L’environnement et le développement durable au débat des chefs : une urgence qui n’en est pas une

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Par Corinne Gendron
Professeure et titulaire, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, École des sciences de la gestion, UQAM



Compte tenu de l’importance qu’ils ont pris au sein de la population et dans les organisations, on pouvait se réjouir de voir l’environnement et le développement durable au menu du débat des chefs. Par contre, ce sont des questions qui demeurent secondaires si l’on se fie aux discours d’ouverture où l’environnement était à peine abordé. D’entrée de jeu, l’introduction du journaliste Jacques Moisan pouvait laisser songeur : « tout développement, durable principalement, devra inévitablement tenir compte de l’environnement, mais en même temps cette préoccupation tout à fait justifiée ne peut pas non plus bloquer le développement, qu’il soit urbain ou régional, qu’il s’agisse d’énergie, d’agriculture, de forêt ou de mines ». On reconnaît ici une perspective antagoniste qui tend à opposer le développement à la protection de l’environnement plutôt que de présenter la question écologique comme le paramètre d’une modernisation nécessaire de notre économie. Dans cette perspective, la préservation de l’environnement n’apparaît pas comme une condition du développement durable et peut être sacrifiée pour le bien d’une économie posée comme objectif principal.

Le format du débat a forcé les chefs à des choix certainement difficiles parmi tous les thèmes qui auraient pu être abordés. C’est aussi ce qui donne une importance toute particulière aux sujets retenus. Selon André Boisclair qui a ouvert le thème, l’environnement et le développement durable sont au cœur des priorités de son parti soucieux de la santé des gens, de l’économie et du rôle du Québec dans le monde. Il propose tout d’abord une loi sur les changements climatiques, arguant que les mesures volontaires ne suffisent plus. Sur le même thème, le chef du Parti Québécois projette de réduire la dépendance au pétrole (de 10% en 5 ans, et de 20% en 10 ans), et de stimuler l’utilisation des transports en commun par un remboursement allant jusqu’à 20% de la carte d’accès. Il s’engage à mettre en œuvre la politique nationale de l’eau, et promet d’abolir la loi 23 qui a privatisé le Mont Orford (ce serait d’ailleurs le premier acte de son gouvernement si l’on se fie à l’entrevue qu’il a donné à l’émission de télévision Tout le monde en parle). Le chef de l’Action démocratique, Mario Dumont, a d’abord utilisé son temps de parole pour réaffirmer l’importance de l’environnement et le caractère non partisan de cet enjeu, ce qui lui laissait ensuite peu de temps pour évoquer les mesures qu’il propose de mettre de l’avant. En s’engageant à « poursuivre » l’atteinte des cibles du protocole de Kyoto, monsieur Dumont propose de lancer un vaste chantier d’efficacité énergétique équivalent à une nouvelle Baie James. Il évoque ensuite l’importance d’assainir les rivières, en partenariat avec les gens qui s’y dévouent déjà sur le terrain. Enfin, il propose de revoir le rôle du ministère de l’Environnement afin qu’il soit plus proactif pour accélérer l’émergence des technologies vertes. Le chef du Parti Libéral avait quant à lui un bilan à présenter en plus de son programme dans le cadre d’un prochain mandat. Au menu, la Loi 118 sur le développement durable, le nouveau droit à un environnement sain dans la Charte des droits et libertés, les suites données au rapport Coulombe sur la forêt, une stratégie énergétique basée sur le développement hydroélectrique, l’énergie éolienne et les énergies alternatives et enfin un plan de réduction des gaz à effet de serre salué par les groupes écologistes. Au chapitre des engagements, monsieur Charest poursuivra son plan de réduction des gaz à effet de serre en menant une politique ambitieuse de développement du transport en commun (augmentation de l’achalandage de 8 %). De plus, son gouvernement investira dans des projets d’infrastructure liés à l’eau en partenariat avec les acteurs municipaux, compte augmenter de façon notable le recyclage et la récupération, et enfin mettre en place un fonds vert pour financer des projets qui contribuent à la qualité de l’environnement.

