Le plan de Bali sur le réchauffement climatique : Un appel à la magnanimité

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Par Me P. Martin Dumas
Consultant international / travail & développement durable


 

C’est le 15 décembre dernier sur l’île de Bali (Indonésie) que 187 représentants d’États ont finalement adopté une feuille de route devant conduire au successeur du Protocole de Kyoto, qui prendra fin en 2012.  Elle les engage à redéfinir, au plus tard en 2009, les modalités d’application de la Convention des Nations-Unies sur les changements climatiques. À la différence du Protocole de Kyoto, l’accord appelle cette fois les pays développés à définir ces modalités de concert avec les pays en voie de développement. L’une des obligations prévues au Protocole consiste à réduire le total des émissions de gaz à effet de serre (GES) des pays développés d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990, au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012.*

Le Canada, qui a pris du retard dans ses engagements, fut la cible de sarcasmes et de critiques pour avoir cherché, dit-on, à saboter avec les États-Unis les négociations qui s’y déroulaient.  Quoi qu’il en soit, la conférence est réussie dans la mesure où elle a donné naissance à un important engagement de toutes les parties, dont les États-Unis ne sont enfin pas exclus. Suggestives et générales, les dispositions de cette feuille de route reflètent un compromis qui devrait prendre sa forme définitive dans deux ans, à Copenhague (Danemark).  Pour y conclure une entente finale, les pays développés devront cette fois faire preuve d’une certaine magnanimité et le Canada, plus que tout autre peut-être, devra résister à la tentation de s’isoler en compagnie de quelques producteurs pétroliers.  Cela tient principalement à un certain nombre de faits troublants. Parmi eux, on retient les suivants : (1) de nombreux États ne semblent pas prêts à envisager un ralentissement économique – ou un réalignement industriel coûteux pour certains – par suite de la lutte aux gaz à effet de serre; (2) il est pratiquement impossible de faire en sorte qu’aucun État ne soit relativement désavantagé par un programme contraignant de réduction des GES ; (3) le langage utilisé dans la feuille de route offre d’ores et déjà à tous les pays, développés et en voie de développement, les moyens de justifier la limitation des efforts à venir. On peut alors craindre le pire, en l’absence d’une dose fraîche de sagesse et de bonne volonté.

Atténuer les risques et s’adapter

Il est utile de distinguer entre le ralentissement économique absolu, sur le plan national, que supposerait une limitation sévère des GES à court terme, et le ralentissement relatif provoqué par une telle limitation. Un ralentissement absolu se reflèterait dans une baisse du PIB (ou un ralentissement de sa croissance) alors qu’un ralentissement relatif se reflèterait dans l’évolution moins rapide du PIB en contraste avec l’évolution d’autres économies en concurrence.  Dans ce dernier cas, un État peut se dire prêt à atténuer les risques du réchauffement du climat en réduisant significativement ses émissions de gaz carbonique, à la condition que ses voisins et partenaires commerciaux en fassent autant, toutes proportions considérées. Un exemple récent est fourni par l’Allemagne qui, le 19 décembre, a accusé la Commission Européenne de chercher à imposer de nouvelles contraintes environnementales au secteur de l’automobile qui risquent de désavantager les entreprises allemandes au profit des entreprises françaises et italiennes (les voitures allemandes étant généralement plus énergivores). Car il ne faut pas être dupe : la lutte au réchauffement climatique est aussi une épreuve de concurrence entre entreprises, industries et blocs économiques. C’est là que les indices de mauvaise foi pourraient faire dérailler les négociations. Ils sont nombreux. Le gouvernement britannique, par exemple, qui s’affiche aussi comme un leader dans la lutte au réchauffement climatique, a autorisé l’ouverture d’une dizaine de nouvelles mines de charbon sur son territoire depuis l’an 2000 et annoncé qu’il entendait maximiser le gain économique de toutes ses réserves de charbon, de gaz et de pétrole. Pour  ce faire, il a réduit de 90% le coût des permis d’exploration pétrolière du plateau continental anglais. Dans la même foulée, il révoque les permis des entreprises qui n’en font pas un usage optimal. British Petroleum, qui s’affiche aussi comme une entreprise ‘verte’ en Europe, a annoncé au début de ce mois qu’elle investirait massivement dans l’exploitation des sables bitumineux canadiens, dont le traitement génère plus de GES que celui du pétrole liquide. Enfin, un principe adopté dans la feuille de route de Bali (celui de la ‘responsabilité différenciée’) défie tout objectif de répartition égalitaire des sacrifices économiques, à l’échelle mondiale. Il prévoit expressément que les États (développés et en voie de développement) ne sont pas également responsables devant le phénomène du réchauffement climatique et que, implicitement, les pays développés devront se montrer plus actifs dans cette lutte commune.

