Des aubergines sur le toit

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Par Valérie Ouellet                                                                   À lire également : Y a-t-il des risques à jardiner en ville?



Mots-clés : Agriculture urbaine, jardins, jardins communautaires, toits, CRAPAUD, Urbainculteurs, Institut des sciences de l’environnement.


Plus besoin d’une terre à Saint-Alphonse-du-Profond pour récolter les fruits (et légumes) de son labeur. De plus en plus de citadins et d’organismes communautaires plantent leur garde-manger sur le toit des immeubles. Pour plusieurs, ces jardins urbains rapportent beaucoup plus que des légumes. Tenez bien vos bretelles, les fermiers nouveau genre arrivent en ville.

Le CRAPAUD, cultiver pour mieux enseigner


Déjà championne des jardins communautaires, la ville de Montréal a vu croître quelques projets agricoles cet été, notamment celui du Collectif de recherche en aménagement paysager et agriculture urbaine durable (CRAPAUD). Pour sa première année officielle d’existence, le regroupement d’étudiants en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a mis sur pied une dizaine de jardins dans la cour intérieure et sur les toits du Cœur des sciences de l’université.  


Pour les étudiants en sciences de l’environnement, tout a commencé l’été dernier, lorsqu’ils ont planté des fines herbes parmi les plates-bandes du Cœur des sciences. Un geste qui a attiré l’attention de l’administration de l’UQAM. Un an plus tard, avec un soutien de 15 000 $ de l’université, les jardiniers du CRAPAUD ont mis en terre une diversité importante de plantes grimpantes, arbustes et fines herbes qui se mêlent sur les plates-bandes gazonnées. « Il est possible d’allier les plantes maraîchères et décoratives pour donner un jardin beau et pratique », croit Jean-Philippe Vermette. En effet, piments, concombres et haricots côtoient capucines et autres herbes médicinales dans ces jardins urbains. Sans compter un champ de patates et deux espèces de maïs autochtones.


Pour ces jardins sur les toits des pavillons des Sciences et de Design, les plantes grandissent dans des bacs construits à l’aide de pancartes électorales et de tuyaux en plastique. Comme quoi le jardinage n’a pas besoin de coûter cher, rappelle Jean-Philippe Vermette. « Il suffit de retirer quelques graines d’une tomate, les faire sécher au soleil quelques jours et planter le tout pour s’alimenter sainement tout l’été », résume ce jardinier urbain, qui espère bientôt devenir fermier. « Ce serait super si on pouvait avoir un petit poulailler avec des poules pondeuses », confie-t-il.



Le jardin aménagé par le CRAPAUD sur le toit du Pavillon Président Kennedy, au Cœur des sciences de l’UQAM.
Pour éviter un arrosage quotidien, les plantes s’abreuvent par capillarité
grâce à une réserve d’eau versée au fond des bacs.


(Photo : Valérie Ouellet)


Toutefois, la véritable récolte se fera auprès du public pour les jardiniers du CRAPAUD. « Notre but n’est pas de produire des légumes. Il est d’abord pédagogique. Nous voulons montrer aux gens que tout peut être planté et cultivé en ville », explique Jean-Philippe Vermette tout en fixant un plant de tomates autour d’un tuteur.


Concrètement, le CRAPAUD a rassemblé près de soixante curieux, scientifiques et professionnels sur les bancs de l’UQAM pour la première École d’été en agriculture urbaine, qui aura lieu du 3 au 7 août prochain. D’autres ateliers d’agriculture urbaine pourraient avoir lieu dans les prochains mois. Selon Jean-Philippe Vermette, c’est surtout le manque d’information qui retient les citadins de sortir leurs plants de haricots sur le balcon. « Le public a une volonté de jardiner, mais il ne sait pas où commencer. Nous voulons redonner aux gens le goût de travailler la terre », explique-t-il.


Le volet pédagogique du groupe ne s’arrête pas là. L’un des dix jardins thématiques est cultivé par les tout-petits du Centre de la petite enfance (CPE) de l’université. « Les enfants plantent des concombres et des haricots et ils désherbent et arrosent leur jardin à tous les jours. Ils sont très fiers de leur travail et montrent la croissance des plantes à leurs parents », raconte Jean-Philippe Vermette. Une fois la belle saison terminée, les légumes recueillis dans les dix jardins du CRAPAUD seront remis au CPE.

La Maison de l’Auberivière, assurer sa sécurité alimentaire

L’agriculture urbaine peut aussi devenir un moyen de subsistance pour les jardiniers dans le besoin. Sur les toits de la Maison de l’Auberivière, plus grand centre d’hébergement pour personnes sans-abri et démunies de la ville de Québec, quelques 1000 plants de fines herbes, tomates, céleris, poireaux et autres concombres permettront de remplir les assiettes des bénéficiaires.


C’est la deuxième année consécutive que l’Auberivière recevra les produits d’une récolte. L’année dernière, il s’agissait de celle de Franco Dragone, créateur du potager des visionnaires*, présenté sur les toits du Musée de la civilisation de Québec à l’occasion du 400e anniversaire de la ville.



Sur le toit de l’Auberivière, en plein cœur du Vieux-Québec,
les Urbainculteurs ont installé près de cinq cents bacs.
Cette année, la récolte comptera des piments,
des cerises de terre, des aubergines, des haricots mauves,
ainsi que du basilic, de la mélisse et des capucines.  


