La taxe sur le carbone : toujours d’actualité

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Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.


 

Mots clés : Chagements climatiques, gaz à effet de serre (GES), taxe sur le carbone, système d’échange de droits d’émissions, Québec (province de), France.

Les outils législatifs pour limiter les émissions de gaz ne sont pas illimités, mais la différence d’application et d’utilisation de mesures disponibles varie entre les différents corps publics, tels les municipalités, les provinces ou les états. Que ce soit par l’entremise des subventions, d’une règlementation directe visant les agissements des sources polluantes, les incitatifs fiscaux ou la création d’un marché du carbone, l’objectif est de trouver une formule gagnante.

Les systèmes d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre (GES) font état de discussions intensives. La taxe du carbone, quant à elle, est souvent présentée comme une solution alternative à ce marché du carbone. En réalité, ces deux mesures sont souvent appliquées de concert par les entités publiques.

En France : une taxe à venir

En Europe, la question des taxes est d’actualité. D’abord, il est question de taxer les transactions monétaires internationales dans le cadre d’une réflexion à l’égard du système financier mondial. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy, chef de la République française, annonce la création d’une taxe sur le carbone nommée « contribution climat-énergie » qui pourrait être mise en application dès 2010.

Il semble que cette contribution sera mise en place de façon progressive et serait fiscalement neutre, en ce qu’elle serait compensée par la réduction d’autres charges fiscales. Les premières ébauches présentent un prix de départ entre 14 et 17 euros la tonne (soit plus ou moins 25 dollars CAD), le montant étant voué à être revu à la hausse avec le temps, selon le Président français. La taxe vise les secteurs non visés actuellement par le système d’échange de droits d’émission européen, comme les bâtiments, les transports et les petites entreprises industrielles, artisanales ou agricoles.

Divers motifs de contestation émergent suite à cette décision. Dans un premier temps, d’une manière générale, l’imposition d’une taxe n’est jamais un exercice populaire. Surtout lorsque celle-ci se traduit par une hausse du prix de l’essence, des combustibles utilisés pour le chauffage domestique et dans les petites industries. Certains y voient une façon d’enrichir les coffres de l’État suite à la récession, ce qui nie évidemment l’Élysée.

À l’autre bout du spectre, d’autres jugent que le montant de départ de la taxe n’est pas assez élevé. Selon eux, une tonne à un prix initial d’environ 32 euros serait plus appropriée pour réduire la consommation d’énergie.

Enfin, on se questionne sur les impacts de la présence de deux possibilités de prix du carbone : un pour les grandes installations soumises au marché du carbone et un pour les secteurs visés par la taxe. Par exemple, dans l’industrie des cimenteries, il y a la possibilité d’une cohabitation entre des grandes entreprises visées par le marché climatique (et son prix fluctuant) et des entreprises plus petites bientôt assujetties à une taxe fixe. Confère-t-on un avantage à des secteurs ou à des sous-secteurs en agissant ainsi? Disons que les fluctuations du marché européen ne nous permettent pas d’avoir une réponse claire à cet égard. En effet, en 2009, le prix d’une unité échangeable dans le système d’échange européen de quotas d’émission de GES a oscillé entre 12 et 16 euros la tonne entre août et novembre. La décision de l’Élysée à proposer une taxe à un taux similaire peut alors paraître fondée. Toutefois, entre août 2008 et avril 2009, le prix de la même unité a oscillé entre 8 euros et 25 euros la tonne.

En Suède : depuis 1990

L’exemple de la Suède est intéressant pour mettre en perspective certains de ces débats. En 1990, sans grand éclat, la Suède a procédé à une réforme fiscale qui donne naissance à une taxe sur le carbone équivalant à l’époque à 27 euros la tonne. Cette taxe est applicable à tous les Suédois lors d’achat de combustibles émettant du dioxyde de carbone (CO2), peu importe leurs revenus ou leur lieu de résidence. La taxe augmente de 5 % par année et, en 2009, elle est évaluée à 108 euros la tonne.

La majeure partie des secteurs industriels ne sont visés que par un pourcentage de la taxe (environ 20 % de la taxe) qui est voué à augmenter à hauteur de 60 % d’ici 2015. Néanmoins, il faut prendre en considération que la Suède a ratifié le Protocole de Kyoto et participe activement au système d’échange de droits d’émission européen. Ce dernier système vise les grandes installations industrielles.

Lesdits secteurs industriels suédois se trouvent donc visés par deux outils législatifs : une portion de la taxe, de même qu’un plafond d’émission à respecter en vertu d’un système d’échange de droits d’émission.

