Frère Franklin Armand : le paysan de Dieu  

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Par Nancy Roc

 
Mots clés : communauté, Pandiassou, Frère Franklin Armand, humanisme, civisme, christianisme, Haïti, reboisement.

Dans le nord-est d’Haïti, la poussière est omniprésente. Le sol est sec et l’aridité absolue alterne avec une végétation rase. Seuls les chèvres, les ânes et les cactus parviennent à s’acclimater à un paysage quasi lunaire. Difficile de croire, ici, qu’on se trouve sur une île tropicale. Le déboisement sauvage a totalement transformé le milieu ambiant en un désert qui s’étend, souvent, à perte de vue. La nature se meurt.

Toutefois, dans la localité de Pandiassou, à sept heures de piste de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, la vie fleurit grâce à un homme : le Frère Franklin Armand. Il a décidé, il y a 34 ans, de faire l’expérience de sa vie religieuse auprès des paysans les plus démunis d’Haïti. Humanisme, civisme et christianisme sont les trois idéaux qui ont guidé sa mission. « C’est dans les campagnes que  vit 70 % de la population, mais depuis 1804 nos dirigeants préfèrent le pouvoir plutôt que de servir », déplore-t-il avec sa voix douce. C’est pour cela qu’au milieu des années 1970, il est arrivé au village de Pandiassou avec un souhait : se rapprocher de la population, travailler la terre, devenir « un paysan parmi les paysans », tout en propageant la parole de Dieu.  

Au début, les paysans de Pandiassou ont observé avec scepticisme cet homme et ces femmes de Dieu qui n’ont pas peur de mettre leurs jeans pour aller labourer les champs. « Entrer en religion et salir ses mains ne riment pas ensemble », explique le Frère Armand, « mais la misère ne rime pas non plus avec l’Église », précise-t-il, en souriant. Il est persuadé que « le paysan haïtien n’entend pas avec ses oreilles mais avec ses yeux ». Fort de cette conviction, en 1985, il a commencé à planter des arbres et des légumes partout, avec l’aide des Petites Sœurs et des Petits Frères de la Congrégation de l’Incarnation, qu’il dirige.

Ces religieux offrent leur vie à Dieu, en se mettant au service des pauvres du monde rural en Haïti. Ils travaillent avec les paysans à l’émergence d’une  société où la valeur, la justice et l’amour du prochain doivent  guider la vie de Pandiassou.

Un miracle continuel

Vingt cinq ans plus tard, le Frère Franklin a fait fleurir le désert. « Ici, le développement se fait par l’imitation », affirme-t-il. Et le bon exemple a été contagieux. Sous sa houlette, les paysans ont planté plus de 300 000 arbres, labouré des champs et creusé une centaine de lacs collinaires. Le plus grand est situé à Savane Diane : il a 30 mètres de profondeur et peut contenir 1 500 000 m3 d’eau. C’est le second lac le plus important du pays. Un véritable exploit. Aujourd’hui, les champs sont irrigués, les légumes poussent, les tilapias se multiplient dans les lacs et la famine a été repoussée. Les 30 000 habitants de Pandiassou peuvent faire pousser des plantes en serre, jouir de la brise fraîche que fournit la présence des lacs et d’une autosuffisance alimentaire. Dans le reste du pays, l’exode des paysans vers la capitale ou les plages de Miami se poursuit. Les habitants de Pandiassou, eux, choisissent de rester chez eux. Mieux, d’autres familles reviennent vivre dans cette localité. « Cette zone peut potentiellement devenir riche », souligne-t-il. « Le sol est profond et propice à l’agriculture, la terre est riche en argile et nous l’utilisons tant comme médicament que pour l’artisanat dans la région ». 

Au-delà d’une communauté

Frère Franklin Armand doit avoir raison : 60 différentes espèces de manguiers ont été plantées, ainsi que du tamarin, du sucrin, des campêches et de nombreux arbres en voie de disparition dans le reste d’Haïti. Le combat du Frère Armand, véritable paysan de Dieu, n’a pas été vain. Ses actions ont dépassé les frontières du village. Dans tout le pays, il a implanté des projets similaires. Récemment, le gouvernement haïtien lui a confié la mission de creuser 150 lacs collinaires, afin de limiter les inondations qui frappent Haïti à chaque saison des pluies. Il doit réaliser ce mandat avec un budget de plus de 20 millions de dollars!

L’année dernière, ce religieux aux airs de Nelson Mandela a été officiellement proclamé « trésor national vivant » par la Fondation Françoise Canez Auguste. Pourtant, il reste humble : « J’ai plus reçu des paysans que je ne leur ai donné. C’est à ces hommes et ces femmes qui n’ont rien que je dois tout. Ils m’ont inculqué le sens du travail et de l’endurance. Je suis d’une nature tranchante; le paysan m’a appris à être pragmatique en tout, à composer. Il m’a enseigné le vrai sens du mot « communauté », un mot qui est la clé essentielle de la compréhension de Dieu », reconnaît-il.


N.B : ce reportage a été rendu possible grâce à une Bourse Nord-Sud attribuée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et financée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

 

Source: Nancy Roc

http://nancyroc.com/

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