5 milliards pour 15 kilomètres d'autoroute en milieu urbain

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Par Sylvie Woods
Présidente de l’Association Hochelaga-Maisonneuve du Parti vert du Québec


 


Tel qu’annoncé par la ministre Julie Boulet, le gouvernement du Québec a décidé d’investir d’ici 5 ans dans une vaste infrastructure autoroutière en milieu urbain par la construction du pont de l’A-25, la « modernisation » de la rue Notre-Dame et la réfection de l’échangeur Turcot. Ce projet entraînera un endettement national de 5 milliards de dollars environ pour les Québécois sur une période prévue de 5 ans. Le gouvernement a pensé qu’il valait mieux pour lui de présenter publiquement ces trois tronçons autoroutiers comme étant des projets distincts. Cependant, chacun de ces tronçons autoroutiers fait partie d’un unique projet qui comporte la construction d’infrastructures routières qui sont reliées les unes aux autres et qui ne pourront être réalisées sans la coexistence des autres tronçons. De plus, chacun de ces segments, soit le prolongement de l’A-25 ou la « modernisation » de la rue Notre-Dame, visant à compléter le prolongement de l’autoroute Ville-Marie, est nécessaire pour accroître l’offre de transport pour les automobiles et compléter une boucle autoroutière dans la région métropolitaine.

Il s’agit donc de la réalisation d’un unique projet. Pourtant, jusqu’à maintenant ce projet a été faussement présenté aux différents intervenants sociaux et aux résidents des quartiers concernés comme étant des projets distincts. Les consultations publiques ont donc été organisées, de manière fragmentaire, par l’organisme privé de communications Convercité, en ne présentant à un public restreint qu’un volet de ce vaste chantier autoroutier, selon qu’il s’agissait de la rue Notre-Dame, du pont de l’A-25 ou de l’échangeur Turcot. Ces consultations itinérantes qui se sont tenues dans les quartiers du Sud-Ouest, le Centre-sud, Hochelaga-Maisonneuve et Mercier ne portaient que sur des questions accessoires et des considérations esthétiques relatives à l’aménagement du projet. Ces séances de consultations ont été organisées indépendamment les unes des autres. Cette approche choisie par le ministère des Transports a eu pour effet, aux yeux du public ainsi que pour les médias, de réduire l’envergure réelle du projet autoroutier. Car s’il devait se réaliser, ce projet affecterait non seulement l’ensemble des résidants de la région métropolitaine, mais aussi tous les citoyens du Québec par son coût prohibitif et ses conséquences écologiques.

Il va de soi que ce projet aurait dû être analysé dans sa globalité étant donné qu’il aura des répercussions décisives sur notre économie nationale ainsi que sur notre déficit commercial pour des décennies à venir. D’autant plus, que depuis avril 2006,  tous les projets présentés par les ministères, dont le ministère des Transports, doivent respecter l’esprit de la Loi sur le développement durable. D’ailleurs, en novembre 2007, le commissaire au développement durable, M. Harvey Mead, révélait que l’empreinte écologique des Québécois dépasse présentement la capacité biophysique du territoire national et que notre consommation moyenne est de l’ordre de 3 planètes.

Des questions demeurées dans l’angle mort du ministère des Transports et du gouvernement

Afin de soutenir un tel projet de boucle autoroutière en milieu urbain, qui par ailleurs, emprunterait l’un des principaux axes routiers urbains traversant la ville de Montréal d’est en ouest, soit la rue Notre-Dame, la ministre des Transports doit fermer les yeux sur plusieurs questions qu’elle souhaite bien laisser aux prochaines générations. Tout d’abord, la question de la limite du territoire et des voies routières qui traversent Montréal n’est pas soulevée. En effet, il n’y a que quatre grandes artères qui sillonnent tout le territoire de l’est à l’ouest de la région métropolitaine, soit le boulevard Métropolitain, la rue Sherbrooke, la rue Notre-Dame et le boulevard Henri-Bourassa. Le fait de renoncer à implanter des moyens de transports collectifs hautement efficients et concurrentiels au transport individuel sur la rue Notre-Dame et sur les autres artères importantes, comme le fait le gouvernement actuel, exige au préalable que les coûts d’opportunité du projet autoroutier qui est ici privilégié aux modes de transport sur rails, soient évalués. Ce qui n’a jamais été fait.

Selon l’économiste Herman E. Daly : « Dans un monde inoccupé, les coûts d’opportunité étaient bas et conséquemment, plusieurs nouveaux projets valaient d’être réalisés. Dans un monde fortement développé, les coûts d’opportunité sont beaucoup plus élevés, beaucoup d’éléments doivent être déplacés lorsqu’une activité se déploie. Les nouveaux projets doivent dépasser la valeur par défaut la plus élevée pour mériter d’être réalisés. Le fait de devoir se résoudre à réaliser moins de projets n’est pas chose facile pour une société intoxiquée à la croissance. Ainsi, nous persistons à réaliser de nouveaux projets et à en faire toujours davantage, même si ceux-ci valent moins que leur coût d’opportunité, simplement pour produire et maintenir l’illusion de croissance, en évitant alors de prendre en compte que  la croissance est devenue anti-économique plutôt qu’économique. » (Herman E. Daly,  Economics and involuntary displacement. (La traduction est de l’auteure).

