Pour un vrai débat sur la valorisation énergétique sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal

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Par Karel Ménard
Directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets


 

Ce matin même, débute à Montréal un colloque international sur les meilleures pratiques de traitement et de valorisation des matières résiduelles, organisé par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).

Le choix des sujets qui y seront abordés, de même que les conférenciers qui y sont invités, ne semblent présenter aucune équivoque quant à l’issue des discussions : on veut se conforter dans le choix qu’a fait la CMM de vouloir transformer nos déchets en énergie.

Le sujet est à la mode et, qui plus est, il est moussé par des arguments qui ne manquent pas de susciter l’enthousiasme chez nos élus : transformer nos déchets en énergie susciterait une plus grande acceptabilité sociale que le recours aux dépotoirs. La méthode serait à la source d’une production d’une énergie propre et renouvelable, et surtout, elle conduirait à  un enfouissement zéro prévu pour 2025, etc. En fait, pour ceux et celles qui suivent ce dossier de près, c’est une véritable offensive des tenants de la production d’énergie avec nos déchets à laquelle nous assistons depuis quelques mois.

Ce qu’il y a d’assez incroyable, c’est qu’il y a à peine un an, personne ne parlait de ces nouvelles technologies, dispendieuses certes, mais qui nous sont présentées aujourd’hui comme étant nécessaires. Elles nous sont présentées comme une solution pour régler une fois pour toute le problème de la disposition de nos déchets avec, en prime, une multitude de bienfaits pour notre environnement et notre économie.

Quand on sait également que la CMM demande 850 millions de dollars à Québec pour financer les infrastructures requises pour de telles installations de traitement, on est peut-être en droit d’en savoir un petit peu plus sur la question. Car dans les faits, on n’en sait que très peu.  L’information qui percole ne semble pas toujours être d’une rigueur à toute épreuve, surtout sur le plan environnemental. Et, l’événement qui nous intéresse, parions-le, ne fera que l’apologie de ces nouvelles technologies une fois de plus.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Conformément à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), chaque MRC a dû se doter, au cours de ces récentes années, d’un plan de gestion des matières résiduelles (PGMR) pour les déchets produits sur son territoire. Dans le cadre de la LQE, la CMM est assimilée à une MRC. Ces PGMR, comme tout bon outil de planification en la matière, doivent notamment inclure les infrastructures de mise en valeur et d’élimination existantes – ou requises – afin d’atteindre les objectifs de recyclage du gouvernement. Aussi, conformément à la Loi, les PGMR doivent faire l’objet d’une consultation publique sur le territoire qu’ils couvrent. Jusque-là, tout est simple.

Au cours des étapes qui ont précédé l’adoption du Plan métropolitain de gestion de matières résiduelles de la CMM, le scénario envisagé pour la disposition de nos déchets était le recours à l’enfouissement et ce, au moins jusqu’en 2030 (1). L’incinération et a fortiori la valorisation énergétique avaient d’emblée été écartées par la CMM lors des consultations publiques.

Aussi, dans le PMGMR de la CMM, qui découle de cette consultation et qui est entré en vigueur en août 2006, jamais il n’a été question de valorisation énergétique, encore moins de gazéification pour traiter les déchets. Le mot gazéification y est, de surcroît, carrément absent.

Ce n’est que quelques mois après l’adoption officielle du PMGMR de la CMM que des rumeurs ont commencé à circuler sur de nouveaux procédés de traitement des déchets. Notamment suite à l’insistance d’un journaliste, la CMM rendait public, à l’automne 2007, un document intitulé Comparaison des technologies et des scénarios de gestion des matières résiduelles (2)

C’est donc suite à la publication de ce document, réalisé pour le compte de la CMM par un consortium formé des firmes Solinov et SNC-Lavalin, qu’une frénésie entourant les technologies de valorisation énergétique s’est véritablement emparée des élus de la CMM. 

De quoi parle-t-on au juste?

