L’engagement actionnarial en action!

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Un article de la série : « Tout ce que vous voulez savoir sur l’investissement responsable »

Par Julie Bernard, candidate au doctorat en management à l’Université Laval, pour GaïaPresse

Bombardier a été la cible de critique lorsqu’a été revue la rémunération de ses dirigeants, une question qui a par la suite mobilisé les actionnaires de l’entreprise. Photo : Wikimedia Commons

 

Dans le cadre du dernier article de cette série sur l’investissement responsable (premier article icideuxième article ici), je voulais vous donner quelques exemples de cas d’engagement actionnarial québécois afin de que vous puissiez mettre l’investissement responsable en action! Par la suite, j’ai sélectionné quelques changements législatifs à venir ou en cours afin de vous donner un tour du paysage de ce qui est à venir en investissement responsable.

Le cas de Bombardier

En 2016, la rémunération des dirigeants de Bombardier a fait couler beaucoup d’encre dans les médias québécois et canadiens. Alors que le Québec venait d’y injecter 1,3 milliards de dollars et que le Canada avait consenti à un prêt de 372,5 millions, le tout accompagné de 14 500 postes perdus mondialement, les 6 plus hauts dirigeants de Bombardier s’accordaient une hausse de 50% sur un an dans leur rémunération, pour un total de 32,6 millions de dollars américains. Plusieurs ont décrié haut et fort cette augmentation. La mobilisation sur la question de la rémunération des dirigeants a fait couler beaucoup d’encre et a fini par faire reculer (un peu) l’entreprise.  

Dans ce cas-ci, Bombardier fait appel à la stratégie d’engagement actionnarial du vote par procuration en ce qui concerne le programme de rémunération de ses dirigeants. En 2017, cependant, ces derniers se sont octroyé à nouveau une hausse 12,3 % de plus qu’en 2016.  En 2016, la hausse de la rémunération a été appuyé par les votes des actionnaires à la hauteur de 96%. En 2017, le vote consultatif annuel étaient en faveur du programme de rémunération des membres de la haute direction avait obtenu 94% des votes, et ce, malgré l’apparente contestation médiatisée de certains investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et le Fonds de solidarité FTQ. Que s’est-il passé? Tout d’abord, les votes sur la rémunération au Canada sont des résolutions consultatives, c’est-à-dire que le conseil d’administration n’est pas tenu de prendre en considération les résultats du vote des actionnaires lors de la prochaine élaboration du programme de rémunération

C’est tout? Non, Bombardier détient aussi une structure actionnariale multi-votante. Cette combinaison de mots veut dire que chacune des actions ne détient pas le même nombre de votes. Dans notre imaginaire, nous avons souvent l’impression qu’une action = un vote. Dans le cas de plusieurs entreprises québécoises (auparavant familiales mais maintenant) cotées en bourse, la famille s’est octroyé des actions avec plus qu’un vote (une classe privilégiée) et d’émettre sur le marché une autre classe d’actions. Ceci peut être une potentielle explication au haut pourcentage de soutien obtenu sur le le vote consultatif annuel du programme de rémunération des membres de la haute direction. Ainsi, les détenteurs d’actions privilégiées détiennent souvent la balance du vote, surtout en ayant de 5 à 10 votes par actions, contrairement aux autres investisseurs qui ne détiennent qu’un vote par action. Est-ce que ce genre de structure est nécessairement une mauvaise chose? C’est un débat dans le monde de l’investissement responsable et de la gouvernance corporative.

Le cas de Shell

Depuis plusieurs années, des activistes déposent des propositions d’actionnaires, une stratégie actionnariale présentée dans l’article précédent, afin que les entreprises plus polluantes (p.ex. le secteur du gaz et de l’énergie) lient la rémunération exécutive avec des indicateurs de performances environnementales. Les détails des atteintes d’objectifs en lien avec les émissions et l’octroi de bonus sera soumis au vote des actionnaires lors de l’assemblée annuelle de 2020, Il est donc impossible pour le moment de se prononcer sur le programme de rémunération exécutive.

En décembre 2018, Shell a annoncé qu’elle fixera des objectifs d’émissions de carbone à court terme à partir de 2020, après avoir subi les pressions des investisseurs, tel que Church of England et Robeco, une première dans l’industrie. Concrètement, elle s’engage à réduire les émissions générées à la fois par ses activités et par les produits qu’elle vend. Il s’agit d’une avancée importante dans la lutte aux changements climatiques. Plusieurs autres sociétés dans le même domaine font face à d’importantes pressions des investisseurs afin de diminuer leurs émissions carbone. Ce genre de mesures prises par les grandes entreprises devraient aider les gouvernements à atteindre les objectifs établis en vertu de l’Accord de Paris… surtout que plusieurs pays sont encore bien loin de la cible.  

Les activistes environnementaux exercent des pressions croissantes sur les compagnies pétrolières mondiales, dont les sociétés américaines Exxon Mobil (XOM.N) et Chevron (CVX.N), pour qu’elles deviennent plus ambitieuses dans la lutte contre le changement climatique.  Les deux compagnies se sont engagées en 2016 dans des mesures de réduction d’émissions. Chevron a déclaré que d’ici 2023, elle réduira son intensité de méthane et de torchage de 25 % à 30 % par rapport au niveau de 2016. Exxon s’est un objectif de réduction des émissions de méthane provenant de l’exploitation de 15 % et du brûlage à la torche de 25 % d’ici 2020 par rapport au niveau de 2016. D’autres compagnies se sont aussi engagées à faire de même. BP, basée à Londres, et Total, en France, se sont fixé des objectifs à court terme pour réduire les émissions de dioxyde de carbone. Les activistes gardent cependant toujours dans leur mire ces sociétés polluantes et les visent fréquemment de propositions d’actionnaires en lien avec les changements climatiques. 