Les sommes recueillies, utilisées par le budget général et non spécifiquement à des fins environnementales, ont généré d’importantes sommes pour l’État. Depuis 1990, grâce à cette taxe, les émissions de GES ont diminué d’environ 9 %, alors que le produit intérieur brut (PIB) a cru de… 44 %.

Au Québec : le financement de mesures responsables

Au Québec, en vertu notamment du Plan d’action 2006-2012 sur les changements climatiques, le gouvernement s’est doté d’une taxe sur le carbone qui s’applique aux distributeurs d’énergie déterminés par la Loi sur la Régie de l’énergie, comme les distributeurs de gaz naturel; toute personne morale ou société qui apporte au Québec des carburants et des combustibles à des fins autres que la revente et tous les distributeurs de carburants et de combustibles.

Pour ce faire, on attribue au distributeur une quantité d’émissions de CO2 selon les volumes de gaz naturel, d’essence, de diesel, de mazout léger, de mazout lourd, de propane, de masses de coke de pétrole et de variétés de charbon distribués. Pour être taxés, tous ces carburants et combustibles doivent être vendus pour fins de consommation au Québec.

Pour déterminer le montant de la taxe, le gouvernement a d’abord fixé la somme totale qu’il entendait prélever auprès des distributeurs visés. Depuis 2007 – et, selon un récent décret, jusqu’en 2013 – le gouvernement du Québec fixe ce montant total à 200 millions de dollars CAD par année.

Depuis, la Régie de l’énergie a fixé chaque année la quantité totale des émissions de CO2, grâce (entre autres) aux déclarations de tous les distributeurs d’énergie soumis à cette taxe. Le taux applicable est fixé en divisant l’apport monétaire annuel souhaité par le gouvernement (200 millions de dollars) par la quantité d’émissions de tous les distributeurs.

La somme annuelle de 200 millions de dollars perçue par l’État est versée au Fonds vert. Ce dernier, administré par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, est notamment consacré à la réduction des émissions de GES et à la lutte aux changements climatiques. Le Fonds Vert est presque uniquement financé par cette taxe, bien qu’il ait bénéficié d’une contribution fédérale unique de 350 millions de dollars provenant du Fond en fiducie du Canada pour la qualité de l’air et les changements climatiques.

Les sommes recueillies par le Fonds Vert depuis 2007 (1,55 milliard de dollars) financent une panoplie de mesures. Celles-ci, instituées en vertu du Plan d’action 2006-2012, visent différents secteurs, dont les transports, les municipalités, l’efficacité énergétique et le financement de technologies propres.

En conclusion

Présentement, on retrouve ces taxes sur le carbone notamment en Finlande, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique. Au Québec, le gouvernement actuel continue ses démarches en voie d’une participation au marché du carbone nord-américain, ce qui n’empêche pas de financer des mesures utiles par l’entremise d’une taxe. Il en est de même pour la Suède – comme nous l’avons vu, et depuis 1990 – et pour l’Angleterre, qui propose des cibles de réduction très importantes avec le récent Climate Change Act 2008.

C’est donc aux administrations publiques de déterminer comment et dans quelle mesure utiliser les outils législatifs et réglementaires à leur disposition. Il n’y a cependant pas de recette parfaite et, malgré les imperfections de certaines mesures, il est important d’agir et d’apprendre des expériences vécues en évitant de croire qu’un outil particulier va régler l’ensemble du problème.


 

 



Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.


Me Alain Brophy est membre du Barreau du Québec depuis 2002 et pratique au sein de l’étude Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l. principalement en droit civil, commercial et transactionnel. Détenteur d’une maîtrise en droit, ses travaux académiques et publications ont surtout été orientés sur les systèmes d’échange de droits d’émission dans le cadre de régulation environnementale.


Pour plus de détails, du même auteur :

Sur les systèmes de crédits compensatoires :

 « Le Système canadien de crédits compensatoires et le Mécanisme pour un Développement Propre du Protocole de Kyoto », dans les Développements récents en droit de l’environnement 2009, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2009


Sur les systèmes d’échange de droits d’émission :
L’efficacité des systèmes d’échange de droits d’émission – Des enjeux juridiques, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2007

Sur le cadre règlementaire fédéral proposé :
« The Canadian Regulatory Framework for Carbon Trading : Sailing Away from Consensus while waiting for the U.S. Federal Scheme », dans Carbon & Climate Law Review, 2/2008, Lexxion, 2008.


Sur les dispositions environnementales de l’ALENA :
« ALÉNA, ANACDE et Environnement : 10 ans plus tard », dans les Développements Récents en droit de l’environnement 2006 (Barreau du Québec), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2006.

 

 

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