Gouvernance et souveraineté alimentaire

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La Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (CAAAQ) a dévoilé mardi son rapport. Cette Commission avait pour mandat de faire un état de situation sur les enjeux et défis de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, d’examiner l’efficacité des interventions publiques actuellement en place, d’établir un diagnostic et de formuler des recommandations sur les adaptations à faire.

Plus que jamais, l’agriculture est à l’ordre du jour!

 

Par François Décary-Gilardeau
Adjoint de recherche à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable
Université du Québec à Montréal



Dans un monde de plus en plus mondialisé, chaque action et chaque événement prennent des tournures locale et globale. Par leurs achats, les habitants des pays occidentaux démontrent bien le degré d’interdépendance dérivant de notre mode de consommation. Longtemps considérée comme un secteur stratégique par les États, aujourd’hui l’agriculture tend elle aussi à suivre une logique de plus en plus marchande.
 
C’est en réponse aux démarches menées à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui visaient à faciliter la libéralisation de l’agriculture que l’idée de la souveraineté alimentaire émergea. On doit à Via campesina l’origine du concept qui est maintenant repris par de nombreuses organisations de partout sur la planète. La souveraineté alimentaire consiste en le « droit des peuples, des pays et des groupes de pays à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers ». Il s’agit de reconnaître l’agriculture comme un secteur économique particulier répondant au droit fondamental de se nourrir tel que défini dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Cela entraîne comme conséquence que les denrées agricoles servant à l’alimentation ne doivent pas être considérées comme de simple marchandise et parallèlement que l’agriculture n’est pas une activité économique comme les autres


La subsidiarité comme principe de développement durable

Avec comme angle d’approche le développement durable, il est possible d’aborder la question de la souveraineté alimentaire de nombreuses façons. Il semble toutefois que le principe de subsidiarité permet une analyse originale et pertinente de la question. Avant tout, qu’est-ce que la subsidiarité ? Le gouvernement du Québec définit la subsidiarité comme le souci de rapprocher le plus possible les lieux de décision des citoyens et des communautés concernés. Implicitement cela consiste à reconnaître la supériorité dans certain cas d’une action ciblée face à des enjeux locaux. Ainsi le principe de la subsidiarité permet d’éviter la lourdeur des administrations publiques et laisse plus d’autonomie à une action sociale adaptée.

Issu de la tradition chrétienne et conceptualisée par Thomas d’Aquin, le principe stipulait que les échelons inférieurs ne devrait abandonner aux organes centraux que ce qui lui est nécessaire, soit ce qu’elle ne peuvent gérer optimalement. Pour illustrer ces propos, on peut penser que les organismes de bassin versant sont les mieux situés pour trouver des solutions originales aux problématiques de contamination des cours d’eau et des nappes phréatiques, alors que l’intégrité des systèmes écologiques et la préservation des ressources naturelles doivent être gérés plus globalement.

Ainsi, la véritable force du principe de subsidiarité est de reconnaître l’acteur local comme étant apte à connaître ses propres problèmes et à y remédier de façon originale. C’est en quelque sorte reconnaître l’existence de l’intelligence collective, qui permettra une multiplicité de solutions par rapport aux défis contemporains.

S’opposant à la logique de l’universalité des solutions propre au modèle de gouvernance centralisée, la subsidiarité est plutôt compatible avec l’universalité des fonctions à remplir. Cette dernière respecte la diversité sociale et culturelle des sociétés tout en reconnaissant que ceux-ci doivent répondre à des besoins fondamentaux similaires – spiritualité, alimentation, sécurité, communication – d’où l’idée de l’universalité des fonctions à remplir. Selon cette logique, les différentes instances gouvernementales ne devraient pas imposer des solutions uniques, mais plutôt orienter les initiatives locales vers la recherche d’un bien commun : protection de l’environnement, diminution des inégalités, cohésion sociale, etc. Tout cela permettrait une plus facile émergence des innovations sociales au lieu de les isoler et même de les mettre en compétition face à des solutions toutes faites, mais hélas souvent inadaptées.