Le débat qui a suivi a permis de critiquer le bilan du gouvernement Charest en matière d’environnement : le projet du Suroît, le manque de leadership en matière d’efficacité énergétique (le budget de l’Agence de l’efficacité énergétique a été amputé à deux reprises et de façon considérable), la lente réaction face à la crise forestière, de même que la démission du gouvernement devant un cadre de répartition des réductions de gaz à effet de serre défavorable au Québec (objectifs fixés selon les filières industrielles plutôt qu’en fonction du territoire). Alors qu’il s’est fait questionner sur son bilan à titre de ministre de l’Environnement, André Boisclair a reçu peu de critiques sur son programme. Mario Dumont pour sa part a dû défendre sa refonte du ministère de l’Environnement, et expliquer son absence de politique en matière d’aires protégées.

Au terme de cette partie du débat consacrée à l’environnement et au développement durable, l’auditeur pouvait rester sous l’impression qu’on avait somme toute peu parlé d’environnement : pollution de l’air, pollution de l’eau, biodiversité, santé des écosystèmes ou équilibres macro-écologiques, force est de constater que les enjeux environnementaux proprement dits ont été peu abordés. Quant au développement durable, on peut se demander si un seul des chefs en a saisi toutes les implications, et serait même capable d’en donner une définition. Ainsi, cette partie du débat semble avoir été consacrée à une présentation de mesures de mitigation marginales d’une économie dont on n’a guère l’intention de maîtriser les impacts écologiques. Sur le plan strictement environnemental, une politique de développement durable comporte minimalement deux volets : la restauration d’une part (laquelle suppose inventaire et état des lieux), et une modernisation de l’économie visant à en réduire l’intensité écologique d’autre part (ou de la « dématérialiser », c’est-à-dire que pour un niveau d’activité économique donné, on cherchera à minimiser l’impact écologique correspondant). Mais une politique de développement durable ne se limite pas à sa dimension écologique, et doit également promouvoir le développement des personnes dans un souci d’équité intragénérationnel. Si la perspective générale proposée par les chefs reste peu satisfaisante, la plupart des mesures proposées sont louables, comme celles concernant l’efficacité énergétique ou les transports en commun. Moins rassurants sont par contre les projets de développement de l’hydroélectricité du chef Jean Charest qui n’hésitera pas semble-t-il à hypothéquer davantage le paysage québécois pour renflouer les coffres de l’État. Est-ce véritablement là le projet de société que souhaitent concrétiser les Québécois à travers notre fleuron qu’est Hydro-Québec? En d’autres termes, n’est-il pas plus audacieux, mais aussi plus porteur, de considérer Hydro-Québec comme le formidable outil de modernisation d’une économie québécoise en quête de dématérialisation, un peu comme le propose Mario Dumont avec son Grand Chantier de l’efficacité énergétique et André Boisclair avec sa politique de réduction de la dépendance au pétrole ?
Par ailleurs, si l’environnement et le développement durable revêtent autant d’importance que le prétendent les trois chefs, on peut se demander pourquoi ils n’envisagent pas un réinvestissement massif dans un ministère dont les responsabilités ont au moins doublé depuis l’adoption de la Loi 118 sur le développement durable et l’adoption prochaine de la Stratégie québécoise de développement durable. Compte tenu de ce mandat déjà extrêmement lourd, on peut s’étonner de la proposition de Mario Dumont, et penser que le rôle de stimulation et de soutien à l’innovation technologique qu’il suggère sied beaucoup mieux au Ministère du développement économique, de l’innovation et de l’Exportation. Par ailleurs, il faudrait ajouter un solide appui financier à la recherche fondamentale qui manque cruellement de fonds dans le domaine du développement durable.

Enfin, même si les partis politiques traditionnels ne sont pas encore prêts à ce type d’engagement, il faudra bien un jour parler d’écoconditionnalité, de manière à rendre notre système fiscal et gouvernemental cohérent avec les impératifs de protection de l’environnement. Simultanément, une approche de développement durable suppose que toute politique écologique soit accompagnée de mesures de transition économiques et sociales qui évitent à des groupes particuliers de porter seuls le fardeau d’une modernisation et d’une réorientation de l’économie, comme ce fut le cas pour les travailleurs de la forêt.

Bref, même si l’environnement est bien formellement inscrit à l’agenda des principaux partis politiques, force est de constater qu’aucun d’eux ne l’envisage dans la perspective large qui lui convient, c’est-à-dire comme grand projet de modernisation de l’économie et élément au cœur d’un nouveau contrat social.



Par Corinne Gendron

LL.B, MBA, Ph.D, Professeure et titulaire, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, École des sciences de la gestion, UQAM
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