L'envers de la bourse du carbone

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Par David Murray
Animateur à CISM 89,3 FM


Mots clés : CoP15 Copenhague, climat, bourse du carbone

La conférence internationale sur le climat qui aura lieu à Copenhague approche rapidement. Plus d’un prévoit l’échec de cette rencontre de haut niveau, censée jeter les bases des suites à donner au Protocole de Kyoto. En effet, les mesures significatives en la matière se font toujours attendre, même au sein des pays qui semblent pourtant à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques. Cela est d’autant plus vrai chez nous, au Canada. Les deux solutions les plus souvent avancées (la taxe sur le carbone et la bourse du carbone) pourront-elles nous tirer du pétrin? Rien n’est moins sûr…

Taxer pour endiguer le réchauffement

Jusqu’à présent, seules deux tendances semblent avoir la cote auprès des décideurs publics, pour juguler les changements climatiques : l’imposition d’écotaxes, sous la forme d’une taxe sur le carbone, et la mise en place de bourses du carbone. Ce sont d’ailleurs les principaux mécanismes mis de l’avant dans le Protocole de Kyoto. Plusieurs doutent de l’efficacité de ces mesures.

Concernant la taxe sur le carbone, reconnaissons d’entrée de jeu qu’elle a le mérite de reconnaître le principe du pollueur-payeur. L’argent généré par son application pourrait financer certaines initiatives porteuses en matière de développement des énergies renouvelables et d’implantation de mesures d’efficacité énergétique. La taxe sur le carbone permettrait d’offrir des crédits d’impôt aux entreprises consentant les efforts nécessaires à une reconversion énergétique. En revanche, une telle taxe, dans les faits, ne mettrait pas nécessairement un frein à la pollution, puisqu’une entreprise qui en aurait les moyens pourrait continuer de polluer tout en s’acquittant de la taxe, jusqu’à ce qu’elle atteigne un niveau prohibitif.

Comme le rapport de force actuel semble en faveur des gros intérêts privés, il y a fort à parier que les niveaux de taxation sur le carbone seront plutôt timides. Avec une taxe européenne avoisinant les 17 € la tonne, l’augmentation du prix de l’essence, par exemple, reste minime. Le député Vert Yves Cochet regrette même que cette augmentation soit inférieure aux « fluctuations trimestrielles des prix du marché » (1). Pour cette raison, dit-il, le signal prix – c’est-à-dire le signal envoyé aux acteurs économiques en ce qui concerne le coût de la taxe – sera inefficace : il n’atteindra pas le niveau requis permettant un réel changement des comportements. Aussi, malgré les diverses compensations prévues pour les ménages à faible revenu et les secteurs d’activités gros qui consomment beaucoup d’énergie (ex. : agriculture, pêche et transport), les diverses taxes proposées jusqu’ici s’appliqueront indistinctement aux particuliers et aux entreprises, sans que des programmes de conversion énergétique soient nécessairement mis en place. Les ménages à faible revenu et les petites entreprises risquent donc d’être pénalisés, parce qu’ils n’ont pas toujours les ressources pour assumer une telle conversion.

La France, à l’instar d’autres États européens, a déjà annoncé son intention d’instaurer une telle taxe pour 2010. Si cette taxe est accueillie comme un premier pas chez les uns, elle est considérée comme une mesure nettement insuffisante chez les autres, voire comme une ponction qui risque de nuire aux moins nantis de la société.

Une bourse pour les affairistes du climat

L’autre avenue économique importante pour faire face aux changements climatiques est la mise sur pied des bourses du carbone. Voilà une initiative faite sur mesure pour les partisans du libre marché, qui devrait faire le bonheur des milieux d’affaires.

Cela consiste, comme son nom l’indique, en une bourse : un marché dans lequel on retrouve des vendeurs, des acheteurs et des intermédiaires. Cependant, au lieu d’y négocier des actions d’entreprises, on s’y échange des droits et des crédits d’émission de dioxyde de carbone (CO2). Le cadre est généralement celui-ci : les gouvernements imposent des quotas d’émission de carbone à respecter; les entreprises qui ne les respectent pas peuvent acheter des droits de polluer aux entreprises qui possèdent des crédits d’émission à vendre. Les défenseurs d’un tel mécanisme affirment que cela aura pour effet de récompenser les « bons » élèves et de pénaliser les « mauvais ». Voilà pour la théorie.