Comme mentionné dans l’article précédent de cette série, afin d’avoir une voix dans les décisions des entreprises, il est quasi nécessaire de détenir des actions. Évidemment, certains organismes non-gouvernementaux (ONG) peuvent faire des campagnes médiatiques ce qui peut avoir un impact sur la réputation de l’entreprise. Par contre, afin que les activistes puissent mettre en branle des stratégies d’engagement actionnarial…il faut être actionnaire! En plus d’être actionnaire, il faut s’y connaître dans les mécanismes et les stratégies d’engagement afin de pouvoir cibler des entreprises et tenter de les faire bouger sur certains enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Les projets sur la table?

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive de changements présentement en cours, mais bien de quelques-uns que je trouve particulièrement intéressants. Le premier, qui vise la transparence sur un enjeu social important: l’esclavage moderne. Ceci démontre bien la prise en compte de certains enjeux sociaux dans le monde de l’investissement responsable. Ensuite, deux projets visant les conseils d’administration démontrent tout le travail qui a été fait pour une meilleure gouvernance corporative, mais aussi tout le travail qui reste à faire pour en arriver là où l’on veut aller. 

Esclavage moderne

Les enjeux environnementaux sont souvent poussés à l’avant-scène de par les conséquences physiques des changements climatiques tout comme les enjeux de gouvernance qui font souvent les manchettes (p.ex. Bombardier, Total, Volkswagen). Cela laisse l’impression que les enjeux sociaux sont un peu plus souvent de côté. Pourtant, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié des indications sur les obligations d’information en matière d’esclavage moderne. L’AMF se calque sur la définition de l’Organisation internationale du Travail dans sa définition de l’esclavage moderne (le travail forcé ; la servitude pour dettes ; la traite des personnes ; le travail des enfants) qui touche approximativement 25 millions de personnes mondialement. C’est donc une bonne nouvelle que des organismes comme l’AMF se penchent sur certains enjeux sociaux.

Diversité sur le conseil d’administration

Afin de favoriser la parité homme-femme sur les conseils d’administration et dans la haute direction des sociétés sous juridiction fédérale, la Loi canadienne sur les sociétés par actions compte mettre en place des dispositions pour que les sociétés divulguent publiquement sur une base annuelle leurs politiques  et leurs cibles, le cas échéant, en matière de diversité ainsi que des statistiques sur la représentation des «groupes désignés», tel qu’identifiés dans leurs politiques corporatives, au sein du conseil et de la haute direction. Cette règle devrait entrer en vigueur au début de 2020.  Ceci étant dit, les sociétés ne seront pas tenues d’accroître la diversité de leurs conseils d’administration, mais de divulguer plus d’information en ce qui concerne la parité homme-femme, ce qui est déjà un pas dans la bonne direction.

La majorité ou rien pour l’élection des administrateurs 

Les administrateurs de sociétés canadiennes ne sont pas élus à majorité en 2019? Non. En fait l’élection des administrateurs dans le contexte canadien a beaucoup évolué depuis les dernières années. La Bourse de Toronto (TSX) exige des élections annuelles et le vote individuel depuis 2014. Eh oui, auparavant, les administrateurs étaient élus par tranche donc des mandats de plusieurs années et impossible de se prononcer contre un seul administrateur, il fallait voter contre toute la tranche. En fait, certaines sociétés ne donnaient même pas la possibilité de voter contre ; elles offraient uniquement les options « pour » et « abstention ». 

Les modifications à la Loi canadienne sur les sociétés introduisent le vote obligatoire à la majorité pour l’élection des administrateurs des sociétés publiques lorsqu’il n’y a qu’un seul candidat pour chaque poste disponible au conseil d’administration de la société. Cette disposition entrera en vigueur en 2020. Les actionnaires pourront voter «pour» ou «contre» chaque candidat à un poste d’administrateur (au lieu de «pour» ou «abstention» dans le système actuel) et chaque administrateur désigné devra obtenir une majorité des voix exprimées pour être élu. 

Nous nous dirigeons ainsi vers une approche un peu plus démocratique (le vote à majorité, la possibilité de voter contre un administrateur en élection, la possibilité de soumettre des candidats, etc.) de l’élection des administrateurs. Vous comprenez un peu mieux maintenant ce que je veux dire par « les choses ont beaucoup évolué ».

De plus, à la suite de propositions d’actionnaires, les actionnaires peuvent suggérer des candidats à l’élection (évidemment, il a certaines conditions comme un seuil minimum d’actions et de détention, etc.). C’est tout de même une excellente nouvelle!

La fin de la saison des assemblées tire tout juste à sa fin. Il reste cependant plusieurs assemblées à venir. Il serait plus juste de faire une évaluation de ce qui s’est déroulé en octobre 2019. Peut-être un autre article? À suivre! Si vous vous intéressez à l’IR et à l’engagement actionnarial, je vous invite à parcourir le site internet des nombreux organismes qui ont été mentionné au cours de ce trois articles. 

Sur ce, je vous souhaite un excellent été et j’espère que vous sentez assez outillés afin de pouvoir poser certaines questions à votre conseillère ou conseiller financier lors de votre prochaine rencontre.

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