Mobilisation sur le climat aux États-Unis : les milieux d’affaires ne sont plus unanimement contre l’administration Obama

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Par Gilles Bourque,
Coordonateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité


Mots clés : Patronat, États-Unis, changements climatiques, entreprises, lobbyistes.

Plus ça change et plus c’est pareil. Dans les années 1930, les Républicains avaient fait front commun avec le grand capital pour s’opposer aux grandes réformes progressistes initiées par le New Deal du président Roosevelt. Aujourd’hui, le président Obama fait face à la même obstination aveugle contre les nécessaires changements qu’il tente d’amorcer.

Par exemple, lors du dépôt du projet de réforme pour une nouvelle régulation des marchés financiers — qui repose en très grande partie sur la création d’une nouvelle Agence de protection des consommateurs — le lobby des institutions financières s’est mobilisé pour combattre toute intervention étatique intempestive dans le marché. “It’s bad for the consumers”, affirme Steve Bartlett, président de la Financial Services Roundtable, un lobby des banques états-uniennes. La nouvelle agence viserait précisément à protéger les consommateurs des pratiques frauduleuses dans le domaine des hypothèques, des cartes de crédit et des autres produits financiers.

La Chambre de commerce des États-Unis, vigoureusement opposée à la création de cette agence, a tout de suite appuyé les banquiers. Cet appui n’est pas surprenant. Elle annonçait en même temps une campagne sans précédent de 100 millions de dollars « to defend and advance economic freedom » à un gouvernement qu’elle compare aux dictatures de l’Asie du Sud-Est!

Le président de la Chambre de commerce, Tom Donohue, affirme que cette campagne vise à maintenir le statu quo actuel dans une large variété de domaines, en s’opposant aux projets de l’administration Obama, tels que le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre (GES), la réforme du système de santé, la régulation du système financier et la taxe sur les entreprises. De plus, en collaboration avec d’autres organisations patronales, il annonce une autre campagne (de 200 millions de dollars!) contre la volonté du gouvernement de faciliter les démarches de syndicalisation des travailleurs états-uniens (Employee Free Choice Act).

Par ailleurs, conduite par le American Petroleum Institute et appuyée par des représentants républicains, une autre campagne anti-Obama s’organise pour imposer le point de vue de l’industrie pétrolière dans les grands médias des États-Unis. Une nouvelle organisation a été mise sur pied pour mener la guerre contre l’administration Obama, The Energy in Depth. Ils ont commencé par s’attaquer personnellement à Diane DeGette, démocrate de la Chambre des représentants et critique infatigable des pratiques nuisibles de l’industrie pétrolière et en particulier de ses méthodes d’exploration qui ont des impacts importants sur l’environnement.

 

Le « front du refus » de la droite états-unienne se lézarde

Mais devant l’extrémisme de la Chambre de commerce des États-Unis, des entreprises commencent à quitter le bateau ou à s’opposer à la direction réactionnaire qu’elle a prise dans les domaines économique, social et environnemental. C’est surtout autour de l’enjeu des changements climatiques qu’elle fait face à une montée de boucliers. En quelques semaines, trois des plus grandes entreprises états-uniennes dans le secteur de la production d’énergie (Exelon, Pacific Gas & Electric et PNM Resources) ont décidé de quitter l’organisation pour ne plus être associées à une organisation qui, non seulement s’oppose à la mise en place de quotas d’émissions de GES sous prétexte que cela nuirait à la croissance économique, mais nie carrément la réalité des enjeux climatiques.

Alors qu’il présentait une conférence du American Council for an Energy-Efficient Economy (ACEEE), John Rowe, PDG d’Exelon, a déclaré que la campagne de la Chambre était incompatible avec les engagements de l’entreprise dans le domaine des changements climatiques et qu’elle cherchait à ramener les États-Unis à des dizaines d’années en arrière sur le plan du débat scientifique!

Dans une lettre envoyée à la Chambre de Commerce, le PDG de Pacific Gas & Electric, Peter Darbee, écrit : « We find it dismaying that the Chamber neglects the indisputable fact that a decisive majority of experts have said the data on global warming are compelling and point to a threat that cannot be ignored. In our opinion, an intellectually honest argument over the best policy response to the challenges of climate change is one thing; disingenuous attempts to diminish or distort the reality of these challenges are quite another. » Le PDG de PGE dénonce la position extrémiste de l’organisation qui, selon lui, ne représente pas la vue de la majorité des entreprises membres. C’est pourquoi son entreprise a plutôt décidé de joindre la U.S. Climate Action Partnership qui adopte une position plus constructive sur la question des changements climatiques.

