Pour le retour de l’écologie politique

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Par Nicolas Ottenheimer


Mots clés : écologie politique, territoire, diversité, culture, totalitarisme, capitalisme vert, développement durable.


La diminution de 80 % des gaz à effet de serre d’ici 2050 est un objectif colossal qui réclame des propositions politiques adaptées à la diversité des territoires. La conscientisation avançant, comment l’écologie politique peut-elle prévenir les bouleversements à venir tout en se propulsant vers un futur désirable?

Qu’est-ce que l’écologie politique?

C’est en 1866 qu’Ernst Haeckel crée le terme écologie. Dérivé du grec « oïkos », la maison, et de « logos », la logique scientifique, l’écologie peut être définie comme la science du vivre ensemble.

Héritée des penseurs radicaux comme Élisée Reclus (1) ou Murray Bookchin (2), l’écologie politique s’est affirmée dans les années 1970 avec le Français André Gorz (3) et le Québécois Michel Jurdant (4). Précurseurs des philosophies de la décroissance, ils furent parmi les premiers à intégrer le réalisme écologique (5) pour proposer des politiques qui appellent la participation des citoyens à la vie politique de leur localité. Protectrice de la diversité des territoires, l’écologie politique encourage les diversités naturelle et culturelle.

Pourquoi souhaiter le retour de l’écologie politique?

D’abord parce que l’écologie est incontournable. Ensuite parce que les priorités accordées aux investissements collectifs gagneraient à être débattues localement et collectivement. Qu’il s’agisse d’énergie, de transports ou d’aménagement du territoire, il reviendra toujours aux politiques de prendre des décisions, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou internationale.

Deuxièmement parce que la destruction des écosystèmes s’aggrave malgré les réformes du développement durable. Contestataire à ses débuts, il n’est plus à la hauteur des enjeux puisqu’il cautionne le capitalisme vert (6), fondamentalement incompatible avec les impératifs écologiques. Aujourd’hui plus que jamais, le réalisme écologique demande un projet de société collectif et politisé en rupture avec la mondialisation économique.

Mieux vaut choisir que subir

Troisièmement, comme la décroissance économique arrivera tôt ou tard (7), mieux vaut la choisir en l’organisant collectivement que la subir. La subir signifierait placer le sort d’une humanité infantilisée entre les mains d’experts internationaux chargés de répartir les quelques ressources restantes. Vincent Cheynet explique que « plus nous attendrons pour nous engager dans la décroissance soutenable, plus le choc […] sera rude, et plus le risque d’engendrer un régime éco-totalitaire (8) ou de s’enfoncer dans la barbarie sera élevé […] Si nous ne rentrons pas dans une décroissance économique choisie, dont la condition est une croissance des valeurs humanistes, nous courrons les risques d’avoir une décroissance imposée demain, jointe à une terrible régression sociale et de nos libertés » (9).

Construire les territoires avec ses habitants

Quatrièmement, parce que l’idéal universel du développement durable néglige les différences territoriales et culturelles (10), un projet de société ne se doit-il pas d’être adapté à cette géodiversité (11)?

En tant qu’espace de vie, le territoire constitue la fondation de l’écologie politique. Délimité, il facilite la participation de ses habitants à la vie sociale. L’ancrage local n’est-il pas un des impératifs de l’écologisme? Si un localisme profond est vecteur d’un repli communautaire peu inspirant, il contribue à la construction d’une histoire communautaire et renforce les liens sociaux. Comme l’explique Gorz, « les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde. Les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques ». Enfin, la participation politique favorise la conscientisation et la responsabilisation face aux problématiques territoriales.

Cinquièmement, parce que, historiquement, l’écologie politique vise l’émancipation et la polyvalence des individus. La rotation des tâches proposée par la vie communautaire encourage la découverte de soi. C’est-à-dire faire vivre l’amant, l’artiste, le décideur, le poète, l’agriculteur, le maçon ou le penseur qui sommeille en chacun de nous.

La diversité contre le totalitarisme

Sixièmement, parce que l’impératif de croissance économique véhiculé par le développement durable asphyxie les propositions alternatives de l’écologie politique. Qu’elles soient écologistes ou environnementalistes, sociales ou libérales, centralisées ou décentralisées, locales ou globales, les imprécisions du développement durable étouffent la diversité des politiques écologiques. Lucie Sauvé pose la question : « qu’est-il advenu de l’écosocialisme d’André Dumont, de l’écologie sociale de Murray Bookchin ou de l’écoféminisme de Vandana Shiva qui élargissent le rapport à l’environnement bien au-delà de l’exploitation de « ressources » ou de « marchandises » ? » (12).

