Changements climatiques : les Américains sont-ils prêts à négocier leur style de vie?

0

Par Olivier Collin-Haubensak
Étudiant de maîtrise à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM


À mi-parcours, les négociations de la 14ème conférence de l’ONU sur le climat à Poznan penchent entre optimisme mesuré pour les uns et pessimisme affiché pour les autres. Les pessimistes risquent de s’aligner sur la position qu’à l’instar de la conférence de Bali, les intérêts particuliers des nations vont encore une fois prendre le dessus sur ceux de la planète. Stavros Dimas, commissaire à l’Environnement de l’Union européenne, estime qu’il ne faut rien attendre de probant de ces tables rondes. Il sait d’expérience que le consensus est difficile à atteindre. Il a affronté la cacophonie précédant l’entente à l’arraché du Plan Climat européen, où il a réussi à extirper une volonté commune de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2020.

De surcroît, les préoccupations à court terme face aux risques encourus par la crise financière actuelle, sont une justification idéale pour repousser les échéances à moyen et long terme du futur traité post-Kyoto, dont les lignes directrices doivent être entérinées à Copenhague en 2009. À l’inverse, les optimistes notent définitivement le grand retour des États-Unis, le plus grand émetteur de GES après la Chine, après huit ans de glaciation idéologique sur la question climatique. Sans artifices, les délégations chinoise et indienne jugent que les objectifs actuels de Barack Obama aux rênes du pouvoir en janvier prochain sont largement insuffisants.

Le plan américain

En effet, le président démocrate vise à ramener les quantités d’émission de GES en 2020 à ceux de 1990 et de les réduire de 80% d’ici 2050. Avec ce plan, les émissions provenant surtout de la combustion des carburants fossiles demeureront toujours supérieures de 14 % par rapport à 1990. Barack Obama a affirmé qu’il instaurerait un système de quotas d’émissions aux entreprises et un marché de droits d’émission (cap and trade en anglais). Alors que penser de ce retour? Doit-il susciter quelques espoirs réels ou la crainte d’un agenda caché? Peut-on espérer que ces volontés politiques seront suivies d’effets mobilisateurs? Bref, peut-on escompter une attitude positivement proactive des États-Unis en vue de ratifier le futur traité de Copenhague sur les changements climatiques?

Trois enjeux de grande importance

Les États-Unis risquent en effet de pondérer leur engouement nouveau pour au moins deux des enjeux actuels de la conférence qui s’articulent autour de trois thèmes forts :

  • les plantations de forêts, qui en tant que capteurs efficaces de CO2, devraient permettre à des pays qui optent pour cette solution de bénéficier d’exemptions sur la taxe globale d’émissions de CO2 dans le cadre du système de compensation basé sur le principe pollueur-payeur. Relativement à cet objectif, les incidences économiques sont faibles pour les États-Unis et ils n’émettront probablement aucune obstruction à l’adoption de l’idée générale de ce texte, puisqu’ils ont conservé depuis 1907 à peu près la même superficie forestière, soit 33 % du territoire américain, même si ces données ne rendent pas compte de la déforestation massive qui s’était opérée depuis la conquête des Européens.

     

  • les développements et transferts technologiques dans une optique d’annulation ou du moins d’assouplissement des positions sur les brevets en relation avec les technologies vertes et les droits de propriété intellectuelle (1) inhérents au développement de ces produits à l’attention des pays du Sud qui les achètent. Si un pays en proie à des sècheresses de plus en plus aiguës fait appel à une technologie américaine de système d’irrigation goutte à goutte peu onéreux, jugé économe en eau et utilisant peu de main d’œuvre, il sera assujetti aux lois américaines qui régissent le code des brevets, dont les droits de propriété intellectuelle. Ces droits liés aux développements et aux transferts technologiques sont encadrées par un corpus législatif contraignant d’accords bilatéraux entre les États-Unis et les pays importateurs de technologie; le tout endossé par le très controversé Accord sur les aspects de droits de propriété intellectuelle édicté par des règles de commerce international adoptées sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

     

  • le financement des coûts d’adaptation au changements climatiques pour les pays pauvres dont les besoins se situent actuellement entre 10 et 40 milliards de dollars, selon la Banque Mondiale. Or, le soutien aux pays pauvres en proie aux changements climatiques dans un contexte de crise financière majeure aux États-Unis n’est pas très vendeur alors que des milliers de citoyens se retrouvent sans emploi ni soutien financier pour leurs besoins sociaux de base.


Les racines profondes des réticences américaines

En avant dernier lieu, la Dream Team du cabinet Obama emporté par la fougue et la liesse populaire risque tout de même de freiner ses nobles ardeurs écologistes au nom du pragmatisme mercantile. Certes, l’équipe d’Obama compte quelques vedettes pro-climat comme Al Gore, récipiendaire du Prix Nobel de la paix 2007 et auteur du film Une vérité qui dérange, dont les rumeurs lui confère le poste honorifique d’ambassadeur sur les changements climatiques. Mais sa mission reste encore à définir.

