Des résidus forestiers pour les biocarburants, un choix judicieux?

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Par Jean-Philippe Michel et Louis-Etienne Robert
Étudiants au Centre d’étude de la Forêt


 

La production de biocarburants a été vertement critiquée et accusée d’exacerber la crise alimentaire mondiale. Nous n’avons qu’à penser à l’explosion du prix du maïs et la crise de la Tortilla au Mexique pour comprendre que l’utilisation de biomasse dérivée de l’agriculture peut engendrer des conséquences pernicieuses sur la disponibilité et la capacité de production de nourriture. En effet, les critiques ont surtout été centrées sur l’équilibre entre l’utilisation de terres agricoles pour produire de la nourriture ou pour « faire rouler des voitures ». Le développement de la filiale des bioénergies de seconde génération, c’est-à-dire la bioénergie produite à partir de résidus agricoles ou forestiers, pourrait permettre de contourner ce problème en produisant des biocarburants avec de la biomasse non comestible.

Les résidus forestiers, c’est-à-dire les branches et le feuillage laissés sur les parterres de coupe pourraient ainsi être revalorisés. Le récent Livre vert du Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) suggère d’ailleurs d’allouer les ressources nécessaires au développement de cette avenue car l’idée d’exploiter ces résidus forestiers séduit, et les pressions pour lancer notre industrie dans cette voie se font grandissantes. Cependant, un questionnement s’impose afin de déterminer l’efficacité réelle ainsi que les impacts à long terme de ce type d’industrie.

La récolte des résidus forestiers

La récolte par arbres entiers, c’est-à-dire lorsque le tronc est récolté avec les branches, a dominé le paysage forestier québécois des trente dernières années. Les arbres étaient alors transportés en entier jusqu’au bord des chemins forestiers, où ils étaient ensuite ébranchés. Les branches, n’étant pas valorisées, étaient laissées sur place, créant de gros monticules improductifs appelés andins. Par contre, avec l’arrivée d’abatteuses multifonctionnelles, la récolte par arbres entiers a décliné de façon progressive pour faire place à une récolte par troncs entiers, où les arbres étaient ébranchés sur le site de la récolte, évitant ainsi la création de ces andins. Présentement, environ la moitié des coupes au Québec est faite par troncs entiers, méthode encouragée par les critères d’aménagement durable des forêts du MRNF. Avec la revalorisation possible des résidus forestiers, cette tendance pourrait s’inverser et la récolte par arbres entiers pourrait effectuer un retour allant ainsi à l’encontre des critères d’aménagement durable des forêts.

Selon la Loi sur les forêts, la biomasse forestière est définie par les branches, cimes et feuillages des arbres ainsi que les arbustes. Ce qui diffère de pays tels que la Suède qui ont choisi d’inclure les racines et les souches des arbres. Étant donné que le calcul de la possibilité forestière estime le volume de bois disponible, il est possible d’extrapoler sur la quantité de biomasse disponible et ensuite d’attribuer ce volume pour la récolte. Présentement, un permis d’intervention pour la récolte des résidus forestiers peut être délivré par le MRNF, « si la possibilité forestière le permet et si l’intervention favorise l’aménagement forestier » (1). À l’échelle de la province, la récolte des résidus n’augmentera pas nécessairement la superficie d’exploitation car elle se produirait en parallèle aux opérations régulières d’exploitation. Par contre, l’exploitation de la biomasse pourrait ouvrir la porte à la surexploitation de la forêt si des volumes qui ne sont pas présentement attribués à l’industrie sont récoltés, ou si des coupes sont réalisées avec pour seul but de produire des biocarburants.

Bilan carbonique

L’ensemble de la forêt commerciale québécoise, sur une base annuelle, génère approximativement 2,9 millions de tonnes de résidus forestiers (2). Cette ressource est non seulement abondante, mais pourrait avoir des impacts environnementaux majeurs, lorsqu’on sait qu’une tonne de bois peut générer entre 400 et 700 litres d’éthanol qui pourraient alors être utilisés pour remplacer entre 300 et 450 litres de combustibles fossiles (3). Il faut par contre relativiser ces chiffres impressionnants, car il existe plusieurs difficultés techniques qui rendent la récolte de la totalité de ces résidus impossible. De plus, le transport des résidus et leur transformation diminuent l’efficacité énergétique globale du processus. Malgré tout, ces chiffres nous permettent de croire qu’en ne valorisant qu’une petite partie de cette biomasse, les gains environnementaux pourraient être considérables.

