« Décoloniser l’imaginaire » : avons-nous le choix d’écouter notre intuition?

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 Par Nicolas Ottenheimer



Mots clés : capitalisme, société, simplicité volontaire, décroissance conviviale.

Si j’écris au « nous », c’est qu’une remise en question personnelle me fait observer un problème que j’estime commun. Ici, je tâtonne, « décoloniser l’imaginaire » (1) n’est pas une mince affaire.

Le « domaine des possibles » auquel nous sommes confrontés est immense, et les décisions sont difficiles. Pour certains, le problème auquel nos sociétés sont confrontées, c’est la surabondance des choix. Tiraillés d’un bord et de l’autre, nous sommes angoissés par la crainte de perdre quelque chose, ce qui entraîne des névroses. Nous doutons en permanence. Le cerveau se noue, la fluidité disparaît et les angoisses et les peurs naissent, celles-là mêmes qui rendent impossible toute évolution. Mais, au fond du fond (2), avons-nous réellement le choix de notre vie? Quelle pourrait être une piste épanouissante vers un monde d’après-capitalisme?

La rationalité occidentale propulse la planète dans le mur

À trop chercher la cohérence et la rationalité, c’est notre intuition que nous fuyons. C’est-à-dire notre essence animale inconsciente qui sait de quoi nous avons réellement besoin pour nous épanouir. Dans notre société, la raison domine le ressenti. L’espace réservé aux sensibles et aux émotifs n’est-il pas englouti par les puissants pragmatiques qui nous expliquent que l’homme est un loup pour l’homme?

Trop souvent, par désir de confort et de sécurité, nous avons tendance à copier le schéma « rationnel » des dominants. La puissance reproductrice de la bonne marche à suivre est phénoménale. La société structurée et hiérarchisée dans laquelle nous nous insérons repose sur la théorie darwinienne de la compétition et de la domination. À grands coups d’habitudes, de morale et de publicité, les logiques croissantiste et matérialiste du capitalisme nous enseignent qu’une vie réussie est mesurée par le compte en banque et le pouvoir détenu sur nos voisins.

Convaincu de sa science et des bienfaits de sa technologie, l’Occident se propulse et aspire la planète dans un mur très concret. Ce ne sont ni les aborigènes, ni les Amérindiens qui sont responsables des crises environnementales, financières et économiques mondiales. Ce ne sont pas les Togolais qui ont épuisé la planète. Aujourd’hui, ils n’en sont pas plus responsables (3).

De l’Amérique du Nord à l’Europe, en passant par les pays du Sud, les esprits sont aliénés par l’idéal évolutionnel que l’Occident réalise sous le couvert du mal nommé développement. Dans un contexte international écrasé par la rationalité occidentale et marqué par le risque (4), l’enjeu n’est-il donc pas de (re)trouver notre essence, de renouer avec notre inconscient, nos émotions et notre instinct? Bref, d’affranchir notre imaginaire de la rationalité dominante?

Trouver son essence n’est pas un choix

À chaque individu est associée une essence qui lui est propre. Par « essence », j’entends le caractère unique, propre et particulier à chaque existence. Une sorte de destinée enfouie dans chaque être. Et si les interventions extérieures sont salutaires, n’incombe-t-il pas à chacun d’oser se révéler à lui même? Il est toujours plus facile de juger les autres, que d’affronter l’être qui nous regarde quotidiennement depuis le miroir. Il est plus facile d’expliquer aux peuples du Sud comment mettre en œuvre le « développement durable », que de remettre en question les bases de la logique destructrice du capitalisme.

Le cœur du problème se trouve dans notre rapport à la mort. La mort n’est-elle pas perçue comme sombre et angoissante? Nombreux sont les gens attachés à la vie, incapables de partir. Plutôt que de voir le temps comme linéaire, avec un début et une fin, je le perçois comme cyclique. Lavoisier, éminent scientifique, explique que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». La plante nourrit le sol, qui nourrit la plante. A l’idée de compétition de Darwin, je préfère valoriser les idées de symbiose et de partenariat.

Donc, le passage dans l’après-vie est craint. Mais pour « bien mourir », nous n’avons pas le choix de « bien vivre », c’est à dire, oser ressentir et accepter notre unicité pour franchir les obstacles qui nous éloignent de notre essence. Autrement dit, avoir le courage de vivre la vie que nous avons à vivre pour parvenir à nous réaliser, pour toucher notre raison d’être. Mais, dans le fond, pensez-vous que trouver notre essence soit un choix?

Nous reconnecter avec nos émotions

Si les choix profonds sont finalement limités, affirmons qu’il n’y a jamais trop de liberté, car« une avancée est une avancée dans les libertés » (5). Et, en effet, la liberté est la condition nécessaire pour vivre notre unicité. Car notre vie nous appartient! Si nous avons la chance de pouvoir choisir la vie que nous souhaitons mener, nous n’avons plus qu’à oser en profiter. Nos névroses n’en seront que calmées…

N’avons-nous pas intérêt à écouter et à assumer notre ressenti, nos émotions? Face aux dégâts causés par le matérialisme, inspirons-nous de Malraux qui affirmait que « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». N’est-ce pas dans l’intérêt de tous et de chacun?

Vivre et construire une nouvelle ère

Trouver sa propre place au sein de l’ensemble est la meilleure façon d’intégrer et de respecter l’harmonie universelle. Un collectif musical ne se nourrit-il pas d’individualités harmonieuses et diversifiées?

Que ce soit aux niveaux individuel ET collectif, aux échelles locales ET globales, nous devons apprendre de nos erreurs, puis reconstruire. La simplicité volontaire et la décroissance conviviale sont des théories complémentaires, basées sur l’humilité, qui nous aideront dans ce chemin vers la transformation de l’après-capitalisme. Bien que difficile, le changement est non seulement inévitable, mais souhaitable, aussi bien pour l’Homme que pour la Nature. Alors que le choix de vie disparait face à l’évidence, il est temps de rappeler que le corps a, lui aussi, sa propre raison. En ces temps troubles, ne serait-il pas raisonnable d’accorder une plus grande attention à ses messages pour être à l’écoute de nos intuitions?



Par Nicolas Ottenheimer

Étudiant géographe et individu socialement et écologiquement engagé, les sujets de recherche de Nicolas Ottenheimer touchent aux concepts de gouvernance, de « développement durable », de développement local et global, de cultures, de diversité et d’universalisme. Sa recherche en géographie politique environnementale le pousse, par cohérence, à défendre l’idée de décroissance économique dans les pays occidentaux.


Sources : 

(1) Latouche, Serge. Survivre au développement, Paris, Mille et une nuits, 2004.
(2) Ce que les psychologues appellent la psychologie des profondeurs; Bachelard, Gaston. La poétique de la rêverie, Presses universitaires de France, 6e édition, 2005.
(3) Je vous invite à consulter le site Breathing Earth qui fournit, entre autres, les statistiques de l’ONU concernant les émissions de carbone par pays et par habitant.
(4) Beck, Ulrich. La société du risque, Paris, Aubier, 2001.
(5) Sen, Amarthya. Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Paris, Odile Jacob, 2000.

 

 

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