Le barrage hydro-électrique de Belo Monte : trop d’incertitudes pour en faire un modèle de développement durable

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Par Antoine Bourgoignie
en exclusivité pour GaïaPresse


Le gouvernement brésilien et le consortium Norte Energia estiment qu’au plus 20,000 personnes devront être déplacées à la suite de la construction du complexe de Belo Monte et de l’inondation des terres situées le long de la rivière Xingu. Que deviendront ces délogés pour faire place au progrès? Lula n’a rien exigé pour que la richesse tant promise leur soit assurée.

Situé à trois heures de bateau au sud de la ville d’Altamira, le barrage d’une largeur totale de deux kilomètres, engloutira plusieurs dizaines d’îles qui, pour la plupart, sont habitées par des communautés variées de quelques familles à plusieurs centaines de personnes. Sa construction créera également un bassin de rétention des eaux qui provoquera l’inondation des terres situées le long des berges sur plusieurs kilomètres de part et d’autre de la rivière, le relief étant particulièrement plat dans cette région. 



La communauté Santa Luiz del Rio située le long de la rivière Xingu.
Ici vivent quelques 300 personnes installées depuis six générations. 
Tous les bâtiments et les terres cultivées seront sous les eaux après la construction. 
Ci-dessus une des deux classes de la petite école du village qui compte 50 élèves au total.

 

De nombreuses questions sans réponse

Les populations locales installées sur ces terres n’ont à ce jour reçu aucune indication particulière quant au plan de relocalisation envisagé par le consortium Norte Energia. Certes, des rencontres ont été tenues dans des communautés pour informer les villageois de l’imminence du chantier et de la nécessité de se préparer au départ. Par contre, les citoyens n’ont obtenu aucun détail pratique quant à l’organisation du déplacement ni sur les conditions d’indemnisations prévues.

 
Ce manque de précision, à quelques semaines seulement du début des travaux, prévus en septembre, s’explique principalement par la formulation très vague des conditions contractuelles imposées par le gouvernement lors de l’adjudication de l’appel d’offres en avril 2010. Ce flou donne aux entreprises du consortium Norte Energia une grande latitude dans l’interprétation des conditions d’indemnisations à respecter.
 
Ces conditions, qui sont liées à l’octroi de la licence d’exploitation du complexe font, entre autres, référence à l’obligation de relocaliser et d’indemniser les populations directement touchées par la construction ou encore l’obligation de protéger la qualité de l’eau et de développer des infrastructures sanitaires adéquates sur les sites de relocalisation. Elles ne précisent cependant pas les bases juridiques applicables telles que l’exigence d’un droit de propriété, ou l’obligation de fournir un terre de même grandeur ou de même qualité qui permettrait de perpétuer le modèle économique traditionnel basée sur la pêche et l’agriculture.
 
Dans une région isolée comme celle de la rivière Xingu où la plupart des terres sont occupées par les villageois depuis plusieurs générations sans n’avoir jamais fait l’objet d’une transaction commerciale, au sens juridique du terme, et ou l’accès à l’eau, tant pour la pêche que pour l’agriculture est vital, ces détails prennent toute leur importance.
 

 

Quels égards pour les personnes déplacées?

Norte Energia ne s’engage actuellement à rien. Le consortium attend de voir si le ministère de l’Environnement acceptera ses propositions d’engagement sur les compensations sociales et environnementales liées à l’octroi de sa licence d’exploitation. Des opposants au barrage craignent que les conditions d’application soient suffisamment souples pour restreindre les indemnisations à un nombre minimal de communautés. Si ce scénario du pire s’appliquait, la majorité des personnes déplacées n’aurait d’autre choix que de venir grossir les rangs des milliers de paysans sans terre déjà recensés au Brésil, victimes d’autre projets de développement économique réalisés sans égard à leurs droits de citoyens égaux.

Selon les représentants de l’entreprise d’état Electro Norte qui dirige le consortium Norte Energia, interrogés à Altamira, les impacts sociaux seraient extrêmement limités. De plus, cinq années d’études d’impact et l’ajout de conditions contractuelles environnementales et sociales représentant, selon eux, un coût estimé de 1,5 milliards de R$ font du projet Belo Monte un des plus durables jamais réalisé dans le monde. À preuve, ils donnent en exemple que le barrage de Belo Monte n’affectera qu’une infime partie de la population, en comparaison de la construction du barrage des Trois-Gorges en Chine. On se rappellera, que pour ce projet sur le fleuve Yangtzé, ce sont plus de 1,9 million de personnes qui ont été déportées sans aucune compensation financière. Ici, disent les porte-parole d’Electro Norte, il s’agit de quelques dizaines de milliers personnes et des indemnisations sont prévues pour chaque famille qui sera délocalisée.

 

En aval du barrage : une rivière à sec

Pour les communautés en aval du barrage, ce ne sont pas les inondations qui posent problème mais la sécheresse. D’une part, au niveau sanitaire, la réduction de 80% de l’écoulement des eaux retenues par le barrage provoquera l’assèchement d’une grande partie du lit de la rivière et favorisera l’apparition d’étangs d’eaux stagnantes. Ils craignent que ces mares ne deviennent des facteurs de propagation de maladies telles que la malaria et la dengue. D’autre part, les voies navigables traditionnellement empruntées pour le commerce et le transport des habitants entre les différents villages seront fortement réduites et difficilement navigables, vu le faible niveau des eaux.

Electro Norte assure qu’un canal spécifique de navigation sera creusé à hauteur du barrage pour assurer la continuité du trafic fluvial entre les deux parties de la rivière. Par contre, rien n’apparaît sur le plan technique officiel. De plus, aucun tracé potentiel n’a fait l’objet d’une étude de faisabilité à ce jour. Cette promesse d’Electro Norte fait dire aux habitants que les communautés situées en aval du barrage et celles des autres villages en amont seront totalement coupées les unes des autres. C’est toute leur vie sociale et culturelle qui en sera perturbée.

Il est difficile de prédire à l’heure actuelle quel sera le sort des milliers de familles qui seront forcées de quitter les terres qu’elles occupent, certaines depuis cinq ou six générations. Une analyse historique des barrages hydroélectriques, dont celui d’Itaipu réalisé à la fin des années 1960 et de Tucurui érigé pendant les années 1980, a démontré d’importantes conséquences, tant environnementales que sociales.

L’attitude actuelle du gouvernement de Lula et du consortium qui l’accompagne pour le projet Belo Monte laisse penser que certaines leçons du passé n’ont pas encore fait leur chemin dans l’esprit des dirigeants brésiliens. Les opposants sont unanimes : quoiqu’en disent les autorités gouvernementales, il faudra en faire plus pour que le projet Belo Monte puisse se qualifier d’un développement durable.

C’est ce qui fera aussi que le Brésil pourra se targuer d’être un nouveau modèle économique du 21ème siècle.
 
 
 

Sur cette île au milieu de la rivière Xingu vivent deux familles de pêcheurs. 
Cette île disparaitra sous les eaux.

 
 
 
Le site du barrage. 
La largeur de la rivière passera à cet endroit d’une centaine de mètres à près de deux kilomètres.
 

 Une autre communauté d’une centaine de personnes vouée à disparaître sous les eaux.

 

Une communauté de plus de mille personnes de la préfecture
Tres Palmeiras située en aval du barrage.

Ici la crainte des habitants est surtout de ne plus pouvoir remonter le fleuve
pour commercer avec Altamira et de voir du même coup renforcer son isolement
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