(Photo : Les Urbainculteurs)


Cette année, dans le cadre d’un projet-pilote, le centre d’hébergement a fait appel au groupe environnemental Les Urbainculteurs pour transformer son toit en potager. Debout sur la passerelle qui surplombe le jardin de l’Auberivière, Marie Eisenmann observe le centre-ville de Québec. « L’architecture des bâtiments à Québec est propice à l’agriculture urbaine : presque tous les toits sont plats! Il serait facile de les transformer en jardin », rêve la co-fondatrice des Urbainculteurs. Selon cette dernière, la plupart des structures peuvent supporter le poids de bacs remplis de terre. Grâce à ses bacs Biotop, conçus et adaptés spécialement pour jardiner en ville par le biologiste Marc-André Valiquette, l’organisme espère faire de l’agriculture urbaine une pratique répandue.


Parmi les initiatives des Urbainculteurs,
qui ont vu le jour en avril 2009, on retrouve notamment
un jardin de fines herbes et de fleurs sur le toit de l’Hôtel du Vieux-Québec


(PHOTO : Les Urbainculteurs)


Les Urbainculteurs estiment produire une récolte d’environ deux tonnes de légumes et de fines herbes sur les toits de l’Auberivière. « Nous n’aurons plus besoin de courir après les donateurs pour avoir suffisamment de légumes frais. Ce potager est synonyme d’une autonomie alimentaire », note avec soulagement Frédéric Lapointe, coordonateur des services alimentaires et soutien à la Maison de l’Auberivière. Les légumes récoltés permettront aux cuisiniers de préparer des repas plus riches en saveur et plus diversifiés, se réjouit-il.


Les intervenants de l’Auberivière espèrent voir leurs bénéficiaires mettre les mains à la terre. « Un grand nombre d’usagers veulent s’impliquer au potager. J’espère transformer le jardinage en une activité d’intégration pour eux. » Frédéric Lapointe souhaite à tous les organismes communautaires de découvrir les joies du jardinage. « Nous sommes très fiers de cette initiative. On a tellement hâte de récolter! »

 Internet au service du laboureur


Oubliez les traditionnels navets patates et carottes, l’heure est aux tomates mauves et aux choux-fleurs orange. La toile Internet permet aux jardiniers audacieux de se procurer sans tracas une variété inouïe de légume et de fleurs à peu de frais chez plusieurs semenciers . Voici deux sites qui vendent des semences hors du commun et abordables.


La Société des Plantes

Située sur une terre agricole des plaines de Kamouraska, dans le Bas Saint-Laurent, la Société des Plantes offre une variété importante de semence à partir de 3.50$ le sachet.


Seed Savers Exchange   

Organisme qui s’est donné pour mission de conserver et reproduire les semences rares, Seed Savers Exchange encourage les particuliers à faire don de graines uniques afin d’en faire profiter la communauté horticole. Le nom du donateur et l’origine des plants est spécifié sur chaque enveloppe. En devenant membre, on obtient 10% de rabais sur nos achats. 

Plus que des garde-mangers : l’exposition VERTiges

Les jardins sur les toits n’attirent pas que les abeilles et les oiseaux. L’année dernière, le potager des visionnaires a attiré plus de 700 000 visiteurs sur les toits du Musée de la civilisation de Québec. Le Musée récidive cette année avec VERTiges, une création collective sous la direction de Dany Brown. Cette année, les neuf jardins thématiques nichés sur le toit servent à présenter neuf organismes communautaires oeuvrant partout au Québec. Chaque organisme est associé à une couleur représentant sa mission particulière. Par exemple, le jardin de givre, où poussent fleurs et feuilles en teintes bleutées, représente l’organisme la Rose des vents de l’Estrie, qui accompagne les personnes atteintes de cancer.


Débordant d’énormes boîtes colorées, les jardins thématiques de VERTiges surplombent l’entrée du Musée et intriguent les passants. « Les visiteurs sont vraiment surpris lorsque je leur explique que ces escaliers constituent en fait le toit du Musée. Les gens sont souvent attirés par les jardins, puis entrent ensuite pour continuer la visite », raconte Frédéric Tremblay, guide-jardinier pour l’exposition. Le succès des jardins du Musée est tel que l’institution compte récidiver l’année prochaine avec une autre exposition qui se déroulera sur trois ans, indique Marie Hémon, directrice du service des expositions au Musée de la civilisation de Québec.



Le Musée de la civilisation de Québec a été conçu en 1988
par un collectif d’architectes incluant Moshe Safdie, l’architecte
derrière Habitat 67. Avant la conception du potager des visionnaires
par Franco Dragone à l’occasion des vingt ans de l’institution,
le toit du Musée était uniquement orné d’arbustes décoratifs.


(Photo : Valérie Ouellet)


Dans l’exposition VERTiges, le volet communautaire des jardins urbains est mis de l’avant. En effet, chacun des jardins créés est associé à un organisme communautaire qui œuvre dans la province. Tout comme l’année dernière, on aperçoit carottes, choux et tomates au sein des arrangements végétaux. Toutes les récoltes seront remises à l’organisme communautaire le Pignon Bleu, œuvrant auprès des enfants, des familles et des personnes sans emploi de la Ville de Québec.


Pour Marie Hémon, la présence d’un potager demeure essentielle aux créations végétales du Musée. « Il y a dans le jardinage la perspective de redonner. C’est un geste citoyen et communautaire. » Comme quoi jardiner un peu, c’est redonner beaucoup.


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*Montage vidéo du potager des visionnaires

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