Un Québec qui croit au développement durable doit interdire la production d'agrocarburants

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Ces dernières semaines, les actualités nous rappellent qu’il faut se préoccuper de la flambée des prix de l’alimentation et de la crise alimentaire mondiale qu’elle génère. Les analystes sont de plus en plus nombreux à mettre la production d’agrocarburants au banc des accusés.

 

Par Kim Cornelissen
Consultante en développement régional et international
 


 

 
En 2007, le Gouvernement du Québec s’est doté d’une Loi sur le développement durable, et ce, avec l’aval de tous les partis. De même, nos représentantes et représentants, tous partis confondus, sont fiers de se dire pro-Kyoto et proactifs dans leurs gestes et les déclarations posées en faveur de la lutte aux changements climatiques. Le Québec est également fier d’avoir été le premier à interdire l’implantation de nouvelles usines de maïs-grain pour la production de l’éthanol, comme si l’on venait de régler tous les problèmes.   Dans un contexte où le Québec veut se développer de façon durable, il est plus qu’urgent que celui-ci prenne ses responsabilités afin d’éviter qu’il ne soit accusé d’être complice avec le Canada et les États-Unis face à la crise alimentaire mondiale.  Cette dernière constitue le modèle par excellence de l’anti-développement durable et ce, dans toutes ses composantes.

Contexte de la crise alimentaire et lien avec les agrocarburants

Les équipes de recherche s’entendent généralement pour dire que les raisons principales de la crise alimentaire actuelle sont les changements climatiques, l’augmentation du prix du pétrole, la modification de l’alimentation des Asiatiques et les agrocarburants, ce qui a entraîné une forte spéculation des céréales, la nourriture de base de millions, voire de milliards de personnes dans le monde.

S’il peut difficilement agir sur les modifications à l’alimentation en Asie, le Québec doit prendre ses responsabilités face aux dommages créés par le marché des agrocarburants, ce qu’il a déjà commencé à faire… mais qui est loin d’être suffisant. Dans le dossier du maïs-grain, le Québec a pris position pour des raisons environnementales; cet argumentaire ne tient pas compte de l’ensemble des agrocarburants, tout aussi problématiques, ainsi que des questions humanitaires très préoccupantes.

Questions environnementales

J’ai déjà traité de la question des problèmes environnementaux liés à l’éthanol par maïs-grain dans un article précédent, disponible dans la section Analyse de Gaïa Presse de même qu’au 13e chapitre du livre Porcheries : la porciculture intempestive au Québec, un collectif sous la direction de Denise Proulx et Lucie Sauvé et disponible aux éditions Écosociété.   J’invite les lectrices et lecteurs à s’y référer pour se familiariser avec la question.

En complément à cette information, il est important de comprendre que le fait d’avoir abandonné l’idée du maïs-grain pour l’éthanol est louable mais ne constitue qu’un pas dans la bonne direction.  Le fait de cultiver d’autres céréales (blé, soya) ne réglera en rien le problème, de même que le recours au chanvre ou au panic érigé.  Pourquoi? Parce que c’est à la fois le produit agricole et l’utilisation des terres en production agro-industrielle pour produire de l’énergie qui crée des problèmes.  La source de production d’éthanol n’étant pas étiquetée, toute forme de production de celui-ci contribue à empirer la crise alimentaire puisqu’elle s’inscrit dans la promotion de l’utilisation d’éthanol en transport comme agrocarburant.

Questions économiques

Les agrocarburants soulèvent plusieurs problèmes économiques, dont une influence importante sur la  spéculation à la hausse des denrées de base, l’un des éléments centraux de la crise alimentaire mondiale actuellement. Un autre aspect devrait également préoccuper le Québec au plus haut point: le fait de soutenir de façon artificielle les cultures énergétiques empêche d’autres biocarburants moins dommageables de prendre leur essor et retarde l’émergence d’un véritable marché de la technologie hybride électrique, dont les fameuses «plug-in».  Pour mieux en comprendre en quoi les agrocarburants nuisent à l’expansion d’autres marchés plus durables, il faut examiner la question suédoise, où tous ces modes sont en émergence actuellement.