Si, effectivement, nous entendons beaucoup parler de valorisation énergétique, de quoi est-il question au juste? La CMM parle principalement de gazéification. L’agglomération de Montréal, elle, n’a pas encore fait son lit et propose une usine pilote de pré-traitement de même que la réalisation d’études détaillées pour une expérimentation thermique (3). On entend même parfois que l’incinération avec récupération d’énergie pourrait être une technologie retenue. Bref, on croit que la valorisation énergétique est la voie à suivre, mais on ne sait pas trop de quelle façon exactement.

Si vous croyez que ce ne sont que des détails techniques, détrompez-vous. En fonction des technologies retenues et des matières traitées, les impacts environnementaux et économiques peuvent être très différents. Et ils ne sont surtout pas neutres, loin de là. Même la gazéification, souvent présentée comme n’émettant pas de gaz à effet de serre, ne fait pas l’unanimité au sein de l’industrie des déchets. Selon les résultats d’études présentées dans la revue Solid Waste & Recycling (4) du printemps 2007, elle émettrait en fait plus de gaz à effet de serre que tous les autres procédés thermiques de production d’énergie, y compris les centrales au charbon ou l’incinération!

Occultée lors des consultations publiques sur le PMGMR, la valorisation énergétique prend maintenant toute la place. On veut maintenant nous vendre la production d’énergie à partir de nos déchets à grand renfort de sondages, de communiqués, d’études, de missions en Asie et même de colloques internationaux sur la question. 

Et c’est un peu pour ça que le débat est faussé aujourd’hui. En fait, il n’y a pas de débat du tout.

Ce qui n’est pas dit

Premièrement, les 850 millions de dollars demandés par la CMM à Québec ne sont destinés qu’au traitement des déchets issus des ménages, autrement dit, le bon vieux sac vert. Cette somme ne couvre pas le traitement des déchets produits par les industries, les commerces ou encore les institutions. Les déchets résidentiels ne représentent qu’un peu plus du quart (25%) de l’ensemble des déchets générés sur le territoire. Cela fait en sorte que les 75% qui restent, soit grosso modo plus de 4 millions de tonnes par année, devront continuer à utiliser les filières de traitement actuelles, le recyclage ou l’enfouissement (5). Le projet de la CMM ne mettra donc pas un terme au recours à l’enfouissement comme cela est souvent mentionné.

Deuxièmement, l’énergie produite à partir des déchets n’est pas considérée comme étant une énergie renouvelable dans la Stratégie gouvernementale de développement durable du gouvernement du Québec, publiée en décembre 2007. On veut réduire la production de déchets au Québec, non la favoriser, prétextant que ceux-ci seront transformés en énergie verte. Il s’agit-là d’une utilisation abusive du concept d’énergie verte.

Troisièmement, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) revoit actuellement la définition même de la valorisation que l’on retrouve dans la LQE. Des précisions seront apportées sous peu sur les traitements considérés comme étant effectivement de la valorisation et ceux qui seront assimilés à de l’élimination. Selon la LQE, la valorisation énergétique est une forme de recyclage et entre donc dans les calculs de notre performance environnementale. Or, certaines formes de valorisation énergétique ne sont ni plus ni moins que de l’incinération et pourraient donc bientôt être considérées comme telle, comme de l’élimination en fait. Il s’agit-là d’un point capital car les municipalités reçoivent maintenant des sommes d’argent en fonction de leurs performances environnementales dans le domaine de la gestion des déchets. Il n’est donc pas étonnant de voir un tel engouement pour la production d’énergie avec nos matières résiduelles. Mais, attention, ce que l’on croit être de la valorisation aujourd’hui, pourrait bien être considéré comme étant de l’élimination demain.

