Gouvernance dans le Grand Nord : le Canada en fait-il assez?

0

Par Ivana Otasevic

Étudiante à la maîtrise en droit international de la Faculté de droit de l’Université Laval et 
étudiante-chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Mots-clés : changement climatique, gouvernance, protection de la culture et des modes de vie des populations Inuits

 

Il est bien connu que le phénomène des changements climatiques influence négativement l’environnement naturel de la région arctique, mais on parle beaucoup moins des répercussions sur la vie et les pratiques culturelles des peuples Inuits. De plus en plus d’intervenants s’intéressent au type de gouvernance que les États doivent mettre en place afin de protéger le mode de vie des habitants du Grand Nord. On s’entend pour dire que la notion de « bonne gouvernance » devrait guider le comportement des États circumpolaires.[1] Ainsi, l’État serait responsable à l’égard de la protection de l’intégrité des écosystèmes, mais aussi à l’égard des populations habitant ce territoire. Les efforts réalisés par le Canada dans cette région polaire sont loin d’être suffisants.

 

L’impact des changements climatiques sur la région arctique

Les changements climatiques ont une influence considérable sur l’écosystème marin, terrestre ainsi que sur la vie des communautés autochtones. Les observations des cinquante dernières années ont démontré un déclin de la surface de la glace polaire qui devient de plus en plus mince dans l’océan arctique, surtout en période estivale. La fonte de la glace a un effet direct sur la chaîne alimentaire de la région arctique. L’ensemble de ces changements engendre des conséquences sur les activités traditionnelles de subsistance des peuples autochtones. Ainsi, un nombre important de jeunes Inuits ne souhaitent pas apprendre les méthodes traditionnelles de pêche et de chasse à cause des changements du climat qui affectent leur milieu de vie. Plusieurs de ces jeunes se demandent pourquoi apprendre à chasser des espèces vouées à disparaître du milieu naturel où ils vivent.

 

Canada et la région arctique, un exemple de la « bonne gouvernance » ?

Le Canada est un pays circumpolaire très actif au niveau des relations multilatérales et bilatérales concernant la région arctique. Il a joué un rôle de leader dans la mise en place du Conseil de l’Arctique, une enceinte intergouvernementale chargée de promouvoir une coopération entre les États circumpolaires sur le développement durable de la région de l’Arctique. C’est aussi l’un des huit pays signataires de deux Déclarations importantes pour la région polaire : la Déclaration de Reykjavík[2] par laquelle Canada s’engage envers les peuples nordiques et les autres pays circumpolaires en exprimant sa volonté de coopérer pour produire des impacts réels dans les vies des peuples nordiques du Grand Nord et la Déclaration de Tromsø[3] par laquelle les États signataires réaffirment l’engagement du Conseil de l’Arctique à promouvoir la protection de l’environnement, l’usage durable du milieu arctique ainsi que ses ressources. Le gouvernement fédéral a également mis en place une stratégie intégrée pour le Nord qui vise la protection du patrimoine naturel, la promotion du développement économique et social, la démonstration de la souveraineté canadienne ainsi que l’amélioration et le transfert de la gouvernance.

 

Par contre, à l’heure actuelle, le Canada n‘a pas ratifié certains instruments juridiques contraignants qui relèvent du domaine de la protection des droits et de la culture des peuples autochtones. Afin de continuer ses efforts vers la « bonne gouvernance » au sein de la région arctique, le Canada devrait absolument ratifier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007.[4] Cette dernière met en place des normes minimales nécessaires à la survie et au bien-être des peuples autochtones du monde. La persistance du Canada à ne pas vouloir ratifier cet instrument pourrait entacher son image sur la scène internationale et remettre en question son intérêt et sa volonté de promouvoir les droits fondamentaux de ces peuples. De plus, le Canada n’a pas ratifié la Convention de l’Organisation Internationale du Travail (C169) concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants de 1989 qui s’avère d’une grande importance dans le domaine des droits des peuples autochtones. Enfin, pour préserver les expressions traditionnelles, les modes de vie des peuples Inuits et ainsi préserver l’intérêt de la jeune génération à l’égard de leur tradition et culture, chaque État circumpolaire, y compris le Canada, devrait ratifier la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel immatériel de 2003[5]. 

 

Conclusion

La survie de la culture et des modes de vie des peuples autochtones dépend incontestablement de l’environnement arctique. Avec les changements climatiques, ce milieu naturel se transforme et cela engendre des répercussions négatives sur les communautés qui y habitent. Il est nécessaire que les États maintiennent un équilibre entre le patrimoine naturel et culturel. La réalisation de cet équilibre demande un comportement responsable de la part de l’ensemble des États circumpolaires envers leurs populations autochtones et envers cet environnement unique. Même s’il y a une volonté canadienne d’encourager un développement durable dans la région du Grand Nord et ainsi répondre aux besoins de ses habitants, nous croyons qu’il reste beaucoup à faire.  Nous croyons que le gouvernement canadien devrait cesser d’évaluer les dispositions des différents instruments internationaux en fonction des lois canadiennes existantes et de précédents juridiques désuets. D’autant plus qu’un nombre important de ces normes nationales a été formulé à une époque où il y a avait très peu de reconnaissance de normes en matières de droits humains et de droits des peuples autochtones.

 

 

[1]  États-Unis, Canada, Danemark, Islande, Norvège, Russie, Finlande et Suède. 

[2] Déclaration deReykjavík, adoptée à l’occasion de la Quatrième assemblée du Conseil de l’Arctique, le 24 novembre 2004, à Reykjavík, Island.

[3] Déclaration de Tromsø, adoptée à l’occasion de la Sixième assemblée du Conseil ministériel de l’Arctique, le 29 avril 2009 à Tromsø, Norvège.

[4] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée le 13 septembre 2007.

[5] Convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel immatériel est entrée en vigueur le 20 avril 2006.  


Par Ivana Otasevic 
Étudiante à la maîtrise en droit international de la Faculté de droit de l’Université Laval et 
étudiante-chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement

Ivana Otasevic est étudiante à la maîtrise en droit international à la Faculté de droit de l’Université Laval. Elle détient un Master I Droit européen et international dans le cadre de la maîtrise en Droit européen et international de la Faculté de droit à l’Université Robert Schuman, Strasbourg, France (2007/2008). Elle est titulaire de la Licence LMD Droit et Études Européennes dans le domaine Droit et Études Européennes de la Faculté de droit à l’Université Robert Schuman, Strasbourg, France (2006/2007).

Partager.

Répondre