Alors qu’elle était pionnière dans la mise en marché de ses automobiles au biogaz, l’entreprise manufacturière Volvo Car Corporation, propriété de Ford Motor Company, a remplacé cette production – qui s’inscrit tout à fait dans une optique de développement durable – par des automobiles fonctionnant à l’éthanol.  Comment explique-t-elle son choix?  L’éthanol pouvant être mélangé directement à l’essence, celui-ci ne nécessite pas d’infrastructures coûteuses de distribution ou de modifications importantes à la voiture, ce qui est le cas pour le biogaz, qui doit disposer d’infrastructures de distribution spécifiques alors que les automobiles doivent avoir un deuxième réservoir (gaz naturel ou biogaz).    Peu importe que le biogaz et l’électricité puissent être également utilisés pour du chauffage ou d’autres usages ou que ceux-ci puissent éliminer l’obligation d’utiliser du pétrole, l’éthanol est plus facile à commercialiser.

La Suède elle-même ne fait pas de distinction dans les subventions généreuses qu’elle accorde aux propriétaires de véhicules dits environnementaux.  Comme il n’y a pas de distinction entre les automobiles à l’éthanol, le biogaz ou les hybrides électriques, le marché de l’éthanol détrône les autres marchés. Il est évident que la promotion de l’éthanol comme carburant environnemental ne pourra durer: les articles dans les journaux suédois se multiplient sur les conditions de quasi-esclavage des adultes et des enfants au Brésil – d’où provient 20 % de l’éthanol utilisé en Suède –, ce qui rend cet agrocarburant bien moins intéressant.  De plus, son impact sur la crise alimentaire actuelle créera à plus ou moins court terme un conflit éthique, dans un pays qui consacre une portion importante de son produit intérieur brut pour soutenir les pays en difficulté. 

C’est face à une telle situation que l’on peut comprend que le développement durable va bien au-delà des questions environnementales: les questions sociales et économiques font maintenant partie de l’équation.  Or, il y a avantage à en tenir compte: tout comme Jean Ziegler, rapporteur spécial en alimentation de l’ONU le mentionnait, si l’on imposait un moratoire de cinq ans sur la production d’agrocarburants, cela laisserait le temps à d’autres marchés moins problématiques d’émerger plus facilement: biogaz, éthanol cellulosique, hybride électrique, efficacité énergétique et autres initiatives en mobilité durable.

 

Questions sociales

Plusieurs groupes environnementaux, dont Québec-Kyoto, Greenpeace et l’AQLPA (Association québécoise pour la lutte à la pollution de l’air) ont demandé au Gouvernement fédéral d’abandonner la filière des agrocarburants, entre autres en révisant le projet de loi C-33 qui vise à obliger un pourcentage de 5 % dans l’essence d’ici 2010.  L’objectif de cette demande est de réduire la pression sur les causes de la crise alimentaire mondiale.

Par ailleurs, le National Farmer’s Union a démontré de façon éloquente que les agrocarburants ne profitent qu’à peu d’agriculteurs et ce, pour plusieurs raisons: les surfaces de culture doivent être immenses, ce qui remet en question la possibilité pour les petits producteurs de profiter de la manne. Si c’est le cas au Canada, cette situation est exacerbée dans les pays du Sud, ou les agricultrices et agriculteurs cultivent de petites surfaces et se nourrissent du peu que la terre leur donne: non seulement ils ne peuvent pas produire des cultures énergétiques mais ces gens utilisent souvent toutes leurs ressources pour se nourrir.

Les agrocarburants font augmenter le prix des céréales servant à l’alimentation animale et la pression spéculative sur les terres, étant donné leur utilisation pour d’autres usages que la production énergétique, dont l’agriculture de terroir, bio et de niche.  De fait, l’étude du NFU démontre que les agrocarburants profitent d’abord aux très grandes multinationales qui produisent des pesticides et des engrais, des semences OGM ou de la machinerie agricole (2).

