L’étiquetage des OGM : Au-delà des coûts, les champs de bataille

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Par Me P. Martin Dumas


À l’échelle nationale, l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés (OGM) est souventes fois présenté comme un processus obstrué par des problèmes d’ordre financier et organisationnel. Bien que ce processus et les coûts qui l’accompagnent posent bel et bien des difficultés, nous serions bien avisés de considérer avec autant d’attention des enjeux majeurs et apparentés. Ces derniers sont multiples. Ils concernent notamment le contrôle des risques pour la santé humaine et écologique, la lutte contre les maladies et la malnutrition, de même que la régulation du secteur mondial de l’alimentation. À ces enjeux, la question du réchauffement climatique n’est pas non plus étrangère. Examinons tout cela de plus près en résumant d’abord la position de l’organisation mondiale du commerce (OMC) à cet égard.

Une façade juridique : à qui de décider de ce que l’on mangera?

À l’échelle internationale, le droit économique révèle une réticence à soutenir l’étiquetage volontaire des OGM et plus que de la réticence à l’endroit de l’étiquetage rendu obligatoire par les États. Cela signifie qu’une loi canadienne imposant l’étiquetage obligatoire serait fort probablement contestée devant l’OMC. Deux motifs sont généralement invoqués au soutien de ce type de contestation.

Le premier renvoie au risque que l’étiquetage ne devienne un moyen déguisé de discriminer à l’endroit des produits alimentaires étrangers. Comme la plupart des OGM sont le produit d’entreprises étatsuniennes (les canadiennes occupant le 3e rang à ce titre), la menace protectionniste plane au dessus de toute mesure rendue obligatoire. Les mesures qui favorisent en parallèle le marquage de produits dits « régionaux » (e.g., gaspésiens, européens) ne sont pas sans renforcer une apparence de volonté protectionniste aux yeux de l’OMC. Cette question n’est jamais simple à résoudre puisque des produits locaux, tels le jambon québécois, pourraient à leur tour faire l’objet d’une telle discrimination à l’étranger. Le protectionnisme est une arme à double tranchant.

Des décisions de l’OMC ont par ailleurs manqué de cohérence en refusant, pour cause officielle de protectionnisme, toute transmission obligatoire de renseignements non traditionnels aux consommateurs. Or ces renseignements non traditionnels incluent, sans autres nuances, toute information portant sur la manière dont les biens de consommation ont été produits (e.g., le traitement réservé aux travailleurs, aux animaux, à l’environnement, etc.) par opposition aux informations portant sur le bien de consommation lui-même (e.g., sa qualité, son prix, son utilisation sécuritaire, etc.). Une question soulève alors la controverse : l’information génétique des OGM – modifiés dans un rapport de 1% par exemple – est-elle une information portant sur le processus de production (à interdire) ou sur le produit lui-même (à autoriser) ? Entre la Communauté européenne et les États-Unis, la lutte juridique est enclenchée, les États-Unis favorisant le blocage de ce type d’information.

Derrière cette façade, les véritables affrontements surviennent sur les champs de bataille scientifique, économique et politique. C’est dans ce contexte que le second motif généralement invoqué à la défense du blocage informationnel entre en scène, dans toute sa largesse : les consommateurs ne seraient pas en mesure d’intervenir raisonnablement dans certains types de débats. C’est-à-dire dans des questions qui dépassent l’analyse simple des produits comme tels, et de leur rapport qualité / prix. On peut reconnaître avec les législateurs que les experts ont plus souvent raison que les dilettantes lorsqu’il s’agit d’examiner un problème aux ramifications complexes. Cet argument, en revanche, est sérieusement mis à mal lorsque de tels experts se livrent, entre eux, à de déchirants combats. Quels sont-ils ? Que révèlent-ils ?


Les OGM posent-ils des risques à la santé humaine et écologique?


On affirme chez les uns que de tels risques sont efficacement contrôlés par l’État qui voit à ce que les OGM soient généralement reconnus pour leur inoffensivité (Generally Recognized As Safe) et qu’ils ne portent pas indûment atteinte à la santé environnementale. Les autres estiment avoir fait la démonstration de la défaillance de ce contrôle en certains cas et que les consommateurs devraient être informés des risques encourus par l’usage des OGM – les personnes sensibles aux allergies alimentaires en particulier.

