Gestion de l’eau – Nécessité d’une vision à long terme

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Par André Laplante
Institut de recherche en économie contemporaine


Mots-clés : Gestion de l’eau, gestion publique et privée, Montréal.

Durant tout l’automne, de nombreux scandales liés à la gestion de l’eau ont fait les manchettes au Québec. Cette question a été au cœur de la dernière campagne électorale municipale à Montréal. Marianne Audette-Chapdelaine, auteure d’un mémoire sur la gestion des services d’eau urbains et gagnante d’un prix de l’IRÉC en 2008, constate que le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal n’ont pas su créer leur propre modèle de gestion de l’eau basé sur une vision à long terme. « C’est ainsi, déclare-t-elle, que l’on n’a pas su ou voulu se prémunir contre les alternances politiques dans l’élaboration de la nécessaire réforme de la gestion de l’eau ».

La chercheuse a étayé son point de vue d’un bref rappel historique. « Nous ne pouvons pas dire que la privatisation a été planifiée. Nous avons plutôt eu affaire à un laisser-aller dans l’entretien de notre réseau pendant 30 ans. En 1970, il y a eu une réforme municipale qui a fait disparaître les métiers de l’eau. On voulait que les cols bleus soient des généralistes. Montréal s’est retrouvée confrontée à un réel problème de tuyauterie. C’est à ce moment que s’est développée l’expertise du secteur privé pour les urgences », explique-t-elle.

Dans les années 1990, il y a un débat sur la gestion de l’eau au Québec. Toute la question notamment de la propriété et de l’exportation de l’eau est soulevée. La Ville de Montréal est en contact avec la France qui connaît les modes de gestion publique et privée. À Marseille par exemple, l’eau est gérée par le privé depuis les années 1930. En 2000, le rapport Beauchamp recommande de ne pas privatiser la gestion de l’eau. « Le problème, dit Marianne Audette-Chapdelaine, c’est que les moyens n’ont pas suivi pour améliorer la gestion publique de l’eau. La gestion des travaux est tombée dans les mains des firmes d’ingénierie. La Ville de Montréal n’a pas reconstitué son expertise à l’interne. Pourtant, c’est possible. La municipalité a bien essayé de faire quelque chose avec le secteur privé. Avec les résultats que l’on connaît. Oui, il faut régler les scandales. Mais il faut surtout bien gérer les services de l’eau et entretenir le réseau, quitte à mieux encadrer le privé à court terme. Une chose est sûre, les autorités ne pourront pas faire l’économie d’une vision à long terme ».

En ce qui concerne le modèle à adopter, elle souligne que tout dépend du contexte. Selon la chercheuse, « il n’y a pas de modèles idéaux. En fait, cette question est plus politique que technique. À Marseille, les citoyens et les citoyennes ont affaire à un monopole privé depuis la Deuxième Guerre. Cependant, les choses commencent à bouger. Un appel d’offres est en préparation. Le service est bon, l’eau est bonne, mais cela coûte cher. »

Au cours de la recherche pour la rédaction de son mémoire « La dynamique des relations entre acteurs publics et privés dans la gestion des services d’eau urbains. Les cas de Montréal et de Marseille », Marianne Audette-Chapdelaine s’est penchée sur le modèle idéal de gestion publique que constitue l’expérience de Stockholm. En Suède, la loi interdit la gestion privée de l’eau. Dans la capitale suédoise, la gestion de l’eau est confiée à une société composée d’actionnaires publics. Les coûts sont raisonnables. Ce modèle a également été rendu célèbre par d’autres aspects uniques : recherche et développement en partenariat avec l’Université, construction d’un quartier environnemental, gestion d’un bassin d’eau s’apparentant à la gestion d’une ressource naturelle, organisation chaque année d’une semaine mondiale de l’eau, obtention de contrats en Europe notamment de pays de l’Est, concertation avec les producteurs lorsqu’il y a de l’agriculture sur son territoire, etc.

En 2008, un changement radical de la gestion apparaît sans être lié à un véritable débat public. « Les prix ne sont pas en cause, explique la chercheuse, car ils sont compétitifs. Ce changement relève d’un choix politique. Tout ce qui faisait l’originalité de l’expérience a été vendu au privé, à l’exception de l’exploitation des usines. Cette partie de la gestion doit demeurer dans le secteur public, car c’est une exigence de la Loi. Ce recours au privé n’est pas sans conséquence. En plus de répondre aux urgences, les gestionnaires publics planifiaient des réparations systématiques sur un certain nombre de kilomètres chaque année. La gestion s’oriente désormais vers les urgences. Que va-t-il arriver à long terme? Difficile de le dire. Ce qui est sûr, c’est que la ville de Stockholm perd progressivement son expertise dans la gestion de l’eau. »

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