Protection des espaces naturels : faudrait-il nous inspirer de la France?

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Par Julia Sotousek, doctorante à la Faculté de droit de l’Université Laval et étudiante chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Mots-clés : conservation du territoire, protection des paysages naturels, parcs nationaux, Label « Grand Site de France », France, Québec.

Le mouvement de conservation des espaces naturels a longtemps été centré sur la mise en réserve de territoires terrestres peu modifiés par l’homme au moyen de créations d’aires protégées, de réserves et de parcs naturels. À ce chapitre, une analyse des initiatives prises par la France permet de constater que le Québec aurait avantage à s’en inspirer pour hausser la protection d’aires naturelles exceptionnelles.

Rappelons dès le départ qu’à la fin du XIXe siècle, les États-Unis imposèrent le modèle des parcs nationaux (Yellowstone, 1872), imités en Australie (National Park, 1879), puis au Canada (Banff, 1885). Ce modèle n’est parvenu en Europe qu’au début du xxe siècle.

Mais qu’entend-t-on par « parc national »? La définition proposée en 1994 par l’Union mondiale pour la conservation (UICN) limitait la création de ces aires protégées à des zones naturelles protégeant l’intégrité écologique des écosystèmes (catégorie II de la classification de l’UICN). Toute exploitation ou occupation incompatible avec les objectifs de protection était exclue, à l’exception des visites à des fins spirituelles, scientifiques, éducatives, récréatives et touristiques, dans le respect du milieu naturel et de la culture des communautés locales. L’objet premier de la création d’un parc national n’était donc pas de favoriser un développement économique, mais plutôt, de garantir la conservation et la protection de territoires représentatifs.

Si la France n’a élaboré son premier parc national qu’en 1963 (La Vanoise), son gouvernement semble avoir rattrapé son retard de mise en conservation des territoires en mettant en place une variété d’outils, quasi inutilisés au Québec, conciliant à la fois protection des espaces naturels et développement économique. Notre article s’intéresse successivement à trois de ces instruments novateurs, les parcs naturels marins, les parcs naturels régionaux, ainsi que les opérations « Grands sites de France », qui participent à la protection des paysages naturels et culturels. Ceci nous amène à étudier brièvement, le cas échéant, les instruments correspondants au Québec.

Les parcs naturels marins

Cette catégorie d’espaces protégés instituée en 2006 associe les collectivités et les usagers aux décisions de l’État sur des espaces marins d’intérêt patrimonial. Auparavant, la France ne disposait que d’instruments conçus pour la protection de territoires terrestres qui n’étaient adaptés, ni au respect de l’approche écosystémique désormais mondialement reconnue, ni à la prise en compte de superficies soumises à de multiples conflits d’usages. Bien que n’imposant aucune incrimination, ce statut permet de réunir tous les usagers d’un territoire comportant de nombreuses activités humaines, afin d’élaborer un plan de gestion fixant le régime du parc. À terme, ce plan de gestion peut édicter des interdictions d’accès, des codes de conduite ainsi que des mesures techniques plus respectueuses de l’environnement. Le premier de ces parcs naturels marins a vu le jour au large des côtes de la Bretagne (Mer d’Iroise, 2007) suivi depuis peu par son homologue en outre-mer (Mayotte, 2010). Cet instrument, qui concilie protection du milieu marin et développement durable avec une certaine souplesse, répond peu à peu à l’objectif fixé en 2005 dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité de créer une dizaine de parcs naturels marins d’ici 2012. Appelés à faire leurs preuves avant toute classification, les parcs naturels marins se rapprochent des catégories V (paysage terrestre ou marin) et VI (utilisation durable des écosystèmes naturels) définies par l’UICN, tout en pouvant comporter des zones de catégorie IV destinées à la protection du patrimoine naturel (réserves naturelles).

Si le modèle des parcs naturels marins français constitue un outil adaptable à une variété d’enjeux socioéconomiques, il ne semble pas transposable tel quel au Québec où le contexte institutionnel, les échelles et les cadres d’analyses diffèrent. Il existe une seule aire marine protégée au Québec (Parc marin du Saguenay Saint Laurent, 1998) dont la création a été difficile partant des champs de compétences partagées entre les paliers provincial et fédéral, des enjeux propres au développement économique de la région (présence de ressources énergétiques, pêcheries et industrie touristique) et des connaissances scientifiques encore lacunaires du milieu marin.

