Le ministère des Transports ajoute du carburant à la crise énergétique et à la crise écologique

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Par Sylvie Woods
Membre du Parti vert du Canada


Mots clés : BAPE, complexe Turcot, transport public, automobile, Communauté métropolitaine de transport, aménagement urbain, l’effet ricochet.

Afin d’analyser le projet du complexe Turcot, conçu par le ministère des Transports (MTQ), nous considérons le cadre de référence utilisé par le Ministère pour élaborer son projet. Nous contestons les prémisses du MTQ et le caractère économique de l’automobile, que ce ministère défend. La position du ministère détermine aussi les relations qu’il établit avec ses partenaires sociaux, environnementaux et économiques. En effet, depuis les années 1960, le MTQ oriente les choix de société du Québec, et notamment de Montréal, en matière de transport. À cet égard, un rapport du gouverneur général du Québec paru en 2009 (1) démontre que le MTQ n’a jamais agi en concertation avec ses partenaires, soit la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), les municipalités régionales (MRC), la Ville de Montréal et le ministère des Affaires municipales et des Régions (MAMR). La position politique dominante du MTQ fait en sorte que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, de même que le Cadre d’aménagement et orientations gouvernementales pour la région métropolitaine de Montréal 2001-2021 ne trouvent aucune application concrète dans l’aménagement urbain de Montréal, à la faveur des multiples projets d’autoroutes.

Une vision dépassée

La conception de l’économie des transports du MTQ est tout à fait dépassée, dans une société où les conditions énergétiques et écologiques ne sont plus du tout les mêmes qu’en 1969, lorsque le complexe routier de l’échangeur Turcot a été construit.

Au moment de la présentation de son projet dans le cadre des audiences publiques en cours, le MTQ affirmait que son projet de reconstruction du complexe Turcot a été conçu dans le cadre de la stratégie du développement durable établie par le gouvernement du Québec en 2007 à la suite de l’adoption de la Loi sur le développement durable en avril 2006 (Loi 118). Pourtant, cette stratégie a fait l’objet de vives critiques de la part de la Chaire du développement durable de l’Université du Québec (2), notamment parce qu’elle évacue les dispositions de ladite loi pour privilégier uniquement la croissance économique aux dépens de la protection environnementale. Voici le principal objet de cette critique soulevée dans un article paru en 2007, intitulé Le projet de stratégie sur le développement durable : Un recul par rapport à la Loi 118? : « Ce qui frappe à la lecture de cette stratégie, c’est la conception du développement durable qu’elle véhicule, qui relègue l’environnement à un rôle secondaire par rapport à la croissance, à l’économie et aux investissements. Aucune orientation n’est spécifiquement dédiée à la protection de l’environnement, et la vision du développement durable qu’elle énonce surprend. »

Et le réchauffement climatique : négligeable au MTQ?

Le réchauffement climatique est une autre condition nouvelle fort préoccupante qui caractérise le contexte de la reconstruction du complexe Turcot. En 2009, personne n’ignore, et encore moins le MTQ, que les transports génèrent 40 % des gaz à effet de serre au Québec. Comme la moitié de la population du Québec vit dans l’agglomération de Montréal, la majorité des déplacements en véhicules automobiles et par camions se font dans la région métropolitaine. Cela  signifie que les activités de transport à Montréal sont à l’origine d’une grande partie des gaz à effet de serre générés au Québec. Les dernières données sur le réchauffement climatique prédisent que les gouvernements mondiaux disposent d’un délai de 5 ans, c. à d., jusqu’à 2013, pour empêcher un emballement du climat et éviter une situation irréversible et incontrôlable sur le plan du climat mondial.

Malgré cela, les projets autoroutiers conçus par le MTQ reposent sur l’approvisionnement de pétrole à long terme, alors que l’Agence internationale de l’énergie, ainsi que des économistes et experts dans le domaine de l’énergie affirment qu’un pic de production est déjà atteint et que les pays importateurs devront composer à court terme avec l’épuisement de cette ressource non renouvelable.

Le salut par les normes de pollution…

Aussi, le MTQ compte beaucoup sur l’implantation de nouvelles normes californiennes de construction automobile pour la réalisation de son projet.

Selon le promoteur, le Québec, qui importe ses automobiles des États Unis, en bénéficierait en améliorant le bilan énergétique de son parc automobile d’ici 2016, lorsque le complexe Turcot sera terminé. Toutefois, le MTQ affirme lui même que cette donnée demeure inconnue et que personne ne peut prévoir quels types de véhicules seront vendus et utilisés par les automobilistes d’ici 2016 au Québec. On ignore aussi à quel rythme se produira ce transfert énergétique, des autos fonctionnant au pétrole à des autos hybrides ou tout électriques. Plusieurs études démontrent que des contraintes importantes font en sorte que ces automobiles hybrides ou tout électriques ne seront jamais aussi efficaces énergétiquement que les autos fonctionnant avec du pétrole peu cher et abondant, comme par le passé.

L’effet ricochet

De nombreuses études ont démontré que dans une économie basée sur la croissance, lorsque des économies sont réalisées sur le plan énergétique dans divers domaines, un effet pervers qu’on appelle « l’effet ricochet » ou « l’effet rebond » se produit, entraînant une plus grande consommation des biens moins énergivores, à l’aide de ces mêmes économies. Dans ce cas-ci, il est prévisible que les fabricants d’autos hybrides mettront sur le marché des autos plus puissantes qui permettront des déplacements plus longs favorisant l’étalement urbain, ou qui seront munies d’accessoires consommant l’énergie économisée sur le carburant. Cette consommation additionnelle a pour résultat d’annuler le bienfait énergétique escompté (3). Souvent, les consommateurs en profiteront pour acheter une deuxième voiture. Pour ce qui est du réchauffement climatique, « l’effet rebond » contribue à accentuer l’empreinte environnementale produite par le transport automobile.

La ceinture autoroutière de Montréal

Pour l’heure, le complexe Turcot, l’autoroute Notre Dame et le pont de l’A 25 dessineront une ceinture autoroutière dans la ville de Montréal. Notre ville sera donc emmurée pour les cinquante prochaines années dans cet étau construit par le ministère des Transports, pour les milliers d’automobilistes qu’il dessert si bien depuis un demi-siècle, ce qui exclura, pour la Ville, toute potentialité de développement des transports collectifs à l’intention de ses propres résidants.




Par Sylvie Woods
Membre du Parti vert du Canada

Écologiste, Sylvie Woods s’intéresse à l’économie écologique et particulièrement aux questions relatives à l’énergie et aux  transports durables, à l’endettement national et à l’impératif écologique en regard du réchauffement climatique.


Sources :
(1) Rapport du vérificateur général à l’Assemblée nationale 2008-2009, Tome II.
(2) Gendron, Corinne et coll. Le projet de stratégie sur le développement durable : Un recul par rapport à la Loi118? GaïaPresse, novembre 2007,
(3) Rubin, Jeff. Why Your World is About to Get a Whole Lot Smaller: Oil and the End of Globalization, Random House Canada, 286 pages.

 

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