Tarification du carbone : les politiques canadiennes en débat

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Par Catherine Paquette pour GaïaPresse

Le choix du mécanisme à implanter pour réguler les émissions de GES cause du fil à retordre à des politiciens et économistes du Canada. Alors que le débat sur la taxe carbone est actuellement porté devant certaines instances judiciaires, les experts se renvoient la balle quant à la manière la plus efficace d’imposer un prix sur les émissions afin de réellement modifier les comportements des citoyens et entreprises au pays.

Il y a, au Canada, deux sortes de tarification du carbone ayant pour but de réguler les émissions de GES et, du même coup, les comportements : la taxe carbone, qui a officiellement été imposée par le gouvernement fédéral en avril dans les provinces de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick, ainsi que la bourse du carbone, désormais appliquée seulement au Québec.

Taxe carbone canadienne

Dans le cas de la taxe carbone, il s’agit de faire payer (20$ la tonne en 2019 et 50$ la tonne en 2022) les entreprises et les consommateurs pour les particules nocives émises par leurs activités (par exemple la vente d’essence), puis à en rembourser une partie au contribuables (environ 90% est remboursé aux contribuables dans les provinces canadiennes).

« L’objectif est de rattraper les plus riches et les compagnies qui polluent le plus avec cette taxe. Ça permet aux individus de transformer leur consommation et d’avoir plus de revenus à l’État », explique Bertrand Schepper, chercheur à l’IRIS.

La bourse du carbone québécois

Dans le cas de la bourse du carbone, les entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes de GES par année doivent se procurer des droits d’émissions sur le marché du carbone québécois. Une partie de ces droits leur sont offerts gratuitement, mais une autre partie doit être achetée lors de la vente aux enchères trimestrielle.  Autrement dit, un prix (qui varie selon l’offre et la demande) doit être payé pour chaque tonne émise au-delà des 25 000 tonnes annuelles.

Le nombre total de droits d’émissions sur le marché est lui aussi limité (plafonné) par le gouvernement. Ce nombre baisse chaque année, ce qui a pour objectif de faire augmenter le prix de la tonne de carbone, forçant du même coup les entreprises qui se partagent le nombre total de droits à limiter leurs émissions.

Dans ce cas-ci, ce sont les revenus de la vente initiale de ces permis qui reviennent à l’État, et non les taxes imposées sur chacune des transactions issues d’activités émettrices de GES.

Les mesures sont-elles bien choisies?

Le professeur de l’Institut économique de Montréal (IEDM) Germain Belzile remettait récemment en question dans une publication l’efficacité de l’ensemble des mesures de tarification du carbone au Canada. Selon le professeur, la tarification du carbone est une mesure pertinente, mais les trois conditions nécessaires à son ne sont pas remplies au pays.

Premièrement, le fait qu’il existe différentes politiques dans les provinces et en Amérique du Nord rend la chose peu efficace, étant donné que les entreprises émettrices de GES peuvent tout simplement choisir de déplacer leurs activités vers l’endroit le plus avantageux pour elles.

Par ailleurs, le professeur Belzile indique qu’une autre condition est absolument nécessaire afin que la tarification ait l’effet escompté : « Que la taxe soit fiscalement neutre, c’est-à-dire qu’une nouvelle taxe devrait remplacer d’autres taxes plus nocives pour l’économie et non ajouter aux recettes fiscales totales des gouvernements ».

Selon lui, il est nécessaire que « le montant déversé soit retourné en retour d’impôt aux particuliers et entreprises ». Cette idée est avancée régulièrement dans différents billets que rédige le professeur, qui craint qu’une augmentation de taxes ne soit nuisible pour l’économie de la province.

Également, M. Belzile estime que la tarification des GES « devrait remplacer les autres politiques qui visent le même objectif, dont la réglementation des émissions et les subventions aux énergies vertes ». Pour lui, « de telles politiques créent des distorsions économiques, en plus d’être moins efficaces que la taxation ».