Les parcs naturels régionaux

À l’origine, ces parcs n’avaient pas été conçus pour être des instruments de protection de l’environnement. Ils venaient plutôt pallier les faiblesses de la formule préexistante des parcs nationaux. Cette dernière ne pouvait contribuer à la gestion courante de territoires, non exceptionnels, présentant néanmoins un intérêt pour la collectivité, notamment dans les espaces ruraux et périurbains. L’objet d’un parc naturel régional est de protéger son patrimoine par une gestion adaptée des milieux naturels et des paysages, tout en contribuant à l’aménagement du territoire, au développement économique, social, culturel et à la qualité de vie. Le parc assure l’accueil, l’éducation et l’information du public, réalise des actions expérimentales ou exemplaires et contribue à des programmes de recherche. À l’heure actuelle, la France compte 46 parcs naturels régionaux qui couvrent environ 13 p. 100 de son territoire et rassemblent les collectivités contractantes de chacun des parcs autour d’une charte négociée au cas par cas qui détermine les orientations de protection, de mise en valeur et de développement, ainsi que les mesures permettant de les mettre en œuvre. De mieux en mieux perçus par les collectivités dont ils servent les préoccupations de développement économique et écologiques, les parcs naturels régionaux français sont intégrés dans la catégorie V de la classification des aires protégées définie par l’UICN, bien qu’ils puissent intégrer des espaces de catégorie IV, et que leur action relève essentiellement de la catégorie VI.

Le Québec a prévu depuis 2002 des créations similaires dans la Loi sur la conservation du patrimoine naturel sous le vocable de « paysages humanisés ». Ceux-ci regroupent des aires constituées à des fins de protection de la biodiversité de territoires habités, dont le paysage a été façonné par des activités humaines en harmonie avec la nature. Pourtant, les dispositions législatives de 2002 n’ont pas été complétées par des normes réglementant plus précisément les activités autorisées et jusqu’à présent, aucun paysage humanisé n’a été reconnu sur le territoire québécois.

Les opérations « Grands sites de France »

L’État français mène depuis les années 1970 une politique nationale en faveur des grands sites classés, au titre d’une loi sur la protection des sites et monuments naturels touristiques « uniques », comme la Baie du Mont St-Michel. Ainsi, l’objectif d’une « opération Grand site » est de répondre au problème de fréquentation touristique et de dégradation par l’instauration d’une politique d’entretien et de gestion pérenne permettant des actions de mise en valeur, et favorisant le développement local des communautés.

Les organismes locaux assurant la gestion et la mise en valeur des 32 sites existants à ce jour sont regroupés depuis 2000 au sein d’un Réseau des Grands sites de France. Chaque site membre adhérent travaille à améliorer les conditions de protection, de réhabilitation et de gestion active du paysage afin de pouvoir prétendre, dans un délai précis, à l’obtention du Label « Grand Site de France »® institué en 2003. Ce label, renouvelable tous les six ans, reconnaît l’exemplarité de la gestion mise en place, respectant en particulier les principes du développement durable. La mobilisation des partenaires publics et privés de l’État et la philosophie d’action déjà largement éprouvée ont conduit le gouvernement français, en juillet 2009, à envisager de légitimer légalement les opérations « Grands sites de France ». Bien que non classés dans les catégories de gestion des aires protégées proposées par l’UICN, selon nous, les particularités des Grands sites permettraient de les classer dans la catégorie III de l’UICN (monument ou élément naturel méritant d’être protégé du fait de la rareté de sa représentativité, de ses qualités esthétiques ou de son importance culturelle intrinsèque).

Le Québec ne semble pas doté d’un outil similaire. Il existe un Conseil des monuments et sites du Québec depuis 1975, qui est un organisme voué à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine bâti et des paysages culturels du Québec. Toutefois, à l’exception de quelques ententes spécifiques sur la mise en valeur et la protection des paysages conclues entre le gouvernement et certaines municipalités régionales de comté, le patrimoine naturel des territoires habités apparaît, quant à lui, bien démuni.

 

Protéger les paysages habités québécois

Les trois instruments français présentés ici illustrent la tendance de protection de la biodiversité dite « anthropique ». Si le Québec argue qu’il atteint désormais la cible de 8,12 p. 100 d’aires protégées sur son territoire, il ne précise pas que la majorité de ces aires se concentrent sur les territoires naturels auxquels est accordée une protection stricte contre toute activité industrielle, voire résidentielle. Or, qu’en est-il des paysages habités qui présentent des caractéristiques naturelles et culturelles exceptionnelles? La constitution d’un réseau d’aires protégées représentatif d’un territoire doit inclure ces milieux façonnés par l’homme. L’avenir de la protection des paysages habités reste à construire et passe notamment par le développement d’une culture de projet où la prise en charge collective des territoires qui constituent le cadre de vie des collectivités serait reconnue.


Par Julia Sotousek, doctorante à la Faculté de droit de l’Université Laval
et étudiante chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement

Julia Sotousek est doctorante et auxiliaire de recherche à la Faculté de droit de l’Université Laval en cotutelle avec l’Université de Nantes (France). Elle est étudiante-chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement. Sa thèse porte sur l’encadrement internormatif du développement durable du tourisme dans les aires protégées au Québec. Elle est titulaire d’une maîtrise en droit international et transnational de l’Université Laval (Québec) et d’un master en droit des collectivités territoriales et des politiques publiques de l’Université de Cergy-Pontoise (France).

 


Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval, dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux.

 

 

 

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