La valorisation énergétique est-elle, comme plusieurs le voudraient, la meilleure voie d’élimination des déchets?

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Par Gilles Côté,
Directeur général du Conseil régional de l’environnement de Lanaudière


 

Largement utilisée dans plusieurs pays comme moyen d’élimination des résidus ultimes, l’incinération doit-elle remplacer chez nous les traditionnels lieux d’enfouissement? Depuis quelques années, l’enfouissement n’a plus la cote. Les lieux d’enfouissement nécessaires pour accommoder le flux grandissant des résidus destinés à l’élimination provenant de nos agglomérations urbaines sont maintenant perçus comme surdimensionnés, socialement et environnementalement incompatibles avec les préoccupations de développement durable de nos administrations. 


Ce même constat vaut aussi pour les incinérateurs de déchets domestiques qui sont à plusieurs égards une technologie vieillotte produisant une kyrielle d’impacts environnementaux variant selon les paramètres de conception et d’opération. Le cas de l’incinérateur de la Ville de Québec est éloquent parce qu’il a déclaré, en 2002, les plus importants rejets totaux de dioxines et de furannes en Amérique du Nord, selon la Commission de coopération environnementale de l’ALENA (CCE) (1).  L’expérience étrangère en matière d’incinération, notamment en France, devrait aussi nous inciter à la prudence.


Les nouvelles technologies de valorisation énergétique des déchets, technologies de type WTE (acronyme anglais provenant de l’expression waste to energy) sont activement présentées par leurs promoteurs comme une solution environnementalement désirable en comparaison avec les lieux d’enfouissement et les incinérateurs classiques. Ces technologies semblent intéresser les décideurs/acteurs du milieu qui cherchent des technologies de moindre impact environnemental qui puissent offrir des caractéristiques favorables au regard du développement durable. 

Incinération et valorisation énergétique

Un incinérateur de déchets domestiques reçoit à l’entrée le contenu intégral de nos poubelles, un mélange hétérogène de matières et d’objets souvent composites. L’arrivée de ces déchets dans le four, de même que leur composition, n’est pas toujours régulière de sorte que les paramètres de combustion ne peuvent pas toujours être rigoureusement contrôlés et s’éloignent souvent des conditions idéales de bonne combustion.


Les incinérateurs produisent des rejets. Environ un quart de la masse des déchets originaux se retrouve sous la forme de mâchefers (résidus imbrûlés aux températures d’opération) et 5 % sous la forme de cendres volantes (cendres transportées avec la fumée), beaucoup plus toxiques que les déchets originaux. De plus, une foule de rejets gazeux sont produits dont on a historiquement négligé les effets sur la santé mais qui sont l’objet de traitements d’épuration dans les incinérateurs modernes.

 

Dans les pays où l’incinération est couramment utilisée dans le cycle d’élimination des matières résiduelles, on note l’émergence d’une vaste contestation face à cette pratique. Partout, elle soulève l’opposition des populations riveraines auxquelles on l’impose car, comme dans le cas de nos sites d’enfouissement, les incinérateurs produisent des nuisances affectant la qualité de vie et des impacts environnementaux susceptibles d’affecter la santé. Bien sûr, la technologie de l’incinération a évolué au cours des ans. Les européens notamment, sous l’impulsion d’une réglementation de plus en plus stricte quant aux effluents et aux rejets des incinérateurs domestiques, ont amélioré leurs performances environnementales. De plus, on n’envisage plus maintenant l’installation de nouveaux incinérateurs sans qu’il n’y ait production d’énergie. En France par exemple, en 2004, 130 incinérateurs brûlaient 9 millions de tonnes de déchets domestiques alors que les centres de tri ne recevaient que 12 % du flux des matières résiduelles, soit 2,5 millions de tonnes. 