En fait, les subventions nécessaires à la réduction des émissions sont à ses yeux trop élevées, et peu efficaces. On peut entre autres penser aux nombreux constats d’échec dont a été l’objet le Fonds vert, lequel rassemblait les recettes de la vente aux enchères du marché du carbone et visait à financer des initiatives vertes. Il a en effet été démontré, par exemple, que les subventions aux véhicules électriques coûtaient environ 395 $ par tonne de carbone éliminée, alors que le prix d’une tonne de carbone sur le marché est de 50 $.

La taxe que l’on doit éviter de payer

Le chercheur Bertrand Schepper, de l’IRIS, qui commente lui aussi régulièrement l’actualité économique en lien avec la lutte aux changements climatiques, se dit en « profond désaccord » sur la deuxième condition qu’avance M. Belzile : selon lui, la taxation ne doit pas être fiscalement neutre, puisqu’elle doit constituer un incitatif suffisamment important pour forcer des changements de comportement. « L’idée est intéressante, mais le désavantage, c’est qu’on ne finance pas des projets pour diminuer la pollution avec ça. On espère simplement que tout le monde va modifier ses comportements. Mais si par exemple demain matin le prix diminuait beaucoup, les gens ne diminueraient peut-être pas leur consommation », indique-t-il.

Il ne mise pas sur une mesure fiscale neutre, puisqu’il est d’avis que les dynamiques du marché ne règleront pas la question environnementale, et rappelle que les problématiques environnementales n’attendront pas que l’on s’entende sur le prix d’une tonne de carbone pour faire des ravages.

« Lorsque les problèmes environnementaux seront trop grands, il n’y en aura tout simplement plus, de marché… Il y a certainement un effort collectif à prendre pour se mettre dans une situation où on est capable de lutter contre les changements climatiques. Alors comment on fait ça? Il faut aller chercher des nouveaux fonds pour le faire. Depuis 20 ans ce qu’on voit, c’est l’entreprise privée n’est pas en train de régler le problème. Donc il va falloir que ce soit un organisme et je pense que l’État est plus indiqué pour le faire […] À compte-là, on ne peut pas espérer la neutralité des taxes ou la neutralité du coût, à moins de transformer beaucoup, beaucoup les habitudes », martèle-t-il.

À ce sujet, tous les chercheurs ne s’entendent pas. La Commission de l’écofiscalité du Canada met de l’avant la taxe carbone en indiquant que « les entreprises et particuliers réagissent à toute hausse de prix, même modeste ».

De son côté, l’OCDE publiait en 2018 un rapport soulignant que « les prix du carbone doivent augmenter bien plus rapidement que ces dernières années pour garantir une transition efficace par rapport à son coût vers une économie bas carbone ».

Croissance à tout prix?

Selon M. Schepper, les mesures actuelles sont fondées sur les principes de la croissance économique pourraient s’avérer en effet positives pour l’économie dans une certaine mesure, mais rater leur objectif de protection environnementale. Même si la tarification du carbone pourrait s’avérer efficace, il faudrait aller plus loin, pense l’expert, soit en subventionnant certains secteurs comme le transport en commun, en plus d’un prix relativement élevé sur le carbone qui peut encourager les changements comportementaux et donner une direction à la transition vers une économie plus verte.

Par ailleurs, le professeur rappelle que d’autres défis s’imposent à nous : « on n’a jamais eu à faire de plan précis et porteur en matière d’environnement au Québec, et pas plus au Canada. Et en fait, on n’est pas si en retard par rapport à l’Amérique du Nord, mais on commence à voir des pays qui ont des meilleures pratiques, ou des États comme la Californie qui sont des exemples », rappelle-t-il.

Il faut par ailleurs rappeler que la pollution cause aussi des dommages pour lesquels le gouvernement doit payer — selon Équiterre, « le gouvernement du Canada estime le « coût social » (donc le coût total des impacts des changements climatiques) du carbone à environ 41 $ la tonne de CO2, alors que plusieurs analyses économiques le situent à 100 $ la tonne ».

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