La CMM considère le déchet ultime – celui qu’elle veut valoriser énergétiquement –  comme étant le déchet qui n’a pas été pris en charge par la collecte sélective, celui qui se retrouve dans le sac plutôt que dans le bac. En fait, ce n’est pas parce qu’une matière ne prend pas le chemin du recyclage qu’elle est automatiquement un déchet ultime. C’est simplement qu’elle n’a pas été mise au bon endroit initialement. Par définition, un déchet ultime ne peut être mis en valeur car déjà issu du tri, du conditionnement et de la valorisation de toutes les matières résiduelles (6). La CMM a donc un concept assez élastique du déchet ultime. Éventuellement, la collecte sélective traditionnelle pourrait même perdre du terrain face à la valorisation énergétique. La matière résiduelle se retrouverait, selon la CMM, valorisée de toute façon, mais énergétiquement. Il y aurait alors un non-respect de la hiérarchie des 3RV que l’on retrouve dans la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008.

Une autre chose n’est pas dite. Toute infrastructure de valorisation énergétique a besoin d’un carburant. En l’occurrence, il s’agirait ici de déchets. Ces infrastructures sont plus friandes de matières résiduelles à haut potentiel calorifique : produits dérivés du pétrole, plastiques, papiers, cartons, etc.  Il est assez difficile de tirer de l’énergie avec un chargement de briques ou de matières gorgées d’eau. En conséquence, il y a un risque certain que l’on assiste à une destruction thermique de ressources (plastiques, cartons, etc.) plutôt que de les voir réintroduites dans d’autres cycles de production et ainsi préserver des ressources vierges.

Le dernier point abordé ici sera le coût de ces infrastructures et de leur opération. À un prix d’implantation estimé de 850 millions de dollars, cela veut dire qu’il faudra alimenter ces infrastructures avec de grandes quantités de matières résiduelles afin de les rentabiliser. Peut-être même que leurs exploitants exigeront des quantités garanties à des prix garantis. Advenant un tel scénario, il est bien peu probable que l’on fasse sérieusement la promotion de la réduction à la source ou même, qu’il nous reste suffisamment de moyens financiers pour le faire.

En guise de conclusion…

En gestion des matières résiduelles, les solutions les plus coûteuses sont rarement les meilleures : elles impliquent presque toujours un accroissement des quantités des matières résiduelles à être traitées afin de les rentabiliser. Aussi, loin d’être sans failles, elles nous rendent dépendantes de technologies qui abordent le problème en aval alors qu’il devrait être géré en amont.

Si l’argent prévu pour la construction de ces usines de traitement thermique des déchets était investi dans l’éducation, la sensibilisation, dans des programmes de recyclage, de réutilisation et de compostage efficaces, peut-être ne penserions-nous même plus à ce qui nous est aujourd’hui proposé. Mieux, il nous resterait de l’argent.

 


 

Par Karel Ménard
Directeur général
du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets


Karel Ménard est diplômé en science politique et administration publique de l’Université d’Ottawa. Hormis un court séjour dans le domaine de la coopération internationale, il est directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique depuis 1995. De par ses fonctions, il a été un témoin et un acteur privilégié de tous les développements qu’a connus le Québec dans le domaine de la gestion des déchets depuis une douzaine d’années, notamment la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008. Son expérience et son expertise dans ce secteur l’amènent fréquemment à se déplacer dans les régions du Québec afin de donner un support à des citoyens ou des groupes soucieux d’implanter une gestion écologiques de leurs matières résiduelles dans leur région.

 


Sources :

(1) Communauté métropolitaine de Montréal, Projet de PMGMR soumis à la consultation publique, Vers une gestion responsable de notre environnement, septembre 2003, p. 81.
(2) SNC-Lavalin / Solinov, Comparaison des technologies et des scénarios de gestion des matières résiduelles réalisée dans le cadre du PMGMR, mai 2007, p. 330.
(3) Ville de Montréal, Projet de plan directeur de gestion des matières résiduelles de l’agglomération de Montréal 2008-2012, 2008, p.83.
(4) Solid Waste & Recycling, April / May 2007.
(5) Communauté métropolitaine de Montréal, Plan métropolitain de gestion des matières résiduelles, 2006, p. 48.
(6) Gouvernement du Québec, Gazette officielle du Québec, 30 septembre 2000, 132e année, no 39, p. 970.

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