Un autre obstacle d’importance posé aux négociations à venir tient au fait que les pays en voie de développement de même que les Etats-Unis ne semblent pas vouloir envisager de ralentissement absolu de leur croissance économique.  Les pays en voie de développement – dont le profil pollueur est encore jeune – sont particulièrement insistants sur cette question. Par la voix du G77, une coalition de 150 pays ‘émergents’, dont la Chine et l’Inde, ils ne se disent pas prêts à s’engager à réduire leurs émissions de GES, pas plus qu’à céder aux ‘pressions’ et ‘menaces’ des pays développés.  Il est difficile d’imaginer comment on pourrait lutter rapidement contre les effets du réchauffement climatique si les Etats-Unis et la Chine (plus grands pollueurs mondiaux) ne sont pas prêts à investir massivement dans la restructuration de leur secteur énergétique. C’est dans ce contexte que les mesures visant à une meilleure adaptation aux conséquences du réchauffement climatique paraissent avoir le vent dans les voiles, en contraste avec celles qui en visent la prévention. Le site internet officiel du gouvernement du Canada fait par ailleurs état de nombreuses études et stratégies nationales à cet égard. Le lancement du radar satellite canadien RADARSAT le 14 décembre avait ainsi pour objectifs d’améliorer la surveillance maritime, le suivi des glaciers, la gestion des désastres, le contrôle environnemental, l’allocation de ressources ainsi que la cartographie canadienne et mondiale…

Des gagnants et des perdants?

Il ne fait pas de doute que des groupes d’humains souffriront d’un réchauffement du climat alors que d’autres, pour une durée indéterminée, en tireront des bénéfices. Les gens pauvres, âgés, à la santé fragile, ou habitant près des zones désertiques ou des côtes fréquemment exposées aux ouragans et autres intempéries seront plus certainement affectés que d’autres. Ces gens ne sont pas tous répartis également sur les continents peuplés. Certaines villes, régions et contrées entières ont plus à craindre que le Canada-centre, à titre d’exemple. Si le nord de l’Amérique se réchauffera plus rapidement que les régions de basse latitude, les températures moyennes canadiennes demeureront toujours plus froides qu’elles ne le seront à l’équateur (où le rayonnement solaire est maximal), une fois atteint le nouvel équilibre…  Plusieurs entreprises des régions nordiques contemplent le réchauffement du climat et la fonte des glaces polaires comme autant d’opportunités, sans compter qu’un climat plus doux devrait contribuer à alléger la facture de l’entretien des routes et du chauffage, de même qu’à soutenir dans notre hémisphère la migration des travailleurs vers le nord, en règle générale. Car le réchauffement pourrait aussi apporter son lot de problèmes universels : vagues extrêmes de chaleur et de froid, maladies, épidémies, inondations, affaissements des sols, perturbations écologiques, etc., dont le Canada n’est pas à l’abri.  Il ne fait pas plus de doute cependant que des pays tels le Bangladesh et l’Inde craindront davantage – et déjà peut-être –  pour la stabilité de leurs populations, qui chercheront alors à migrer plus massivement.


De l’importance d’être magnanime

À long terme, tout le monde est perdant, en l’absence de solides mécanismes destinés à atténuer les risques d’un réchauffement climatique prononcé. Est-il possible de faire en sorte qu’aucun État ne soit relativement désavantagé, sur le plan économique, par l’implantation de ces mécanismes ? Non. La réduction des GES à travers le monde (émis dans les secteurs résidentiel, commercial et industriel) implique des transactions et ajustements beaucoup plus complexes qu’une simple commande d’affaires entre deux États. Chaque pays ou groupe de pays aura l’occasion de faire valoir que sa situation est unique et que sa responsabilité devrait justement être révisée à la baisse. Le principe de la ‘responsabilité différenciée’ est le premier de ces arguments, à la faveur des pays en voie de développement, qui ont encore peu contribué au rejet des GES dans l’atmosphère.