D’autres entreprises, de tous secteurs d’activités, sont aussi actives pour dénoncer les positions rétrogrades de ceux qui s’opposent à l’administration Obama. Duke Energy, Alstom, Johnson & Johnson et Nike ont pris des positions favorables aux efforts gouvernementaux. Mark Parker, dirigeant de Nike, a lui aussi décidé de quitter la Chambre de commerce, en partie sous la pression des acteurs de la finance responsable (Green Century Equity Fund, Newground Social Investment ainsi que le Basilian Fathers of Toronto) qui demandaient à l’entreprise d’être conséquente avec ses propres engagements en faveur d’un développement plus durable.Comme plusieurs autres firmes, Nike a plutôt décidé d’être active au sein du Business for Innovative Climate & Energy Policy (BICEP) pour contrecarrer les opposants aux réformes. « Nike believes US businesses must advocate for aggressive climate change legislation and that the United States needs to move rapidly into a sustainable economy to remain competitive and ensure continued economic growth. »

 

Une nouvelle coalition d’entreprises contre les changements climatiques

Les entreprises favorables à une politique plus robuste des États-Unis sur les enjeux climatiques ont décidé de créer une coalition pour soutenir l’administration Obama. Alors qu’au Sénat, les sénateurs démocrate John Kerry et républicain Barbara Boxer déposaient le projet de Clean Energy Jobs and American Power Act, la bataille faisait rage de part et d’autre chez les lobbyistes pour favoriser l’issue du vote qui ne devrait pas tarder. C’est dans cette optique que 150 dirigeants d’entreprises provenant de toutes les régions se sont rassemblés sous la houlette de la coalition We Can Lead, récemment créé par le Ceres et le Clean Economy Network.

Les entreprises qui forment cette coalition sont très diversifiées. On y trouve évidemment des entreprises dans le domaine des technologies propres (équipementiers d’énergie solaire et éolienne) mais aussi des entreprises qui se sont solidement positionnées dans le mouvement de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), telles que Apple, Nike et Starbucks. Ces entreprises proviennent de trente États. Leurs dirigeants affirment qu’une législation sur le climat et un tournant décisif dans le domaine de l’énergie conduiront à une nouvelle révolution industrielle qui créera des millions de nouveaux emplois, révolution que les États-Unis ne peuvent laisser à d’autres.

En même temps, deux douzaines de PDG de grandes entreprises — allant de eBay à HP, en passant par Gap et PG&E —  ont signé une lettre ouverte pour signifier leur appui au président Obama et au projet de loi Kerry-Boxer. « We are business leaders from companies of all sizes and many sectors calling for your leadership. We call on you to enact comprehensive legislation. … Now it’s time for the United States Senate to act. »

Par ailleurs, une autre coalition composée d’entreprises, de syndicats et de groupes environnementaux ont lancé une vaste campagne publicitaire conjointe pour appuyer un vote du Congrès « in support of comprehensive clean energy and climate change legislation. » On retrouve, dans cette coalition, United Technologies (maison-mère de Pratt & Whitney), Johnson & Johnson, GE, Weyerhauser, Nature Conservancy et le Environmental Defense Action Fund. Comme le souligne John Rowe, PDG d’ Exelon, « companies need the legislative certainty to start making the substantial investments needed to jump-start a low-carbon economy and create jobs. »

  


Par Gilles Bourque,
Coordonnateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité

Gilles Bourque détient une maîtrise en sciences économiques et un doctorat en sociologie économique à l’UQAM.  Il est l’auteur du livre Le modèle québécois de développement : de l’émergence au renouvellement, paru au PUQ, qui s’est mérité le premier Prix pour la meilleure thèse de doctorat de l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine) en 2000.

La mission de Les Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité, est de créer un groupe de presse visant à soutenir la diffusion des connaissances provenant de la pratique et de la recherche sur la vie économique actuelle, dans une perspective de développement durable.


 
Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration mensuelle
entre GaïaPresse et les Éditions Vie Économique (EVE)

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