La lutte contre les maladies et la malnutrition commande-t-elle le recours aux OGM?


Dans la perspective d’une augmentation de la population mondiale de trois milliards d’habitants d’ici à l’an 2050, des spécialistes soutiennent qu’il s’agit là d’une évidence, soulignant que l’ingestion de certains OGM permettra la transmission plus généralisée et moins coûteuse de vaccins et de suppléments vitaminiques, auprès des populations dans le besoin. D’autres spécialistes dénoncent avec véhémence ce qu’ils perçoivent ici comme une tentative de soumettre les populations les plus vulnérables à des expérimentations hasardeuses, en violation du « principe de précaution ». Ils arguent par ailleurs que des techniques de génie alimentaire fondées sur une connaissance plus approfondie des propriétés des sols sont à même de répondre aux demandes nutritionnelles d’une population mondiale encore croissante.

Le recours massif aux OGM risque-t-il de confier aux seules entreprises transnationales l’exploitation des ressources agricoles?

On admet chez les uns que les petits producteurs seraient éventuellement conduits à se procurer les grains de semence, plus chers, vendus par les grands producteurs. On ajoute cependant que le prix de ces grains génétiquement modifiés serait indirectement réduit pour les petits producteurs en raison du soutien financier d’organisations telles que la Rockefeller Foundation, qui a déjà exprimé son désir de leur venir en aide. Chez les autres, on s’inquiète de la disparition éventuelle de certaines variétés de culture au profit d’une concentration graduelle des variétés modifiées génétiquement. C’est sans compter la controverse entourant les échanges naturels de pollen entre cultures agricoles voisines. Les effets de ces échanges se croisent à leur tour. Ils pourraient d’une part avantager le producteur traditionnel qui souhaite tirer bénéfice d’une culture génétiquement modifiée, voisine, sans avoir à défrayer le coût de sa semence. Ils pourraient d’autre part désavantager ce même producteur s’il compte préserver l’intégrité de sa culture traditionnelle, non génétiquement modifiée.

Il importe enfin de souligner que des effets attendus du réchauffement climatique, tels la désertification et l’appauvrissement de certains sols, présenteront prochainement de multiples occasions d’affaires aux entreprises impliquées dans la production d’OGM. Des recherches sont ainsi entreprises aux fins de maintenir ou de renforcer la capacité de plantes de croître en milieux arides, chauds ou froids. Il s’agit en outre d’un élément important de l’agenda indo-américain.

L’accès par les consommateurs aux informations portant sur la modification génétique des aliments est, on le constate, un enjeu politique et économique lourdement chargé. En considération des débats engagés parmi les experts, la question qui se pose en matière d’étiquetage des OGM n’est pas seulement de savoir si les consommateurs devraient être mis au courant de ces enjeux, mais aussi de déterminer le contenu des messages à leur transmettre. Il ne fait pas de doute que la détermination de ce contenu sera aussi controversée que l’idée de faire participer les consommateurs aux rapports de force développés dans les coulisses de la consommation de masse. Un message suggérant que les OGM sont bénéfiques à l’espèce humaine, sans poser de risques sérieux aux autres formes de vie, n’aurait certes pas le même effet que la simple mention « OGM » ou « Attention – OGM ». Dans l’état actuel des recherches scientifiques, c’est en termes de probabilités et de risques (à qualifier) qu’il faudrait, en toute transparence, s’adresser aux consommateurs. Qui dit savoir dit responsabilité : les consommateurs sont-ils prêts à confronter le pari des OGM en l’encourageant ou en le décourageant ?

C’est probable. Dans la foulée des événements de septembre 2001, la population américaine a demandé instamment aux autorités politiques ce qu’était le devoir de citoyen dans les circonstances, ce à quoi le Secrétaire du commerce Don Evans, imité par son Président, répondait : « Retournez magasinez » (Go back to the stores). À la suite de telles déclarations, il ne serait pas étonnant d’assister à l’éveil progressif du citoyen-consommateur – aussi sensible aux questions de responsabilité sociale – devant la déception du citoyen-votant.



Par Me P. Martin Dumas

B.A., M.A., LLB, doctorant de la London School of Economics and Political Science
Consultant international / travail & développement durable
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