Ainsi, l’utilisation des biocarburants a souvent été décrite comme un moyen de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il faut se rappeler que c’est la substitution des combustibles fossiles par les biocarburants qui permet de réduire nos émissions, car le pétrole provient d’un réservoir de carbone entreposé sur une échelle de temps géologique (sur des millions d’années) tandis que les biocarburants sont produits par la fixation du carbone se retrouvant déjà dans l’atmosphère. Des études théoriques ont évalué la réduction nette de gaz à effet de serre par la substitution des combustibles fossiles vers l’éthanol cellulosique à 71% (4). Cependant, cette estimation ne considère pas le carbone provenant du changement d’utilisation des terres et encore moins des pratiques forestières. En effet, la remise en production forestière de zones en friche permet d’avoir un bilan positif sur la réduction des gaz à effet de serre, mais des plantations à caractère énergétique ou l’exploitation systématique pour la production d’énergie pourraient diminuer ou annuler les gains obtenus par la substitution des combustibles fossiles. Lors d’une récolte future de biomasse, des facteurs tels que les types de sols, les types de peuplements, la quantité/qualité du matériel extrait devront être considérés afin de connaître notre impact réel sur la réduction des gaz à effet de serre.

Rentabilité énergétique

La rentabilité énergétique et économique des biocarburants est aussi remise en question. Une étude du cycle de vie réalisée par David Pimentel (5), un économiste américain, évaluait en 2005 que pour produire 1000 litres d’éthanol cellulosique à partir de résidus forestiers, il faut 2500 kg de résidus. Cette conversion nécessite 9 millions de kilocalories pour un rendement 5,13 millions de kilocalories. Selon ce chercheur, le rendement énergétique est donc inférieur à l’énergie utilisée pour sa production, ce qui met en doute l’efficacité de ce type de bioénergie. Néanmoins, ce type d’étude ne considère pas la production de bioénergie basée, comme ce serait le cas au Québec, sur la récupération d’andins ou la récupération pendant les opérations forestières. La production d’éthanol cellulosique aura sans doute une place dans la lutte aux changements climatiques ainsi qu’un rôle dans un nouveau régime forestier. Cependant plusieurs questions, dont des résultats d’analyses de cycle de vie réalisées au Québec, auront besoin de réponses avant de se lancer dans cette production à grande échelle, avec comme justifications la réduction des gaz à effet de serre ou la réduction de notre dépendance au pétrole.

Impact sur la fertilité des sols

Nous devons aussi répondre à une question de taille : est-ce que la récolte des résidus forestiers est durable? Les branches et le feuillage, qui sont laissés sur les parterres de coupe, pourraient être des éléments capitaux tant pour la biodiversité que pour la régénération et la productivité de la prochaine cohorte d’arbres.

Ces résidus forestiers, en se décomposant au cours des années suivant une coupe forestière, retournent progressivement des nutriments dans le sol et préservent ainsi la productivité et la fertilité des sites. En effet, dues aux concentrations nutritionnelles élevées dans les branches et le feuillage, l’exportation de nutriments causée par une récolte par arbres entiers est de deux à quatre fois supérieure à l’exportation de nutriments d’une coupe par troncs entiers (6).

Certains éléments nutritifs et certains sites seraient plus vulnérables que d’autres. En effet, les réservoirs d’azote, dont la source principale est l’atmosphère, ne semblent pas être plus affectés par la récolte de la biomasse que par une perturbation naturelle comme un feu de forêt. Par contre, les réservoirs de calcium, magnésium et potassium, tous des éléments essentiels aux arbres, pourraient être significativement affectés par ce type de récolte. On peut alors retrouver moins de ces éléments nutritifs dans le feuillage de la prochaine cohorte, et observer jusqu’à 30% de réduction de la croissance dans les premières années suivant la récolte par arbres entiers (7) (8).

Il est probable que sur certains sites, l’apport en nutriments provenant de la roche mère soit suffisant pour palier aux pertes causées par ces diminutions. Sur plusieurs sites pauvres, probablement plus à risque d’être affectés par une récolte par arbre entier, les changements pédologiques observés ont affecté négativement la vigueur des arbres, leur résistance aux stress environnementaux comme le gel et les maladies, et aussi, leur nutrition. La diminution des réservoirs nutritifs a aussi entraîné une réduction de la croissance et de la productivité des arbres. D’ailleurs, les impacts négatifs peuvent encore se faire sentir 20 ans après la récolte par arbres entiers. Ces études sont suffisantes pour soulever de sérieuses inquiétudes quant à la durabilité de l’exploitation des résidus forestiers.