 

Souffrance des familles et des enfants

Selon le rapport «Our Common Future» de la Commission Brundtland, le développement durable présuppose une solidarité inter et intra générationnelle. Or, selon Jean Ziegler, la crise alimentaire actuelle entraîne la mort, de façon directe ou indirecte, de 100 000 personnes par jour. Si cette situation existait ici, le peuple québécois serait entièrement disparu en moins de 3 mois…  Un Québec «fou de ses enfants» doit réagir à la détresse des autres familles qui perdent des enfants, une sœur, un frère, des voisins, leur femme ou leur mari, des grands-parents. Le Québec doit prendre ses responsabilités et servir de modèle au Canada et aux États-Unis à ce sujet;  s’il y a bien un projet de société qui devrait rallier les générations et les partis, c’est celui de réduire la détresse liée à cette crise en mettant de la pression pour améliorer la situation et ce, même s’il est déjà trop tard pour bien de ces gens.

Pistes de solution

La première solution qui s’impose, c’est celle de Jean Ziegler, qui propose un moratoire de cinq ans sur les biocarburants ainsi que des mesures visant à briser la spéculation par des normes boursières précises.  Dans le premier cas, tous les partis politiques québécois ainsi que les partis alternatifs doivent faire front contre le projet de loi C-33. Du même coup, le gouvernement québécois doit cesser d’offrir toute subvention ou avantage fiscal aux producteurs de cultures énergétiques ainsi qu’à la production d’éthanol par agrocarburant, y compris celles qui sont déjà en place. Les subventions agricoles doivent demeurer disponibles uniquement pour la production alimentaire.  Cette proposition avait d’ailleurs été suggérée par Benoît Girouard, de l’Union paysanne, dans le reportage de Guy Gendron sur l’éthanol diffusé en octobre 2007 sur les ondes de Radio-Canada. La stratégie énergétique du Québec doit être également modifiée afin de s’assurer que le 10 % d’éthanol en 2012 ne proviendra pas de cultures énergétiques, ce qui signifie entre autres l’étiquetage obligatoire de l’éthanol.

Dans le second cas, le Gouvernement du Québec doit faire des pressions à l’international afin de s’assurer que la spéculation ne se fera pas sur les denrées de base telles que les céréales ou l’eau.   Dans plusieurs dossiers  internationaux, le Québec a démontré qu’il était capable de prendre position; il est plus qu’important de le faire sur ce dossier.

Dans un second temps, la stratégie énergétique du Québec doit par ailleurs être plus « agressive » en ce qui a trait au soutien et à la recherche et au développement de carburants et modes de propulsion alternatifs, de même que la mise en place de mesures de mobilité durable, en tenant compte par exemple des propositions de l’Union des municipalités du Québec à cet égard (4).

Enfin, le Québec devrait faire une réflexion globale sur l’énergie en priorisant celle-ci selon une analyse de cycle de vie qui tient compte de son impact sur l’environnement et la société.  Un tableau à cet effet est illustré ci-dessous.

 

Classification des sources d’énergie en fonction de leur impact sur l’environnement et la société

Négatif

(la production d’énergie a un impact négatif important)

Neutre

(la production d’énergie a un impact neutre ou faible)

Positif

(la production d’énergie solutionne certains problèmes)

  • Gaz naturel
  • Agrocarburants
  • Charbon
  • Nucléaire
  • Barrages
  • Éolien
  • Solaire
  • Marées
  • Géothermie
  • Biocarburants autres que les agrocarburants
  • Négawatts
  • Mobilité durable (transport collectif, vélos, marches, auto-partage, gestion des déplacements, etc.)

 

Si le Gouvernement du Québec hésite à faire ces gestes, eh bien, qu’on cesse de parler de développement durable.  Je suis toutefois convaincue que ce ne sera pas le cas.  Le Québec est reconnu pour sa solidarité; à nous de répondre à l’appel de l’ONU afin de créer un effet domino entre nations pour agir face à une crise dont nous sommes en partie responsables.  Le Bloc Québécois a également une responsabilité à cet égard.


Par Kim Cornelissen
Consultante en développement régional et international

ckimc21@gmail.com

  


Références :

(1) Stratégie de développement durable du Québec

(2) Bulletin mensuel de janvier 2007 du National Farmers Union

(3) Crise alimentaire : Jean Ziegler propose un moratoire sur les biocarburants

(4) Politique de mobilité et transports durables 2008 de l’Union des municipalités du Québec

 

 

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