De plus, les externalités négatives découlant du projet autoroutier ne sont aucunement considérées par le gouvernement, tels que les impacts sur la santé des populations riveraines dans les quartiers de Mercier, Hochelaga-Maisonneuve, Centre-Sud et les quartiers du Sud-Ouest. Ne sont pas calculés non plus, les gaz a effet de serre supplémentaires générés par l’augmentation du débit automobile sur la rue Notre-Dame qui passera de 80 000 / véhicules par jour à 150 000 véhicules/ par jour.  De même que l’augmentation de la pollution atmosphérique par les particules fines provenant des émanations des véhicules routiers, qui dépassent déjà les normes présentement dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, étant donné sa proximité avec le Port de Montréal. La Direction de la santé publique de Montréal a manifesté publiquement son opposition à la construction de nouvelles autoroutes dans la région métropolitaine en démontrant que ces polluants sont directement reliés à la prévalence des maladies respiratoires et cardiovasculaires pour les personnes vivant près des axes autoroutiers. Également, la question de la sécurité énergétique relativement à l’approvisionnement du pétrole pour le Québec n’est pas envisagée d’aucune manière. On prévoit pourtant que d’ici 2010, un pic pétrolier est anticipé et qu’à court terme le Québec devra modifier sa politique énergétique en conséquence, soit en diversifiant sa consommation de ressources énergétiques et en favorisant les énergies renouvelables et non polluantes. Il est bon de rappeler que le Québec dépend actuellement pour son approvisionnement de pétrole des pays étrangers comme l’Algérie, l’Irak et l’Arabie Saoudite, et ce, dans une proportion de 90 % de son importation.

La croissance de l’offre autoroutière est anti-économique

Plusieurs le répètent, dont les groupes écologistes et les intervenants sociaux préoccupés par les nuisances environnementales sans précédent générées par notre mode de vie actuel : les Québécois ont dépassé, par leur consommation actuelle énergivore, la capacité de support des écosystèmes nationaux. Ce dépassement de la capacité biophysique du territoire à supporter la croissance économique, ne concerne pas seulement nos terres agricoles, nos cours d’eau et la pollution atmosphérique, nous assistons également à un tel dépassement en ce qui a trait aux transports routiers.

La « modernisation » de la rue Notre-Dame, la construction du pont de l’A-25 et la réfection de l’échangeur Turcot ne sont d’aucune façon de simples projets de développement, ils sont véritablement des projets liés à la croissance et ils aggravent d’autant plus le dépassement observé par le commissaire du développement durable dans son rapport de novembre 2007. Même les députés, madame Louise Harel du Parti Québécois  et monsieur Réal Ménard, du Bloc Québécois, d’abord séduit pas le projet de « boulevard urbain de la rue Notre-Dame» en 2005, soutiennent maintenant que le « boulevard » est surdimensionné. Il faut rappeler que ce  « boulevard » sera formé de 8 voies, dont 4 voies dans chaque direction, plus une voie réservée aux autobus. À l’angle Pie-1X, la route s’élargira avec quatre voies supplémentaires de dessertes pour devenir une autoroute à 12 voies. Le pont de l’A-25 a aussi été conçu dans une optique de croissance, afin de permettre à un plus grand nombre de résidants des banlieues  de la Rive-Nord et de la Rive-Sud de traverser la ville de Montréal,  de part en part, par la nouvelle boucle autoroutière.

Virage obligatoire du développement durable

Les moyens de transport actuels axés sur la consommation d’automobiles et de pétrole produisent 40 % des gaz à effet de serre au Québec. Ce simple fait devrait nous faire prendre impérativement un virage obligatoire vers le développement des transports collectifs les plus efficients énergétiquement.  L’on sait déjà qu’il serait possible de déplacer 80 000 personnes par jour par le tram-train sur la rue Notre-Dame, et ceci, à partir des banlieues de l’est de Montréal pour se rendre jusqu’à ville Saint-Pierre. Il nous est possible, dès à présent, de commencer à réduire les gaz a effet de serre que nous générons sur notre territoire national et de contribuer à réduire notre empreinte écologique.

La Loi sur le développement durable commande de nouvelles limites à la croissance de notre économie nationale. Le concept de développement durable, si galvaudé et malmené, et fréquemment utilisé à mauvais escient porte en lui-même une exigence incontournable. Notre gouvernement doit se donner les outils, tels que des indicateurs écologiques, par exemple, afin de respecter les contraintes posées à la croissance par les limites de notre territoire, les limites de la croissance démographique et les limites des ressources non renouvelables. Dans le but de pouvoir réévaluer les nouveaux projets autoroutiers à la lumière de la Loi sur le développement durable, certains demandent qu’un moratoire soit mis en place immédiatement pour tous les nouveaux projets autoroutiers au Québec afin de pouvoir mettre sur pied des États généraux sur une politique nationale des transports. La réalité du réchauffement climatique d’une part, et celle de l’empreinte écologique des Québécois d’autre part,  nécessitent  que  ces demandes soient entendues.

 

 

 


Par Sylvie Woods
Présidente de l”Association Hochelaga-Maisonneuve du Parti vert du Québec

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