Impact sur la biodiversité

Les résidus forestiers pourraient aussi être importants dans le maintien de la biodiversité de nos forêts. Le rôle capital que jouent les arbres morts dans le maintien de plusieurs espèces animales est déjà bien documenté. En fait, plus de 25% des espèces de la forêt boréale sont directement dépendantes du bois mort comme habitat ou source de nourriture. Plusieurs études ont démontré que les sites ayant subi une récolte par arbres entiers arboraient une composition d’espèces différentes, et une diversité biologique diminuée par rapport aux sites où les résidus forestiers étaient laissés sur les parterres de coupe (9). Les résidus forestiers pourraient donc jouer un rôle important dans la conservation d’une partie de la biodiversité dans les forêts perturbées par la coupe.

Conclusion

Devant l’engouement généralisé pour les biocarburants et les gains économiques qui pourraient en découler, il est tentant d’investir massivement dans cette industrie. Cependant, il existe plusieurs études qui incitent à la prudence et à la réflexion, car les impacts environnementaux sur la biodiversité ainsi que sur la productivité forestière pourraient créer des problèmes à long terme. De plus, les analyses du cycle de vie effectuées ailleurs mettent en doute l’efficacité des biocarburants pour la lutte aux changements climatiques et même pour la réduction de la dépendance au pétrole. L’une des principales motivations pour un changement de régime forestier est de mettre un peu plus « d’environnement » dans une industrie qui a perdu beaucoup de sa crédibilité avec la parution du film l’Erreur boréale et la publication du rapport Coulombe. Il serait donc sage de prendre le temps d’examiner les impacts à court et long terme de la récolte des résidus forestiers pour la production de biocarburant.



 

Par Jean-Philippe Michel et Louis-Etienne Robert
Étudiants au Centre d’étude de la Forêt

Jean-Philippe Michel a complété son baccalauréat en science de l’environnement à l’université McGill. Il est présentement candidat à la maitrise en biologie à l’UQAM, et membre du Centre d’Étude sur la Forêt. Ses travaux de maitrise visent à quantifier l’impact d’une baisse des réservoirs nutritifs sur la productivité forestière, à estimer la sensibilité des sites à l’exportation de la biomasse, et à évaluer différents indicateurs de la fertilité des sols.

Louis-Etienne Robert est écologiste au Centre d’étude de la Forêt à l’UQAM. Il a complété son baccalauréat en science de l’environnement à l’université McGill et est présentement candidat au doctorat à l’UQAM. Ses travaux portent sur les effets, à l’échelle du paysage, des patrons créés par l’aménagement forestier sur la dynamique des épidémies d’insectes.


Sources :
(1) Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune, Loi sur les forêts, www.canlii.org.
(2) Fortin, F. 2008. Estimation de la disponibilité de la biomasse forestière 2007-2008. Conférence présenté au 2e symposium sur la valorisation de la biomasse forestière et des résidus de transformation de QWEB.
(3) Lachance, M. 2008. Bioénergie et biocarburants Produits à partir de biomasse forestière. Conférence présenté au 2e symposium sur la valorisation de la biomasse forestière et des résidus de transformation de QWEB.
(4) Pin Koh, L. et Ghazoul, J. 2008. Biofuels, biodiversity, and people: Understanding the conflicts and finding opportunities. Biological Conservation 141: 2450-2460.
(5) Pimentel, D. et Patzek, T.W. 2005. Ethanol Production Using Corn, Switchgrass, and Wood;Biodiesel Production Using Soybean and Sunflower. Natural ressources Research. 14: 65-75.
(6) Paré, D., Rochonb, P. et Brais, S. 2002. Assessing the geochemical balance of managed boreal forests. Ecological indicators. 1 : 293-311.
(7) Thiffault, E.D., Paré, D., Bélanger, N., Munson, A. et Marquis, F. 2006. Harvesting Intensity at Clear-Felling in the Boreal Forest : impact on soil and foliar nutrient status. Soil Science Society of America Journal 70 : 691-701.
(8) Mann, L.K., Johnson, D.W., West, D.C., Cole D.W., Hornbeck, J.W., Martin, C.W,. Riekerk, H., Smith, C.T., Swank, W.T., Tritton, L.M. et Van Lear, D.H. 1988. Effects of whole-tree and stem-only clearcutting on postharvest hydrologic losses, nutrient capital and regrowth. Forest science 34 : 412-428.
(9) Astrom, M., Dynesius, M., Hylander, K. et Nilsson, C. 2005. Effects of slash harvest on bryophytes and vascular plants in southern boreal forest clear-cuts. Journal of applied ecology 42: 1194-1202.
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