute mer est faible, fragmenté et inadapté pour répondre aux menaces qui pèsent désormais sur nous au XXIe siècle en conséquence du changement climatique, de la pêche illicite et de la surpêche, de la pollution plastique et de la perte des habitats, résume Peggy Kalas, coordinatrice de la High Seas Alliance, un réseau constitué de plus de 40 ONG. Il s’agit là d’une occasion historique de protéger la biodiversité et les fonctions de la haute mer par des engagements juridiquement contraignants. »

Car depuis l’adoption de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1982, peu a été fait au niveau mondial pour nos océans. La cause de la planète bleue semblait perdue dans les méandres de la diplomatie mondiale… jusqu’à aujourd’hui. Alors, énième raout international ou occasion historique ? Voici, en cinq points, ce que l’on peut attendre de ces négociations.

Berceau de la vie, la haute mer recouvre la moitié de notre planète, et représente les deux-tiers des océans.

1. Un « accord de Paris » pour les océans

« Il y a 30 ans, on ne connaissait rien de la haute mer, remarque Glen Wright, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Depuis une décennie, on découvre un grand potentiel de biodiversité, des écosystèmes marins extrêmement riches. Mais il reste tant à faire : on connait moins bien nos océans que la surface de la lune. » Chaque année, 2.000 nouvelles espèces, dont 150 poissons, sont décrites. Malgré cela, seuls 5 % de nos océans auraient été explorés de façon systématique, souligne le rapport Census of Marine Life.

Sous l’effet conjugué des pressions humaines — pêche, extractivisme, changement climatique, acidification des océans — cette biodiversité est gravement menacée. Parmi les poissons pélagiques de grande pêche comme les thons, espadons, sardines, requins, il ne resterait que 10 % de la biomasse présente au début du XXe siècle. Et« nombre d’êtres vivants disparaissent avant qu’on les ait découverts », ajoute le chercheur. D’où l’urgence d’agir, comme l’expliquait à Reporterre le juriste Julien Rochette en 2016.

« C’est la première fois que 141 pays se mettent à la table des négociations, relève Peggy Kalas. Il n’y a pas encore d’entente sur les mesures à prendre, mais il y a un consensus quant à l’urgence d’agir. » Après de longues années de discussion, des États au départ très réticents, comme la Russie ou les États-Unis, seront finalement présents à New York. Rien ne dit qu’ils signeront le traité final, mais c’est un premier pas essentiel, d’après la militante. « Il n’y a plus d’excuse, nous avons les informations, nous avons l’occasion d’agir… nous ne pouvons pas la manquer. »

Un avis partagé par Sandra Schöttner, de Greenpeace International : « Aujourd’hui, il n’existe que des règlementations régionales, ou concernant certaines activités. Il nous faut un accord global, transversal, sous l’égide de l’ONU. Les États doivent se mettre d’accord, non seulement sur comment exploiter les océans, mais sur comment les protéger. » Faudra-t-il passer par une « OMO » (Organisation mondiale des océans) ? « Certains pays y sont farouchement opposés, mais il faudra qu’il y ait des processus et des responsabilités claires, et peut-être un Secrétariat onusien spécifique… on n’en est cependant pas encore là. »

2. Des aires marines protégées

Pour endiguer le déclin de la biodiversité marine, associations et chercheurs mettent en avant les aires marines protégées (AMP). En France, 22 % des eaux sont couvertes par ce type de zones, où les activités humaines (pêche, extraction minière ou pétrolière) sont limitées, voire bannies. Mais au-delà des 200 milles marins (environ 370 km), il n’existe pour l’heure aucun mécanisme permettant de créer une AMP.

Seul 1% de la haute mer est couverte par une aire marine protégée.

« Il existe des zones où l’on ne pêche pas, mais où l’on peut mener des explorations minières, et où des cargos peuvent passer, précise Mathieu Colléter, de l’ONG Bloom. Il faut un outil transectoriel et global. » Moins de 1 % de la haute mer fait partie d’une AMP proprement délimitée : une est située dans l’Antarctique, et l’autre dans l’Atlantique Nord.

« Ces AMP permettent de créer des refuges pour les espèces migratrices, et contribuent à renforcer la résilience de l’océan face au changement climatique et à l’acidification », souligne Peggy Kalas. Une étude de chercheurs franco-portugais, publiée cet été sur le site Frontiers in Ecology and the Environment, montre que l’abondance et la biomasse des espèces ciblées étaient jusqu’à trois fois plus élevées dans les aires protégées que dans celles non protégées.

Dans un appel lancé en mai dernier dans la revue Nature, des scientifiques affirment qu’au moins 30 % des océans doivent être couverts par une aire protégée afin d’éviter une extinction massive de la vie marine. Actuellement, elles concernent moins de 7 % des mers. Mais il ne suffit pas de décréter une AMP : pour qu’elle soit efficace, elle doit être « interdite à l’activité commerciale, avoir une superficie d’au moins 100 kilomètres carrés, être permanente et physiquement isolée des zones non protégées par des eaux profondes ou du sable, et enfin que ces protections soient contrôlées et appliquée. »

Mais de là à créer une Agence mondiale des aires marines protégées, le chemin est encore long. « Certains pays, comme l’Union européenne ou la Nouvelle-Zélande, poussent pour une conservation accrue, explique Glen Wright. Mais d’autres sont très réticents à la mise en place de nouvelles règles, dont les États-Unis, le Japon ou la Russie. »

3. Un cadre pour l’accès aux ressources génétiques

La biodiversité marine fait l’objet d’un nombre croissant de dépôts de brevets. Du cachalot au phytoplancton, aucun organisme n’échappe à la biopiraterie. Une équipe de chercheurs s’est penchée sur ce phénomène, et a notamment constaté que la moitié des séquences génétiques brevetées l’était par le géant allemand de la chimie BASF. Leur étude, publiée en juin dans la revue Science Advances, tire la sonnette d’alarme, alors que le marché mondial de la biotechnologie marine devrait atteindre 6,4 milliards de dollars d’ici 2025, et couvre un large champ d’applications commerciales pour les industries pharmaceutique, chimique et des biocarburants.

