Port-au-Prince : une bombe écologique

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Par Nancy Roc


 
Mots clé : catastrophes naturelles, pluie, environnement, Port-au-Prince, Haïti.

« Le problème de l’environnement est mon plus grand chagrin. Il se dégrade à vue d’œil à Port-au-Prince et même dans les provinces car la misère contribue aussi à sa dégradation », dit John Chéry au volant de sa Jeep secouée par les amas d’alluvions dans les rues de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti. Quinquagénaire, ce chroniqueur sportif s’est transformé depuis 18 mois en chroniqueur environnemental pour la plus ancienne station de radio privée d’Haïti, Radio Métropole. Sa rubrique quotidienne, « À travers les rues de la capitale », est très prisée et suivie par les autorités du pays.

 
Levé dès 4h du matin, il parcourt les rues de Port-au-Prince pour un compte-rendu radiophonique très attendu, surtout en saison des pluies. Ce matin là, le 3 mars, des éboulements, des arbres arrachés, des tonnes d’alluvions entravent la circulation. La veille, une averse de 45 minutes a provoqué des dégâts considérables. Or normalement, la saison pluvieuse  commence en avril. « On crie à la catastrophe quand elle arrive mais on ne fait rien pour la prévenir, et je crains déjà la prochaine saison cyclonique », ajoute John.

Le survol de Port-au-Prince montre que ses craintes sont justifiées. La capitale haïtienne est une gigantesque toile de bidonvilles juchés sur des pentes montagneuses ou érigés au fond des ravins. Avant de construire, on coupe les arbres pour permettre au  béton de régner en maître. Selon les chiffres de la Banque mondiale, Port-au-Prince consommerait annuellement autour de 250 000 tonnes de charbon de bois traditionnel; ce qui entrainerait la coupe de 2,5 millions de tonnes d’arbres vivants et reproductifs sur tout le territoire d’Haïti. Sans politique de logement ni plan d’urbanisation, les autorités du pays laissent la population s’installer n’importe où, à n’importe quel prix. Résultat : à la moindre pluie, inondations et glissements de terrain entraînent l’effondrement de nombreuses constructions anarchiques et des pertes en vies humaines. Les zones dites protégées n’y échappent pas. Ainsi, le versant sud du Morne Garnier, dernière réserve « protégée » de la capitale, a été rasé autant par des squatteurs que par des spoliateurs des propriétés privées et publiques.

Un communiqué daté du 12 mars et signé par trois ministres, ceux de la Justice, de l'Environnement et de l'Intérieur, témoigne aussi de l’ampleur du problème. Selon ce communiqué, des notaires, arpenteurs, juges de paix, policiers, agents de la Direction générale des Impôts et des Collectivités territoriales participent à l'occupation illégale de propriétés publiques et privées bâties ou non bâties. Une grande mafia qui, dans un État failli, étend ses tentacules mortifères du Morne Garnier, au Morne l’Hôpital, au bidonville de Jalousie et aux carrières de sable de Laboule dans les hauteurs de Port-au-Prince.


Cette mafia est-elle sous les feux de la rampe? C’est la question que se posent beaucoup d’Haïtiens, sceptiques, depuis le 27 mars. En effet, ce jour-là, l’État haïtien a commencé une opération de démolition de certaines propriétés située à l'est du Morne Garnier. « C'est une opération de démolition. L'État (…) a décidé de libérer cet espace stratégique de 2 000 hectares déclaré d'utilité publique depuis 1939 », confie l'ingénieur Ludner Remarais, directeur départemental de l'Ouest au ministère de l’Environnement et chef de l'opération. Il informe que le Morne Garnier sera confié au ministère de l'Environnement pour l'aménagement d’un parc naturel. Spoliateurs et squatteurs ont jusqu’au 8 avril pour vider les lieux mais les habitants de la capitale attendent de voir si cette opération ne basculera pas, comme tant d’autres, dans la démagogie politique qui a conduit le pays au bord du gouffre.  

L’explosion démographique, les constructions anarchiques et la dégradation de l'environnement rendent Haïti très vulnérable aux catastrophes naturelles. Et comme si cela ne suffisait pas, les prédictions de l’ingénieur Claude Prépetit, pour Haïti et Port-au-Prince en particulier, frisent l’apocalypse. Lors d’une présentation, le 26 mars dans un grand hôtel de la capitale, ce géologue a précisé qu'Haïti a déjà été victime d'un tremblement de terre destructeur au XVIe siècle. « On doit s'attendre à ce qu'il se reproduise dans le futur et à n'importe quel moment. De même qu'il y a eu de grands dégâts à l'époque, on doit s'attendre au pire aujourd'hui en raison de notre condition environnementale alarmante », affirme-t-il en évoquant  la possibilité que Port-au-Prince ou le Cap-Haïtien, deuxième ville du pays située dans le nord du pays, soient secouées par un séisme de 7,7 sur l’échelle de Richter. Haïti est traversé par deux failles. L'une au sud, partant de Pétion-Ville jusqu'à Tiburon et l'autre au nord allant de Cuba à la République Dominicaine. Photos de gigantesques bidonvilles à l’appui, Claude Prépetit a démontré l’extrême vulnérabilité de Port-au-Prince,  devant un public frissonnant de peur : « Si nous n'arrêtons pas ces constructions, nous risquons de voir Port-au-Prince se transformer en un vaste cimetière », souligne-t-il. « Port-au-Prince peut être frappée à n’importe quel moment par un séisme ou un tsunami. Dans l’état actuel de la capitale, nous ne pourrons même pas acheminer les secours nécessaires aux milliers de victimes », prévient-il.

Port-au-Prince est aujourd’hui une véritable bombe écologique. Pour le professeur Carlo Prévil,  du Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal, « il n’y a pas de vision, ni de plan ou stratégie environnementale en Haïti. Or, sans mesures structurelles, on criera toujours au feu ». Devant la complexité de l’absence de gestion environnementale en Haïti et à Port-au-Prince en particulier, et de ses conséquences, toute personne avisée en matière d’environnement ne peut que se remémorer cette citation du général Douglas MacArthur : « L’histoire des guerres perdues peut se résumer en deux mots : trop tard. Trop tard pour comprendre les desseins mortels d’un ennemi en puissance; trop tard pour s’apercevoir du redoutable danger; trop tard pour se préparer; trop tard pour unir toutes les forces de résistance possibles; trop tard pour rallier ses amis ».


N.B : ce reportage a été rendu possible grâce à une Bourse Nord-Sud attribuée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et financée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

 

Source: Nancy Roc

http://nancyroc.com/

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