La reforestation de la Chine sous la surveillance inquiète des ONG

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Par Patrick Alleyn
Correspondant de GaïaPresse basé en Chine


Le voyage en train dans le nord-ouest de la Chine, à travers steppes, oasis, déserts anciens ou nouveaux et jusqu’aux confins de l’Asie centrale, donne à découvrir la plantation du plus long rideau d’arbres protecteur au monde. Surnommée la Grande Muraille verte, cette barrière végétale vise à freiner les vents de Sibérie emportant la terre fertile en de gigantesques nuages de poussière qui submergent, chaque printemps, le nord de la Chine, le Japon, la Corée et même la côte ouest du Canada!


À l’autre bout du pays, dans le sud-ouest, les touristes visitant les montagnes verdoyantes du Yunnan sont toujours médusés de voir des agents forestiers stopper leur autobus pour débusquer des contrebandiers qui y auraient dissimulé du bois illégal dans les compartiments à bagages. La Chine, pays déboisé pendant des centaines d’années, n’est désormais couverte que par 18 % de forêts.

En 1998, les alarmes à la déforestation ont douloureusement sonné : juste après que des tempêtes de poussière gigantesques eurent balayé le nord, des inondations catastrophiques ravagèrent le bassin du fleuve Yangzi, dans le sud, faisant 2500 morts et déplaçant un million de personnes. Cette année-là, la Chine a pris au sérieux son programme de reforestation. Il avait débuté dix ans plus tôt par des campagnes de plantations d’arbres devenues devoir civique pour tous les Chinois! En 1998, le gouvernement a zoné en «réserves naturelles» les forêts du pays. Partout en Chine, l’immense chantier forestier a pris de l’ampleur, grâce à une aide massive de la Banque mondiale.

Forêts à vendre sur le marché du carbone

Durant les négociations de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques qui vient de s’achever à Poznan (Pologne), la Chine a inclus son plan forestier dans son bilan de lutte contre les gaz à effet de serre (GES), grâce au pouvoir des forêts à stocker le carbone. Pour contrebalancer son recours inquiétant au charbon comme source d’énergie, ses plantations ont servi à montrer une Chine soucieuse d’environnement. La Chine, comme plusieurs autres pays en développement, espère obtenir du financement des fonds d’adaptation aux changements climatiques pour parachever son chantier de reboisement, mais elle compte aussi inscrire sa protection des forêts naturelles aux bourses du carbone, si des crédits sont émis en vertu du mécanisme, à définir, de « déforestation évitée » (surnommé REDD, en anglais, pour Reduced emissions from deforestation and degradation). La déforestation compte pour 20 % du total mondial des émissions de gaz à effet de serre.

Deuxième importateur de bois au monde

Mais la Chine a beau reboiser son territoire de façon spectaculaire, l’effet sur la réduction des gaz à effet de serre au niveau mondial est loin d’être garanti. Le bois que les industriels chinois ne taillent plus chez eux, ils le coupent désormais à l’étranger.

«Dorénavant la Chine importe plus de 50 % de son bois et elle est devenue le deuxième importateur de bois au monde, après les États-Unis», rappelle le Chinois Wang Aimin, directeur du programme de foresterie durable pour l’ONG Global Environmental Institute (GEI). Il s’inquiète du rôle des entreprises chinoises dans le déboisement illégal en Asie du Sud-Est et, de plus en plus, en République démocratique du Congo, en Afrique. En Indonésie, 90 % du bois exporté vient de coupes illégales, selon Greenpeace. Le bois de contrebande du Myanmar (Birmanie), sous sa dictature militaire, a franchi sans vergogne la frontière chinoise jusqu’à ce que la police chinoise sévisse en 2006.

La Chine est le seul pays d’Asie où le couvert forestier a augmenté depuis 20 ans (de 12 % à 18 %). Mais la protection de ses forêts la pousse à importer la moitié de son bois, dont la majeure partie vient de pays ravagés par la coupe illégale (par exemple, jusqu’à 90 % en Indonésie).
Le cas de la Chine illustre la complexité du combat qui nous attend pour éviter la déforestation, cause de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.


«Nous sommes en train de développer une collaboration avec le ministère des Forêts, le ministère de l’Environnement et celui du Commerce, afin d’aider à élaborer des contrôles des importations de bois en Chine», explique Wang Aimin. Son ONG est basée à Pékin et reliée au célèbre World Watch Institute, fondé par l’économiste et écologiste américain Lester Brown. L’ONG a des projets pilote de partenariat avec des entreprises chinoises en Asie de l’est, et elle développe des certifications du bois. «Nous voulons aider les entreprises chinoises à pratiquer une foresterie durable à l’étranger», expose l’ingénieur forestier de 36 ans.
«Par exemple, poursuit-il, nous sommes en train de persuader l’entreprise Everbright d’abandonner sa concession de coupe de bois dans une forêt du Cambodge, et, avec l’aide des gouvernements cambodgien et chinois, nous sommes à identifier un terrain dégradé sur lequel l’entreprise pourrait planter des arbres » L’ONG espère qu’au terme du processus, ce projet pourrait recevoir du financement international en vertu d’un crédit de «déforestation évitée» (REDD).

D’autres ONG présentes en Chine, comme le Fonds mondial pour la nature (WWF) ou l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCF) développent des projets de foresterie durable similaires, avec le concours des ministères chinois concernés.

Contrôle international du bois

Tamara Stark, activiste de Greenpeace Canada durant dix années, a été à l’avant-plan du combat pour protéger les forêts de Colombie-Britannique. De 2006 à 2008, elle est venue prêter main forte à la jeune équipe chinoise de Greenpeace à Pékin :  «Au début, quand nous avons commencé nos campagnes contre l’importation de bois illégal en Chine, dit-elle, le gouvernement chinois était dans le déni total. Aujourd’hui, les autorités reconnaissent qu’elles ont une part de responsabilité», relate la Canadienne.

«Mais les États-Unis, le Japon et l’Europe ont aussi un rôle à jouer, analyse-t-elle. Une grande partie (30 %) du bois qu’importe la Chine est ensuite réexportée, sous forme de produits manufacturés, comme du contreplaqué», explique-t-elle. «Les États-Unis et l’Union européenne sont sur le point d’adopter des législations pour interdire l’importation de bois illégal sur leur marché et le gouvernement chinois se prépare à adapter son industrie à cette nouvelle dynamique internationale», conclut la spécialiste des forêts de Greenpeace.



Par Patrick Alleyn
Correspondant de GaïaPresse basé en Chine

 

Patrick Alleyn est un journaliste et photographe montréalais basé en Chine. Après des études en journalisme et en cinéma à l’UQÀM et à l’Université de Montréal, il s’est d’abord engagé, durant 12 ans, comme organisateur communautaire dans la défense des personnes itinérantes, puis dans la revitalisation des quartiers défavorisés à Montréal. De 2000 à 2004, il se joint au magazine Recto Verso, spécialisé dans les reportages sociaux et environnementaux, où il occupe les fonctions de rédacteur en chef adjoint et de directeur photo. Depuis 2004, il poursuit une carrière de reporter indépendant, surtout à l’étranger, où il s’intéresse notamment aux grands chantiers environnementaux. On peut lire son reportage sur les tempêtes de poussière en Chine (en anglais), accompagné des images de Benoit Aquin (Prix Pictet 2008), sur le site du magazine The Walrus : www.walrusmagazine.com/articles/2007.10-china-desert/ 

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