Une solution empoisonnée?

Dans les faits, lorsqu’on y regarde de près, on se rend compte que nous avons peut-être affaire à une solution empoisonnée. Comme nous l’avons déjà évoqué, les bourses du carbone sont conçues sur mesure pour les affairistes. Comme le souligne le journaliste au Rolling Stone Matt Taibbi, une telle bourse « est simplement une taxe sur le carbone, structurée pour que des intérêts privés ramassent les revenus, au lieu de simplement imposer un montant de taxe fixe sur la pollution liée au carbone et obliger les producteurs de pollution à payer pour la destruction qu’ils produisent » (2).

Le mécanisme même de ces bourses est configuré de façon à faire fructifier les placements. Comme les gouvernements prévoient resserrer les quotas avec le temps – et, donc, limiter les possibilités de pollution –, un phénomène de rareté se produira : les droits de polluer, de plus en plus rares, feront… le bonheur des boursicoteurs. Qui paiera en fin de compte cette hausse du coût des permis? Il arrive souvent que les entreprises, afin de ne pas rogner leurs profits, compensent une hausse de taxe par une augmentation de prix. On peut donc parier que le consommateur client le grand perdant de ce marchandage boursier. Comme le soulignait André Bouthillier dans la version Internet de L’Aut’Journal : « Ainsi nous, les consommateurs, contribuerons au remboursement du permis et paierons les profits engrangés par les firmes de fonds spéculatifs, lesquelles se feront la course à la “bourse du carbone” pour faire monter les enchères et s’enrichir » (2).

Certaines bourses ont eu des effets positifs. Par exemple, celles sur les NOx et les SOx, découlant du Protocole de Montréal signé le 16 septembre 1987, ont permis une réduction des pluies acides. Certains doutent cependant qu’une bourse du carbone puisse avoir des effets significatifs sur la réduction de la pollution, puisqu’on peut toujours y acheter les crédits de quelqu’un d’autre. Bref, « les personnes pollueuses ne seraient pas obligées de changer leur mode de vie tant qu’elles auraient les moyens de se payer des unités de carbone supplémentaires aux dépens des plus pauvres » (3)
explique la doctorante en socio anthropologie Mathilde Szuba. Tant qu’une entreprise a les moyens de payer, elle peut toujours continuer à polluer. Et, comme le soulignait Ugo Gilbert Tremblay sur le site Internet Presse-toi à gauche!, les quotas légalisent un certain degré de pollution (4). Enfin, comme la bourse du carbone ne concerne que le CO2, on laisse aussi au passage plusieurs autres substances polluantes. Donc, la bourse du carbone n’incite pas à revoir certaines méthodes de production qui génèrent d’autres formes de pollution.

En conséquence, on peut se demander si les « bons » élèves seront réellement récompensés comme il se doit. Même que, dans certains secteurs directement visés par les mesures de réduction des gaz à effet de serre, comme l’industrie du gaz naturel, on se questionne sur l’efficacité et l’équité d’un tel mécanisme. Comme le soulignait en 2008 le président de l’Association canadienne du gaz, Michael Clelane : « Je rejette l’idée qu’une bourse soit plus équitable que la taxe. Au contraire, si vous avez amélioré votre efficacité dans le passé et que vous consommez moins d’énergie, vous serez moins soumis à une éventuelle taxe » (2).

L’instauration d’une bourse du carbone suppose également qu’on puisse évaluer monétairement le coût de la pollution et corriger ce qu’on appelle les externalités négatives, c’est-à-dire les coûts – sociaux et environnementaux – non comptabilisés dans l’échange marchand traditionnel. Bien que ce prix soit difficilement quantifiable, il apparaît néanmoins nettement en deçà de ce qui pourrait s’approcher de son réel coût. D’ailleurs, fait remarquer Mathilde Szuba, le cours de la tonne de CO2 a chuté par deux fois sur le marché européen, en à peine… quatre ans d’existence.