Nul doute que les pays en voie de développement chercheront mordicus à s’assurer du soutien économique et technologique optimal des pays développés avant de s’engager dans la lutte aux GES – ce qui est tout à fait légitime. Leurs ‘actions’, aux termes de la feuille de route de Bali, se situeront expressément  ‘dans le contexte du développement durable’ et si on prévoit les soutenir par la ‘technologie’ (sans toutefois préciser s’il s’agit d’un transfert de technologie), ces actions n’incluent pas explicitement des mesures quantifiables de réduction des GES, contrairement aux ‘actions’ auxquelles devraient éventuellement s’engager les pays développés. On craint chez ces derniers que l’administration publique chinoise, dont le bilan en matière environnementale est désastreux, ne réponde pas aux attentes – d’autant plus que les jeux olympiques de Pékin seront terminés à l’automne 2008 et que la Chine sera possiblement moins encline à soigner son image publique avec autant d’ardeur.  Les pays développés ont astucieusement précisé qu’ils s’entendaient pour leur part à considérer des ‘engagements ou actions’ comprenant de telles mesures quantifiables. En d’autres termes, ils se réservent le droit de s’engager seulement à adopter des mesures quantifiables de réduction. De quel ordre et pour combien de temps encore ? Une note de bas de page, que l’Union Européenne tenait à inclure dans l’accord, pourrait en fixer l’horizon temporel. Un renvoi explicite aux travaux du GIEC pourrait signifier qu’on estime que la communauté mondiale dans son ensemble devrait réduire les GES de moitié (par rapport à l’an 1990), avant l’an 2050, dans un scénario ‘ambitieux’. Dans quelles proportions les États, développés et en développement, contribueront-ils à cette réduction d’ensemble ? La Chine, dont les émissions absolues auront bien dépassé celles des États-Unis, sera-t-elle considérée au même titre que d’autres pays ‘émergents’ en 2009 ?

La position du Canada est transparente. Le site internet du gouvernement fait largement part des ‘particularités canadiennes’, pour démontrer que le pays ne peut s’astreindre aux règles générales du jeu.  Ces particularités sont nombreuses. Le Canada est un pays vaste, froid, dont la faible population et la production nationale augmentent à un rythme plus rapide qu’ailleurs. Ses ressources énergétiques sont abondantes et diversifiées, ce qui en fait un des rares exportateurs net de pétrole, de gaz et de charbon. Les émissions de GES canadiennes ne desservent donc pas seulement les besoins du  pays, mais aussi ceux d’ailleurs. Plus de la moitié de sa production de pétrole et de gaz naturel est exportée aux États-Unis. La croissance démographique rapide du Canada soutient par ailleurs des taux d’activité économique relativement supérieurs et sa structure industrielle, à forte consommation énergétique, lui donne un profil différent de celui de la France, par exemple. Mais au jeu des ‘particularités’ nationales, le Canada n’est pas seul sur l’échiquier et ses arguments risquent de tomber comme lettres mortes à plusieurs égards. Aussi la Russie est-elle plus froide et vaste encore que le Canada. Elle exporte pareillement son pétrole en millions de barils par jour. La croissance démographique des États-Unis et de nombreux autres pays est aussi constante. Plusieurs pays d’Europe du nord, dont la Norvège – qui exporte 91% de son pétrole – doivent à leur tour composer avec des structures industrielles à forte consommation énergétique. C’est sans prendre en compte la capacité financière et organisationnelle d’un État de contribuer à l’atténuation des risques posés par les GES et de s’adapter à leurs effets prévisibles. Sur ce plan, le Canada se compare avantageusement au Bangladesh et à l’Inde, a-t-on déjà suggéré.  Sa richesse et ses immenses réserves d’eau potable (comptant pour le cinquième des réserves mondiales) en font un acteur incontestablement privilégié dans la perspective d’un réchauffement climatique global. Les Canadiens auront alors le choix entre faire montre de mesquinerie ou de magnanimité. Les Norvégiens, eux, ont déjà fait leur choix. Petits joueurs en marge de l’Union Européenne, ils n’ont pas abandonné l’espoir d’une communauté internationale plus solidaire.  Ils ont annoncé qu’ils alloueraient 500 millions de dollars chaque année, pendant quatre ans, aux fins de soutenir la conservation des forêts du sud. Dans l’intervalle, saluons le geste de cette grande nation.


* Article 3(1) du PROTOCOLE DE KYOTO À LA CONVENTION-CADRE DES NATIONS UNIES SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

 

 


 

Par Me P. Martin Dumas
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