Le Canada deviendra-t-il un pays du tiers-monde?

0
Par Nicolas Mesly

Mots-clés : bourse, carbone, économie verte, plan, relance économique, Chine, Canada, Etats-Unis, ALENA, pétrole, gaz naturel, énergie fossile, Nouveau Deal écologique mondial

Accro au pétrole et au gaz naturel, le Canada risque de manquer le « New Deal écologique mondial » et de glisser vers une économie tiers-mondiste, révèle en entrevue avec Gaïa Presse, Edward B. Barbier, auteur d’un rapport du même nom commandé par le PNUE…

À son avis, l’inertie du gouvernement Harper en matière d’investissement dans une économie verte coûtera très cher aux entreprises, aux travailleurs et aux contribuables du pays, parce que le pouvoir économique penche de plus en plus du côté de l’Asie. D’après les prévisions de Goldman Sachs, en 2050 (1), l’économie chinoise surpassera deux fois la taille de celle des Etats-Unis pour occuper le premier rang mondial. Ces derniers seront côte à côte avec l’Inde pour occuper le deuxième rang, suivis du Brésil et du Mexique. L’économie canadienne, quant à elle, équivaudrait à celle du Vietnam, un petit pays qui aspire à faire sa place dans les marchés mondiaux.

 

Changer la vision de l’économie

À la veille de la publication prochaine d’un livre sur le sujet, l’auteur, également professeur à l’Université de Wyoming, fait le point sur le plan de relance économique mondial qui a coûté la somme de 3 trillions de dollars américains.

En 2009, pour extirper le monde de la crise financière, doublée d’une crise climatique et alimentaire, M Barbier a proposé aux dirigeants mondiaux d’investir dans une économie fondée sur la construction de bâtiments publics dotés d’une meilleure efficacité énergétique (hôpitaux, écoles), l’utilisation d’énergie renouvelable (éolien, solaire, géothermique, biomasse) le transport public, l’agriculture durable et la protection des écosystèmes (air et eau).

Certains pays ont pris la balle au vol, pour créer de l’emploi en économie verte et aplanir les écarts de pauvreté. Par exemple, selon le Financial Times (2), La Chine et la Corée du Sud mettent plein les gaz pour changer le moteur économique traditionnel qui carbure à l’énergie fossile. En 2009, L’Empire du Milieu a investi 38 % de son plan de relance soit $ 221,3 milliards dans cette nouvelle économie, presque deux fois plus que les Etats-Unis qui y a consacré 12 % soit, $ 112,3 milliards. Outre la Chine, le petit tigre asiatique qu’est la Corée du Sud y a injecté 81 % de son plan de relance, soit $ 30,7 milliards. De son côté, le castor canadien y a réservé à peine 8 % de ses investissements soit, 2,6 milliards $.

« La Chine a entre autres l’ambition de devenir le premier constructeur et exportateur mondial de véhicules verts », spécifie M. Barbier. Propriétaire du plus gros parc éolien au monde, la Chine exporte déjà ses turbines aux Etats-Unis et frappe même à la porte de la Ville de Montréal pour forcer la réouverture d’une soumission de contrats de wagons de métro.

 

Au lendemain de Copenhague

Le professeur Barbier tempère l’absence de résultat obtenu à la réunion des Nations unies sur les changements climatiques de Copenhague, en décembre dernier. Les projecteurs y étaient braqués sur les Etats-Unis, encore la première puissance mondiale et la Chine, devenu le plus gros émetteur de GES. « Le différent entre les deux pays porte sur le calcul des émissions. Les Chinois ne veulent rien entendre d’un plafond obligatoire de leurs émissions pour ne pas nuire à leur croissance économique. Ils privilégient une réduction de la densité des émissions par habitant, ce qui ne ralentirait pas leur croissance ». Selon l’auteur, les deux géants pourraient arriver à un accord qui débloquerait cette impasse post Kyoto avant la réunion du G20, dont le Canada sera l’hôte en juin 2010, à Toronto. M. Barbier croit que l’assise d’un Nouveau Deal écologique mondial passe par une coordination au sein du G20 qui regroupe près de 90 % du PNB mondial, les deux tiers de la population de la planète et 80 % du commerce planétaire.

 

Le Canada se traîne les pieds

De l’avis de M. Barbier, le Canada « se traîne les pieds » et « devrait cesser de mimer les Etats-Unis », notamment dans l’instauration d’une bourse de carbone contraignante nord américaine pour diminuer les émissions polluantes. Le Canada ne devrait pas se contenter d’un objectif de réduction de GES de 17 % sous le niveau de 2005 d’ici 2020, tel qu’envisagé par les Etats-Unis, mais de « 30 % par rapport à 2006 ». (Signataire de l’Accord de Kyoto, le Canada doit réduire ses émissions de 6 % par rapport à 1990 entre 2008-2012. En fait, il les a dépassées de 33, 8 % (3)).

M. Barbier concède qu’il est difficile pour le Canada d’instaurer une bourse du carbone sans l’engagement de son puissant voisin. Mais le pays devrait préparer ce terrain avec le Mexique au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Aux Etats-Unis, au moins deux projets de loi sur l’énergie visant la création d’une bourse de carbone américaine contraignante — avec des quotas d’émissions et un prix sur la tonne de polluant— végètent au Congrès. « L’administration Obama appuie cette politique mais, plus la loi sur le réforme de la santé retardera, plus cette politique sera repoussée », croit le professeur.

Toutefois, d’après M. Barbier, outre la situation américaine, le Canada doit faire preuve de « leadership ». Deuxième plus grand pays au monde, celui-ci pourrait jouer un rôle important dans un Nouveau Deal écologique mondial, en raison des terres et de l’eau disponibles. « Le Canada gagnerait à se démarquer entre autres avec ses technologies géologiques de séquestration de carbone et de récupération d’hydrocarbures », dit-il.

 

Préparer l’économie verte

Dans son premier discours à la Nation le 28 janvier 2010, le président Obama a d’ailleurs senti le poids économique des États Unis se dérober sous ses pieds, ce au moment où un Américain sur 10 est sans emploi: « … la Chine n’attend pas pour retaper son économie. L’Allemagne n’attend pas. L’Inde n’attend pas. Ces pays… mettent de l’emphase sur les mathématiques et la science. Ils font des investissements massifs dans l’énergie propre parce qu’ils veulent ces jobs. Bien, je n’accepterai pas une seconde place pour les Etats-Unis d’Amérique. » (4)

Le professeur Barbier précise qu’il est aussi crucial pour un pays de créer un terreau fertile d’incitatifs de prix et de lois qui incitent le secteur privé d’investir à long terme dans une économie verte à faibles émissions de carbone. Il craint que le gouvernement fédéral n’ait pas encore compris cette équation.

 

Le livre de M. Barbier. A Global Green New Deal: Rethinking the Economic Recovery sera publié par Cambridge University Press, Cambridge, UK  et disponible en librairie en mars prochain.

 
 

Pourcentage des plans de relance alloués à l’économie verte par pays (2009)


(Source : Financial Times, greeneconomypost, Global Green New Deal)
 
 

 
(1) Source : Martin Jacques, When China rules the World, Allen Lane, 2009
 

 

Partager.

Répondre