Finalement, c’est aussi la logique sous-jacente à la bourse du carbone qui nous porte à croire qu’elle ne constitue pas une réponse appropriée au défi climatique. Cette logique relève du concept de tout-marché, selon lequel tout doit passer par le marché : le jeu de l’offre et de la demande sous les auspices de la « main invisible », présentée par plusieurs économistes comme la seule mesure régulatrice, qui fait de la marchandisation du monde son leitmotiv. Cette logique a pourtant démontré ses effets néfastes plus d’une fois, au cours des trente dernières années.

Droit devant!

Malgré tout, on semble vouloir aller de l’avant, coûte que coûte, avec la bourse du carbone. Plusieurs États européens en sont munis. Le Québec n’y fait pas exception, l’Assemblée nationale ayant adopté en juin 2009, et à l’unanimité, la Loi 42 concernant la mise sur pied d’une bourse du carbone. Bien que pour l’instant les échanges y soient plutôt modestes, les perspectives sont alléchantes pour quiconque entend y faire des affaires. Toujours selon Matt Taibbi, « L’avenir des banques d’affaires repose sur les crédits de carbone. Il s’agit d’un marché dans les trillions de dollars qui existe à peine présentement, mais qui existera si le Parti démocrate états-unien, qui a reçu 4 452 585 $ des lobbys pro-bourse du carbone durant la dernière élection, parvient à faire naître une nouvelle bulle spéculative de matière première, déguisée en programme environnemental nommé “échange de crédit de carbone” » (2).

Une pression de haut niveau

Les pressions sont donc fortes sur les élus. Certains, dans le milieu des affaires, investissent beaucoup d’argent pour vendre les bienfaits de l’instauration d’une bourse du carbone. Les appuis en sa faveur viennent aussi de plusieurs environnementalistes et de nombreuses personnalités, que ce soit Steven Guilbeault au Québec, Nicolas Hulot en France ou Al Gore aux États Unis. On se souviendra d’ailleurs comment l’ancien aspirant à la Maison-Blanche avait été invité en grande pompe par La Presse pour donner une conférence sur la question des changements climatiques. Ces conférences (avec un cachet moyen de 100 000 $ à 175 000 $) ont permis à Gore de fonder, avec trois anciens dirigeants de la banque d’affaires Goldman Sachs, la société General Investment Management. Leur objectif? Investir dans les crédits de carbone…

Il est difficile d’entrevoir à court terme un fléchissement de l’appui à la mise en place d’un tel système boursier. En comprendre les rouages pourrait cependant être un premier pas, pour quiconque veut en appréhender les effets possibles. Mais, si l’on s’en remet à l’opinion qu’en émettait l’éminent climatologue James Lovelock dans un entretien accordé au New Scientist rapporté par le site AlterNet (5), cela ne changera absolument rien pour notre objectif de limiter la prolifération des gaz à effet de serre. Voilà de quoi nous faire méditer…


Par David Murray
Animateur à CISM 89,3 FM


David Murray collabore à diverses publications alternatives papier et sur le Web et anime l’émission radiophonique Les rejetons de Gérard Lambert, sur les ondes de CISM, 89,3FM.

 


Sources : 

(1) Marielle Court, « Taxe carbone : la progressivité, gage d’efficacité », Le Figaro, 11 septembre 2009. [En ligne]
(2) André Bouthillier, « La solution empoisonnée de la bourse du carbone », L’Aut’Journal, 31 août 2009. [En ligne
(3) 

Mathilde Szuba, « La carte carbone : Poser une limite à la consommation d’énergie », Le Télégramme.com, 2 août 2009. [En ligne]
(4) Ugo Gilbert Tremblay, « La bourse du carbone ou le nouveau terrain de jeu des maîtres du monde », Presse-toi à gauche!, 6 août 2008. [En ligne]
(5) Alexander Zaitchik, « The dark side of climate change: it’s already too late, cap and trade is a scam, and only the few will survive », AlterNet, 7 juillet 2009. [En ligne

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