L’autre façon de collecter les matières résiduelles

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Par Stéphane Gagné


 

Mots-cés : Gestion écologique des déchets, recyclage, matières compostables, Quartier des spectacles de Montréal, Cité vert de Québec.

Collecter les déchets sous terre, de la science-fiction? Eh bien, non, puisqu’à Montréal, dans le Quartier des spectacles et à Québec, dans la future Cité verte du quartier Saint-Sacrement, un système de collecte des déchets souterrain, pneumatique, sera implanté au cours des deux prochaines années. Il s’agit de deux premières au Canada.

Ce système, conçu par l’entreprise suédoise Envac, a fait ses preuves en Europe. Le premier a été installé à Stockholm en 1961 et il est toujours en opération. On en trouve également en Asie, au Moyen-Orient, mais encore peu en Amérique du Nord, bien qu’il y en ait un qui mange les déchets à Disneyland.

Il fonctionnera ainsi à Montréal. Les passants déposeront leurs déchets, matières recyclables et matières compostables dans trois bornes séparées et bien identifiées pour chacune des matières, en bordure de rue. Lorsque les bornes seront pleines, le système d’aspiration se mettra en marche, grâce à des capteurs. L’aspiration s’effectuera alors à une vitesse de 70 km/h à l’intérieur d’une grosse tuyauterie, à intervalle régulier et par séquence (une aspiration pour les déchets, une pour les matières recyclables, et ainsi de suite). Le système dirige les matières vers un terminal où ils seront ramassés par des camions d’ordures, de matières recyclables et de matières compostables. De là, ils seront acheminés à l’endroit approprié (lieu d’enfouissement, centre de tri ou centre de compostage).

À la Cité verte, à Québec, le système s’actionnera de la même façon, sauf qu’il sera installé sous un complexe immobilier de démonstration de technologies vertes comprenant 800 unités d’habitation. « Les bornes seront situées à l’extérieur des logements locatifs et il y aura des chutes à déchets dans les immeubles à condos », affirme Jean-François Ouellet, analyste immobilier pour la SSQ Immobilier, le promoteur du projet.

À Montréal comme à Québec, le système pourra par la suite s’étendre à d’autres commerces, institutions ou habitations. « Le réseau peut faire la collecte des matières dans un rayon maximum de deux kilomètres autour du terminal, affirme Albert Mateu, vice-président des ventes pour l’Amérique et l’Europe du Sud chez Envac. Au total, il peut desservir jusqu’à 8 000 logements (ou équivalent-logement, car il dessert également des commerces et des institutions) et un total de 25 000 personnes. »

Y a-t-il un risque de contamination des eaux souterraines? Avec un entretien adéquat, aucun risque, selon M. Mateu. « La tuyauterie est faite en acier et renforcée avec des alliages aux endroits où il y a de plus grandes sollicitations, comme les courbes, affirme le promoteur de la technologie. Son état doit être vérifié périodiquement et les pièces changées au besoin. »

Le système est aussi un grand consommateur d’énergie (100 % électrique toutefois). « Lorsque le système fonctionne à 50 % de sa capacité maximale, il consomme la même quantité d’énergie que la collecte sur rue, affirme M. Mateu. À une capacité supérieure à 50 %, il commence à y avoir des économies. »

Enfin, le système Envac n’accepte pas tout type de matières. Par exemple, à Québec, on interdira d’y déposer du verre puisqu’à une vitesse d’aspiration de 70 km/h, cette matière arrive au terminal en mille miettes et contamine les autres matières recyclables. Les cartons de grande taille sont aussi exclus puisqu’ils n’entrent pas dans les bornes. Pour pallier à cela, « nous implanterons un écocentre où ces matières pourront être récupérées en plus des batteries, des cellulaires, des ordinateurs », affirme M. Ouellet.

 

Un système qui ne fait pas l’unanimité

Malgré ces quelques contraintes, Alexandre Turgeon, président du Conseil régional de l’environnement de la Capitale nationale, est emballé par le système. « C’est la voie de l’avenir, dit-il. On devrait offrir ce type de collecte dans tous les milieux où la densité d’habitation est suffisante. On sauverait ainsi beaucoup en coût de transport et on réduirait les émissions de gaz à effet de serre. »

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, est plus nuancé. Pour lui, l’implantation du système dans un milieu homogène comme la Cité verte à Québec se déroulera probablement correctement. Les résidants y demeurent et ont tout avantage à assurer le succès de la collecte, selon lui. Mais dans le Quartier des spectacles à Montréal, c’est moins sûr. « Bien que le système réduira le bruit causé par les camions de ramassage qui ne passeront plus dans le secteur et améliorera la propreté, il y aura des inconvénients, croit-il. Les gens qui viennent dans le quartier pour se divertir n’y résident pas et ne prendront pas toujours le temps de faire convenablement le tri de leurs matières (comme, par exemple, séparer un restant de nourriture de son emballage). Cela demande de la discipline. Les matières qui aboutiront au terminal risquent donc d’être contaminées », croit-il.

De plus, il n’est pas certain que cela sera très avantageux sur les plans environnemental et économique, selon lui. « Les déchets, même s’ils sont ramassés par voie souterraine localement, seront quand même transportés à l’extérieur de Montréal pour être enfouis aux lieux d’enfouissement sanitaire de Sainte-Sophie ou Lachenaie, à des dizaines de kilomètres au nord de la ville. C’est là que réside le gros des coûts de transport, » déclare M. Ménard.

Sur le plan économique, il en a contre le coût élevé du projet. Le projet exigera en effet un investissement de 8,2 millions de dollars et des coûts d’exploitation de 150 000 $ par année (les coûts sont sensiblement les mêmes à Québec). « À ce prix, il aurait peut-être été plus avantageux d’investir dans la main d’œuvre dans le quartier pour ramasser les déchets et en faire un tri adéquat », affirme M. Ménard.

Antoine Garcia, coordonnateur à l’organisation Action RE-buts, est également d’avis qu’il s’agit de gros investissements pour obtenir en bout de ligne une réduction minime de la quantité de matières résiduelles enfouies. Par contre, il croit que cela pourrait contribuer à sensibiliser davantage les gens au compostage et au recyclage. « Il ne faudrait toutefois pas négliger le financement du travail d’éducation à une gestion écologique des déchets. Cette sensibilisation doit se poursuivre, et même s’intensifier », croit-il.

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