Accords internationaux et interdépendances

Il convient maintenant de mieux illustrer par des exemples le concept de subsidiarité dans le but de se questionner sur la pertinence de la souveraineté alimentaire dans une optique de développement durable. Nous mentionnions plus haut que l’intégrité des écosystèmes ne peut dans certains cas être géré optimalement par les échelons inférieurs et que selon le principe de subsidiarité, il faut alors se retourner vers d’autres niveaux de gouvernance plus élevés. Un exemple parmi tant d’autre lié à l’écologie pourrait être la protection des espèces en voies de d’extinction. Une espèce peut très bien être en danger dans une région, dans un pays, mais globalement posséder une population stable voire en croissance. On comprend très bien ici la nécessité de gérer la biodiversité à un niveau mondial. C’est d’ailleurs ce qui a mené à la création de la Convention sur la biodiversité qui a son bureau à Montréal. En fait, on peut résumer en disant que le niveau étroit d’interdépendance face à cette problématique globale incite l’utilisation de mécanisme de gouvernance mondial.

Pour ce qui est de l’agriculture et de l’alimentation, la réflexion est tout autre. Figer des éléments de la politique alimentaire à l’intérieur d’instance supranationale consiste à reconnaître la supériorité d’instance comme l’OMC pour la gouvernance de ce secteur économique particulier. C’est par le fait même privilégier certains types d’agriculture plus compatibles à la logique des marchés, soit une agriculture spécialisée et à grande échelle. On peut s’interroger sur la base de quel critère on juge de l’inefficacité de l’État à réguler ses politiques agricoles ? Pour minimiser les prix sur les marchés internationaux peut-être que les grandes organisations internationales sont mieux situées pour réguler le commerce lié à l’agriculture, mais pour des questions de santé, de protection de l’environnement, il est possible d’émettre des doutes. En fait, la libéralisation des échanges commerciaux reliés à l’agriculture tel que promue à l’OMC accentuerait l’interdépendance des pays face à la production agricole. Cette plus grande interdépendance serait problématique dans le sens qu’elle se régulerait sur la base des marchés internationaux, sans aucune garantit qu’elle ne soit profitable ni pour une société, ni globalement.


Souveraineté alimentaire et développement durable

Alors que le monde fait face à un déficit écologique constant qui soulève des enjeux important quant à la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins, il importe de relever ce défi dans un soucis de soutenabilité. Les modes de production agricole doivent être revus dans une perspective de développement durable orienté vers une maximisation des retombées sociales positives et une diminution des impacts environnementaux négatifs. Il faut donc non plus seulement voir l’agriculture comme une activité économique traditionnelle, mais en prenant en compte ses multiples fonctions – alimentation saine, protection du sol et de l’eau, occupation du territoire, etc.

La relation entre subsidiarité et souvernaineté alimentaire appelle aussi a réduire  l’utilisation, aujourd’hui abusive, d’intrants externes. Considéré comme moins efficace, l’agriculture dominante délaisse le savoir faire technique traditionnelle tout comme l’utilisation d’engrais organique et de semences patrimoniales au profit de nouvelles techniques et produits provenant d’horizons lointains. Ainsi, la souveraineté alimentaire nécessite non seulement un contrôle local sur les politiques agricoles, mais aussi sur les facteurs de production, il faut donc diminuer la dépendance de l’agriculture à ces intrants externes et maximiser l’utilisation des ressources locales.

La transition d’une agriculture grandement industrialisée, vers une agriculture durable ne pourra s’opérer avec des politiques rigides et centralisées, elle devra suivre le principe de subsidiarité et remettre les échelons inférieurs au centre de la stratégie. Cela nécessitera de nouvelles politiques agricoles qui touche à la fois la production et la mise en marché. Dans cette optique, toute perte de souveraineté alimentaire constituera un frein à la capacité d’innovation des collectivités locales et devrait par le fait même être abordé avec la plus grande prudence dans une logique de développement durable.

 



Par François Décary-Gilardeau
Adjoint de recherche à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’Université du Québec à Montréal


François Décary-Gilardeau poursuit présentement des études de cycles supérieurs à l’Université du Québec à Montréal au sein de l’Institut des Sciences de l’Environnement. Depuis plus d’un an, travaille pour la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’UQAM. Ses intérêts portent principalement sur la responsabilité sociale des entreprises, le développement durable, et les nouveaux mouvements sociaux. Trilingue, ses études l’ont mené au Mexique et aux États-Unis.


Références :

(1) Au Québec l’initiative D’abord nourrir notre monde fait la promotion de la souveraineté alimentaire www.nourrirnotremonde.org

(2) Pour plus d’information voir www.viacampesina.org

(3) Tel qu’énoncé dans la loi sur le développement durable du Québec, article 6g)

(4) On sait que les extarnalités négatives entraînées par des activités économiques sont très peu prises en compte par les marchés.

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