Le concept de valorisation énergétique (les déchets comme source d’énergie) justifie maintenant aux yeux de plusieurs l’utilisation de l’incinération comme moyen d’élimination. Si l’incinérateur classique peut et devrait produire de l’énergie, nos gestionnaires considèrent plutôt d’autres technologies WTE, perçues comme plus efficaces et plus propres. Parmi celles-ci, plusieurs procédés sont maintenant proposés et évalués, combinant plusieurs types de technologies comme la pyrolyse, la gazéification et le plasma. Mentionnons les procédés de PyroGenesis, d’Enerkem, de Plasco et de Thermoselect. Nous ne discuterons pas ici des mérites techniques détaillés de chacun de ces procédés et nous vous invitons à visiter leurs sites web pour connaître leurs arguments promotionnels. Si la plupart de ces technologies présentent à divers degrés des avantages environnementaux indéniables, leur coût est généralement élevé et leur adoption par une administration gestionnaire aura inévitablement des conséquences à long terme sur le mode de gestion des déchets qui sera requis.

 

L’effet pervers des technologies de valorisation énergétique

Les technologies de valorisation énergétique soulèvent elles aussi une préoccupation maintes fois exprimée dans le cas de l’incinération, à savoir, qu’un incinérateur, aussi performant soit-il d’un point de vue environnemental, a comme effet de nuire au recyclage parce qu’on y brûle des matières recyclables et autrement valorisables en tant que ressources matérielles. Un effet de même nature risque fort de se produire dans le cas des nouvelles technologies envisagées. Comme nous l’avons mentionné plus haut, on brûle près de quatre fois plus de déchets en France qu’on n’en récupère et seulement 12 % des déchets sont recyclés par l’intermédiaire de la collecte sélective. Or, nous savons que dans une perspective de gestion écologique des matières résiduelles (selon l’approche 3R) on peut recycler beaucoup plus. Les objectifs de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008 en font foi.

Au Québec, l’offre d’élimination des matières résiduelles se matérialise par l’établissement de structures d’élimination des résidus qui sont en grande partie des lieux d’enfouissement. Bien sûr, d’autres types de structures d’élimination existent ou existeront. Que ce soit des lieux d’enfouissement, des incinérateurs ou des installations de haute technologie de valorisation énergétique, ces structures devraient être dimensionnées selon une évaluation de la capacité totale requise pour l’élimination des résidus ultimes en fonction des plans de gestion et des besoins anticipés dans les années à venir. À cet égard, les objectifs de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008 supposent un mode de gestion à tout le moins orienté vers les 3R. Or, cette évaluation de la capacité requise n’a pas systématiquement été faite par le passé et les autorisations d’agrandissement ou d’établissement de structures d’élimination ont simplement suivi les demandes des promoteurs et des opérateurs. Or, ceux-ci ont un intérêt économique fort à « éliminer » le plus possible. 


Qu’il s’agisse d’un entrepreneur privé ou d’un service public, l’accès aux services offerts par la structure d’élimination se mesure comme un coût à payer par tonne de matière éliminée. Le fournisseur du service, pour financer ou rentabiliser son investissement, recherche constamment à augmenter le nombre de tonnes éliminées. Au Québec, on constate cet état de fait en ce qui concerne l’enfouissement depuis des décennies. En effet, les lieux d’enfouissement, particulièrement les grands lieux d’enfouissement en majorité de tenure privée dans la région de Lanaudière et des Laurentides autour de Montréal, se sont considérablement développés en anticipation de la demande potentielle de services d’élimination à offrir en périphérie de la plus grande agglomération urbaine du Québec. 


Le même constat s’applique certainement aux autres technologies d’élimination envisagées. Qu’il s’agisse de gazéification ou d’enfouissement, les investissements consentis pour la construction et l’opération des infrastructures requises commanderont toujours d’offrir en quantité suffisante le « produit » qui permet de les rentabiliser et qui se vend à la tonne : « l’élimination des déchets ultimes ». 


Toute augmentation du taux de récupération et de recyclage sur un territoire donné se traduira en perte économique pour l’opérateur de l’infrastructure d’élimination. On a donc intérêt à ce que cette infrastructure ne soit pas trop importante ni trop coûteuse à financer et à opérer. Dans le cas d’une infrastructure WTE, il sera d’autant plus difficile de réduire les quantités de déchets éliminés parce que cette réduction devra s’accompagner d’une réduction de la production d’énergie sur laquelle compteront les utilisateurs.

