Malgré la crise économique, le marché mondial du carbone progresse pendant que le marché du carbone piétine au Canada

0
Par Me Jean Piette
Avocat spécialisé en Droit de l’environnement


Mots clés : marché du carbone, Protocole de Kyoto, Western climate initiative (WCI), Etats-Unis.

Malgré l’effet négatif de la conjoncture économique actuelle, il est intéressant de noter que le volume de transactions dans le marché mondial du carbone s’est accru de 37 % pendant le premier trimestre de 2009 quand on le compare au dernier trimestre de 2008. Entre janvier et avril 2009, il s’est ainsi transigé 1 927 MtCO2e à l’échelle de la planète.


Une analyse des résultats de dix-huit marchés de carbone dans le monde entier ainsi que des informations sur les transactions de crédits de carbone du Mécanisme de développement propre et du Mécanisme d’application conjointe du Protocole de Kyoto démontre cependant une diminution de la valeur globale de ces transactions de l’ordre de 16 %, lorsqu’on la compare à la valeur des transactions du dernier trimestre de l’année 2008.  Comme nous l’avons déjà indiqué, la chute des marchés boursiers a eu – et a encore – un effet sur les cours du carbone sur les différents marchés, y compris sur les marchés nord-américains.

Le marché européen domine

Il appert que l’augmentation du volume de transactions est surtout attribuable à une augmentation de celles-ci au sein de l’Union européenne (UE) qui représentent maintenant 78 % du volume des transactions à l’échelle mondiale. Pour sa part, le volume des transactions sur le marché américain du carbone ne représente que 3,7 % des transactions mondiales même si celui-ci a doublé depuis le trimestre précédent pour atteindre 71 MtCO2e et une valeur de 245 millions USD au cours du dernier trimestre. Évidemment, la vitalité du marché européen est liée aux engagements contraignants que l’UE assume dans le cadre du Protocole de Kyoto que les États-Unis n’ont jamais ratifié. Quant au Canada, il a ratifié le Protocole de Kyoto, mais le gouvernement actuel refuse maintenant de le mettre en œuvre, lui préférant un régime de contrôle des GES de conception purement canadienne.

Au Canada, il y a le marché  de l’Alberta…

Au Canada, le marché du carbone piétine, notamment sur le seul marché public intérieur : le MCeX, lancé en mai 2008 en prévision du marché que devait créer le Cadre réglementaire annoncé par le gouvernement fédéral du Canada, est pour ainsi dire inopérant. Il existe au pays  un autre marché, le marché du carbone de l’Alberta, qui est un marché de gré à gré et dont les prix ne sont pas divulgués. On peut soupçonner que ces prix soient inférieurs au prix de 15 $/tonne CO2e établi pour les contributions au Fonds technologique de l’Alberta. Dans cette province, 2,75 MtCO2e de crédits compensatoires ont été transigés en 2008, ce qui représente néanmoins une augmentation de 175 % par rapport à l’année précédente. Il importe de savoir que ce marché est un marché fermé qui a été constitué pour les fins de conformité réglementaire avec la législation albertaine et qui ne reconnaît que les crédits de carbone produits en Alberta.


Le peu d’engouement des entreprises et des investisseurs pour le marché du carbone canadien est attribuable à l’attentisme du gouvernement fédéral qui a, depuis août 2008, stoppé les initiatives de mise en œuvre du Cadre réglementaire fédéral devant définir un marché réglementé des gaz à effet de serre (GES). Cette décision est évidemment liée à l’élection de la nouvelle administration américaine qui a promis d’engager les États-Unis dans la lutte contre les changements climatiques. Or, on sait que le projet de loi Waxman-Markey, qui prévoit la mise en place d’un régime de plafonnements et échanges de crédits de GES aux États-Unis, fait présentement l’objet de débats au sein de la Commission sur l’énergie et le commerce de la Chambre des Représentants et sera sans doute adopté au cours de la présente année, tel que le souhaite d’ailleurs le président Barack Obama. Visiblement, le gouvernement canadien souhaite mettre en place un régime de contrôle des GES qui soit compatible avec le régime américain.

Les initiatives québécoise et ontarienne

L’attentisme du gouvernement fédéral ne lui vaut pas bonne presse. En outre, il devra composer avec les pressions qui s’accentuent, notamment de la part de provinces telles le Québec et l’Ontario. Ainsi, l’Ontario a annoncé son intention, il y a quelques semaines, de mettre en place un régime de plafonds et échanges de GES dès 2010, alors que le Québec a déposé, le 12 mai dernier, le projet de loi 42 qui vise à modifier la Loi sur la qualité de l’environnement pour y insérer un cadre réglementaire capable de mettre en œuvre le régime de plafonds et échange de droits d’émission de GES prévu par l’entente du Western Climate Initiative (WCI) que le Québec a signée en 2008 avec un groupe de provinces canadiennes et d’États américains. Même si ces initiatives provinciales ne sont pas en soi incompatibles avec la mise en place d’un régime pan-canadien de réglementation des GES, elles témoignent d’un leadership politique des provinces qui doit créer un certain inconfort au sein du gouvernement fédéral.


Ces initiatives provinciales auront certainement pour effet de revigorer le marché canadien du carbone, surtout lorsque celles-ci seront effectivement mises en œuvre, en 2010 pour l’Ontario (même si cet échéancier, qui devance celui du WCI de deux ans, apparaît ambitieux) et en 2012 pour les États et provinces parties au WCI.

Aussi, on peut  entrevoir que la Conférence des parties sur les changements climatiques qui se tiendra en décembre 2009 à Copenhague donnera un nouvel élan au marché du carbone tant au Canada qu’aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

On peut déjà penser que la position du Canada à Copenhague sera très proche de celle de la nouvelle administration Obama.

 




Par Me Jean Piette

Avocat spécialisé en Droit de l’environnement

Jean Piette est spécialisé dans le domaine du droit de l’environnement et dans celui de l’élaboration des politiques en matière d’environnement. Il a été le premier avocat québécois à exercer une pratique entièrement consacrée au droit de l’environnement depuis 1972. Associé principal et responsable de l’équipe de droit de l’environnement au cabinet d’avocats Ogilvy Renault, il s’est vu attribuer le classement le plus élevé dans le répertoire juridique Martindale-Hubbel, soit la cote AV, pour son respect des normes d’éthique et pour ses qualités professionnelles. Il a été désigné parmi les meilleurs avocats en droit de l’environnement au Canada dans l’annuaire Lexpert/American Lawyer Media et parmi les meilleurs au monde selon le Guide to the World’s Leading Environment Lawyers et le Who’s Who Legal Environment. 

Partager.

Répondre