Avant tout, en priorité des priorités, les hommes forts du président vont s’attabler pour résoudre l’impasse financière, en oeuvrant entre autres à la tête des postes clefs, dont celui du Trésor, avec un homme comme Timothy Geithner. Ancien économiste du Fonds monétaire international (FMI), président de la Banque centrale de New York, il est l’un des principaux artisans du plan d’aide de la Réserve fédérale américaine aux banques américaines et au système de crédit mis à mal par la crise financière. Il est un adepte des vieilles recettes. Il croit foncièrement aux vertus du marché, à la croissance infinie, à la mondialisation autorégulée, ou du moins à un esprit d’interventionnisme modéré de l’État. Quant à Hillary Clinton, Secrétaire d’État de la diplomatie américaine, elle fustigeait la position de George W. Bush concernant la non-ratification du Protocole de Kyoto; mais que connaît-on de sa stratégie depuis qu’elle est officiellement en poste? Si manifestement on pouvait espérer un changement de cap politique et idéologique sur la question climatique de la part des États-Unis, les forces qui s’affrontent tant au plan intérieur qu’extérieur du pays risquent de brouiller les cartes.

Obama et son équipe jonglent avec diverses réalités : le maintien de la logique de marché cadenassée dans une foi quasi-dogmatique en la libre économie et les velléités écologistes qui, pour qu’elles puissent s’appliquer avec efficacité, imposeraient de cadrer ces lois du marché. Or, ces contraintes à inclure dans le nouveau protocole post-Kyoto sont loin de passer la rampe, même si elles sont définies dans un esprit œcuménique. Pour qu’elles soient réalisables, il est essentiel que les Américains soient prêts à revoir leur style de vie.


Car les forces de résistance les plus rebelles au grand vent du changement proviennent surtout de l’intérieur. Non pas de l’opposition républicaine fortement affaiblie depuis les élections de novembre dernier, mais de la population américaine elle-même. L’opinion publique est consciente de la gravité des changements climatiques, mais les avis sur la réalité des impacts sont encore mitigés. Quelque 75 % des Américains considèrent le problème comme “sérieux”, voire “très sérieux” à l’instar des 95 % observés en France. Par contre, l’opinion publique doute de l’origine anthropique liée au phénomène (71 % contre 89 % en France), bien que 70 % des Américains considèrent qu’ils seront “probablement” ou “très probablement” personnellement affectés par le phénomène.

Les conditions du virage vert

Le virage vert aux États-Unis n’est donc pas pour demain. Les structures économiques ne sont pas prêtes et les infrastructures calculées pour le gigantisme et la consommation non plus. Heureusement, des initiatives privées et municipales ainsi que le charisme d’hommes comme le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, travaillent à insuffler l’esprit de l’écologie. Mais est-ce suffisant? Et l’arrivée d’Obama peut-t-elle accélérer la donne rapidement? Clairement, les Américains adopteront de nouvelles orientations plus environnementales lorsqu’ils seront affectés plus intensément par les conséquences des changements climatiques. Alors en peuple pragmatique, ils finiront par réaliser les inadéquations entre leur idéologies économistes et les contraintes naturelles pour finalement réorienter leur vision de monde. En espérant toutefois que cela ne soit pas trop tard…



Par Olivier Collin-Haubensak
Étudiant de maîtrise à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM

 

Olivier Collin-Haubensak est actuellement étudiant de maîtrise à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM. Il participe dans le cadre de ses études à un projet qui tente d’affiner les modèles climatiques en y insérant les données physiologiques dans le but de produire les interactions biosphère-atmosphère dans les modèles. Anciennement détenteur de deux diplômes de premier cycle en administration de Northeastern University (Boston, USA) et en aéronautique avancée (École Polytechnique, Montréal), il a exercé des fonctions de responsable pour les appels d’offres de l’Agence Spatiale Européenne pour le compte de la compagnie Aérospatiale-Matra Lanceurs en France avant la fusion de l’entreprise devenue EADS. Passionné de sciences et d’environnement, il s’oriente vers un doctorat en sciences de l’environnement pour compléter le projet en mesurant les impacts hydrologiques sur le climat global. Il est enfin attelé à la rédaction d’un ouvrage scientifique sur la science des changements climatiques pour les spécialistes en sciences et nourrit plusieurs projets pédagogiques pour divers publics en relation avec ce sujet.

 

 


Sources :
(1) Morin J.F., « Le droit international des brevets : entre le multilatéralisme et le bilatéralisme américain », Études internationales, vol.34, Nº3, déc. 2003, p.537-562 accessible ici.

 

Partager.

Répondre