La gestion écologique du flux des matières résiduelles

Pour ces raisons, il serait sage d’éviter de choisir l’incinération ou les autres technologies  de valorisation énergétique comme moyen d’élimination. Compte tenu du coût élevé des investissements requis, il vaudrait mieux investir cet argent de façon constante dans l’établissement de systèmes de récupération et de tri ou dans tout système pouvant favoriser la réduction à la source et le réemploi (ex : payer le juste prix pour les services des ressourceries). Cet investissement s’inscrirait alors dans une gestion écologique respectueuse du développement durable et tendrait à limiter les rejets polluants de toute nature.


Le respect des principes du développement durable, qui doit viser la minimisation de l’impact environnemental et la conservation de nos ressources nous amènerait plutôt à favoriser des solutions qui cherchent à maximiser la valeur de la ressource que constituent les matières résiduelles. De toute évidence, l’absence de production de déchets ultimes est la solution la plus avantageuse du point de vue des ressources puisque, dans ce cas,  tout le flux matériel dans l’économie est réutilisé et recyclé. Afin de diminuer les coûts inhérents à ce recyclage, la seule manière est de diminuer l’intensité de ce flux : il est encore vrai et légitime d’affirmer que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. 

 

Nous devons prendre conscience que le choix de notre mode de gestion des matières résiduelles est en lien étroit avec le choix de notre mode de vie. 


Si nous sommes persuadés que seule la consommation matérielle peut soutenir l’économie, si nous cédons au message publicitaire de la consommation sans compter, si nous croyons que les ressources naturelles sont illimitées et si nous estimons avoir les moyens de financer adéquatement nos infrastructures d’élimination, alors la valorisation énergétique est la solution idéale pour soutenir notre comportement boulimique. La valorisation énergétique a certainement le potentiel d’engouffrer presque totalement en bout de piste le flux des matières en les réduisant essentiellement en énergie et en un composé artificiel plus ou moins toxique. Seule l’épuisement des ressources aura raison de notre appétit!


Par contre, si nous prenons au sérieux le problème de l’augmentation de la population, de  l’épuisement des ressources, de la dégradation des services naturels que nous procurent les écosystèmes et de l’augmentation de notre empreinte écologique bien au delà de la capacité de support des écosystèmes, alors, la réduction à la source, l’usage raisonné de toutes nos ressources et de notre potentiel énergétique constitue la solution pour juguler le flux des matières dans l’économie à leur stricte fonction utilitaire.


Pour le concept du « zéro déchets »

La démarche qui devrait donc faire l’objet du plus grand investissement de la part des pouvoirs publics devrait viser la diminution la plus rapide possible du flux matériel dans l’économie, donc, de la production des matières résiduelles. Si on s’y attaque assez tôt, quelques décennies nous séparent d’une situation que l’on pourrait qualifier de « zéro déchets ». Qu’on ne s’y méprenne pas, cette situation future est la seule qu’on puisse envisager à long terme dans une perspective d’économie de ressources, de diminution de l’empreinte écologique de nos sociétés, de respect des écosystèmes naturels, bref, de développement durable. Dans les circonstances actuelles, le Québec peut se positionner comme un leader dans cette voie d’avenir.


Une réflexion sérieuse s’impose aujourd’hui sur la question suivante : pourrions-nous faire l’économie de l’investissement majeur proposé aux décideurs en terme d’infrastructures d’élimination, et dépenser plutôt cet argent dans des mesures et des actions de réduction de la production des déchets? Est-il possible que nos infrastructures actuelles, essentiellement des lieux d’enfouissement, suffisent à accommoder nos besoins d’élimination des résidus ultimes dans un contexte où cette part du flux matériel diminue progressivement sur deux ou trois décennies à une fraction pratiquement négligeable?




Par Gilles Côté,
Directeur général du Conseil régional de l’environnement de Lanaudière


«Gilles Côté est directeur général du Conseil régional de l’environnement de Lanaudière depuis plus de 10 ans.  Il est aussi vice-président du Regroupement national des Conseils régionaux de l’environnement du Québec et responsable du comité sur la gestion des matières résiduelles de cet organisme.  De 2004 à 2008, il a été président du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.»



Sources :
(1) Commission de coopération environnementale de l’Amérique du Nord, À l’heure des comptes – Les rejets et les transferts de polluants en Amérique du Nord en 2002, mai 2005, p. 215.

 

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