Finalement, à quoi bon défendre l’humanité si celle-ci doit vivre dans un monde totalitaire, contrôlé et normalisé par des experts internationaux? Avec les mots d’Ivan Illich, Gorz s’interroge : « vaut-il la peine de survivre dans un monde transformé en hôpital planétaire, en école planétaire, en prison planétaire et où la tâche principale des ingénieurs de l’âme sera de fabriquer des hommes adaptés à cette condition? » (13).

Force est de constater que l’écologie politique fait peur. Car, effectivement, sa critique radicale du fonctionnement capitaliste appelle un changement profond aussi bien dans les idéaux que dans les comportements.

Pour vivre ensemble dans la diversité des territoires, et pour que le réalisme écologique ne devienne pas la caution des régimes totalitaires, il est grand temps de repolitiser l’écologie!


 

Par Nicolas Ottenheimer


Étudiant géographe et individu socialement et écologiquement engagé, les sujets de recherche de Nicolas Ottenheimer touchent aux concepts de gouvernance, de « développement durable », de développement local et global, de cultures, de diversité et d’universalisme. Sa recherche en géographie politique environnementale le pousse, par cohérence, à défendre l’idée de décroissance économique dans les pays occidentaux.


Sources :

(1) Elisée Reclus, (1990) [1905], « L’homme et la Terre : histoire contemporaine », Fayard, Paris.
(2) Murray Bookchin, (1993) [1921], « Une société à refaire », Ecosociété, Montréal.
(3) André Gorz, (1975), « Ecologie et politique », édition Galilée.
(4) Michel Jurdant, (1984), « Le défi écologiste », Boréal Express, Montréal. Il est le fondateur des Amis de la Terre de Québec, groupe qu’il a fondé en 1978.
(5) Le réalisme écologique est issu des travaux de Georgescu-Roegen sur les lois de l’entropie et de la thermodynamique. Il exprime le fait que les ressources naturelles sont limitées et que l’homme doit faire avec cet état de fait. Lire : GEORGESCU-ROEGEN, N. (1979). La décroissance : entropie – écologie – économie. Paris, Le sang de la Terre.
(6) Le capitalisme vert donne l’image d’une préoccupation des enjeux écologiques. Même vert, il perpétue un système économique et social basé sur le rendement, la productivité et la compétition. D’un point de vue écologiste, le capitalisme vert est un non sens puisqu’il reste basé sur l’accumulation matérielle et financière. Par la mondialisation, le capitalisme vert maintient la division du travail et de la spécialisation des territoires, ce qui l’éloigne des préceptes de l’écologisme.
(7) C’est la position des objecteurs de croissance qui s’appuient sur le réalisme écologique développé par Georgescu Roegen.
(8) Un système éco-totalitaire fait référence à une dictature menée par des experts bureaucratiques qui, au nom de la survie de l’humanité, seraient en charge de répartir les ressources restantes et de dicter les « bons comportements » à adopter. Un système éco-totalitaire serait doté d’un puissant appareil policier chargé de faire appliquer les lois environnementales.
(9) Vincent Cheynet, (2003), « décroissance et démocratie », dans M. Bernard, V. Cheynet et B. Clémentin, Objectif décroissance : vers une société viable, Écosociété, Montréal. Vincent Cheynet est animateur de la revue Casseur de pub et de l’association écolo <ecolo.asso.fr>
(10) Gilbert Rist montre que le développement, qu’il soit qualifié de durable ou non, est un idéal universel véhiculé par l’Occident. Lire : Gilbert Rist, (2007), « Le développement : histoire d’une croyance occidentale », Les Presses Sciences Po, Paris.
(11) La géodiversité renvoie à la diversité naturelle et culturelle d’un milieu donné. Le géographe Christophe Grenier à l’origine du concept de géodiversité la définit comme « la biodiversité et la diversité mésologique (relative aux milieux) contenues, en un temps donné, dans des espaces multiscalaires, et rapportées à l’échelle planétaire ».
(12) Lucie Sauvé, (2007), « La dérive et l’impasse du développement durable », dans S. Mongeau, objecteurs de croissance. Pour sortir de l’impasse : la décroissance, Écosociété Montréal. Lucie Sauvé est professeure titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement, au département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal.
(13) André Gorz, (1975), « Ecologie et politique », édition Galilée, p10.

 

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