Entré en vigueur en 2014, le Protocole de Nagoya « sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation »ne concerne que les ressources génétiques terrestres. Résultat, nombre d’entreprises se sont engouffrées dans la brèche. Mais certains pays s’en sortent mieux que d’autres : d’après l’étude, l’Allemagne, les États-Unis et le Japon sont à eux trois à l’origine des trois quarts des brevets déposés, et on atteint 98 % en additionnant les 10 premiers États. « De nombreux pays sont préoccupés par le fait qu’ils ne bénéficieront pas de la recherche sur les espèces de haute mer et qu’ils risquent de passer à côté de nouvelles ressources génétiques marines potentiellement importantes, par exemple des ressources susceptibles de contribuer au développement de nouveaux médicaments, nutraceutiques [alicaments] ou à d’autres fins », explique la High Seas Alliance dans un communiqué. La lutte contre la biopiraterie sera donc l’un des enjeux essentiels — et non consensuels — de ces négociations.

Trois pays sont à l’origine des trois-quarts des brevets déposés sur des ressources génétiques marines.

4. Une meilleure règlementation de la pêche et des activités extractives

Si les négociations ne devraient pas directement aborder la question de la pêche, elles pourraient aboutir à un renforcement des études d’impact environnemental et à une meilleure coopération entre les instances de régulation de la pêche déjà existantes.

C’est du moins ce que souhaite Mathieu Colléter : « Plusieurs États comme la Corée du Sud, le Japon ou Taïwan aimeraient que cette activité soit exclue des discussions, au prétexte qu’il existe déjà de nombreuses organisations régionales de gestion des pêches, regrette-t-il. Seulement, il existe de grosses lacunes dans ces dispositifs, certaines régions ou certaines espèces n’étant couvertes par aucun règlement. »

Or, la pêche en haute mer s’est considérablement développée ces dernières années, avec des impacts significatifs sur la biodiversité marine. Selon le rapport sur la situation de la pêche et de l’aquaculture dans le monde publié en 2018 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un tiers des espèces commerciales de poissons sont pêchées à un niveau non durable. L’étude note également que « la situation semble particulièrement grave pour certaines espèces, notamment migratoires, qui sont pêchées partiellement ou uniquement en haute mer ».

Autre enjeu crucial : les activités extractives. Car comme le racontait Reporterre, la ruée minière vers les fonds océaniques a commencé. Thallium, cobalt, manganèse, nickel, or… alors que les gisements terrestres s’épuisent, États et industriels s’intéressent de très près aux ressources océaniques.

« Les eaux internationales regroupent à la fois la haute mer, c’est-à-dire les colonnes d’eau situées au-delà de 200 milles marins des côtes, mais également les fonds et les sous-sols océaniques, qu’on appelle la Zone, explique Glen Wright. Cette Zone est gérée par l’Autorité internationale de fonds marins (AIFM), un organe créé par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ». Cette Autorité est censée garantir le statut de bien commun de ces fonds, « dans l’intérêt de l’humanité tout entière ». Mais elle a d’ores et déjà accordé une vingtaine d’autorisations à des États et à des compagnies minières privées d’explorer les fonds marins internationaux, principalement dans le Pacifique.

5. Une prise en compte des effets du changement climatique

« La fonction essentielle que remplit l’océan en matière d’atténuation du changement climatique, qui inclut l’absorption de 90 % de l’excès de chaleur et de 26 % de l’excès de dioxyde de carbone produit par l’homme, a eu un effet dévastateur sur l’océan même », écrit la High Seas Alliance. L’excès de carbone acidifie les eaux, menaçant la santé de nombreuses espèces, dont le plancton, au fondement de la chaîne alimentaire maritime. L’augmentation de la température des océans a pour conséquence le déplacement des espèces et la réduction du taux d’oxygène dissous, mettant à mal la survie d’espèces, notamment dans les profondeurs.

Les océans absorbent près de 90 % de l’excès de chaleur et 26 % de l’excès de dioxyde de carbone produit par l’homme.

Même si les négociations ne portent pas sur la lutte contre le changement climatique, « en gérant la multitude d’autres facteurs de stress d’origine humaine qui s’exercent sur lui, il devrait être possible de renforcer sa résilience au changement climatique et à l’acidification », espèrent donc les ONG. « En renforçant les océans, nous renforçons notre résilience globale à la crise climatique », résume Peggy Kalas.

Cette première session new-yorkaise, du 4 au 17 septembre, devrait permettre de poser clairement les enjeux, les points de tension et les consensus. Elle sera suivie de deux sessions en 2019, puis d’une en 2020, date à laquelle le futur traité de la haute mer devrait être signé.

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