Marée noire aux États-Unis : l’accusation d’un modèle de développement

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Par Gilles Bourque
Coordonnateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité
et Edouard Archer
Pigiste pour OikosBlogue


Mots-clés : Marée noire, British Petroleum (BP), greenwashing, Obama, États-Unis Golfe du Mexique.

Dans ce qui est maintenant devenu la pire catastrophe écologique des États-Unis, les annonces d’enquête et les mises en accusation se multiplient pour le propriétaire de la plateforme Deepwater Horizon, la pétrolière BP et son fournisseur Halliburton. Alors que des éleveurs de crevettes de Louisiane ont porté plainte pour obtenir des compensations en dommages et intérêts, les différentes branches du gouvernement des États-Unis mènent leur enquête pour déterminer les responsabilités de chacun dans l’explosion de la plateforme pétrolière.

Au sein de l’administration fédérale américaine, la Secrétaire de la Sécurité intérieure Janet Napolitano et le secrétaire de l’Intérieur Ken Salazar ont annoncé une enquête conjointe de la US Coast Guard et du Minerals and Mining Services.

À la Chambre des Représentants, le président du comité sur l’énergie, Henry Waxman, a lancé une enquête concernant « the adequacy of the companies’ risk management and emergency response plans for accidental oil and gas releases at the Deepwater Horizon drilling rig and other offshore deep water or ultra-deep water drilling facilities. » Dans une lettre aux chefs de la direction de BP et de TransOcean, il cite le manque apparent d’un plan adéquat pour contenir les dommages environnementaux.

Une plainte a également été déposée devant le tribunal fédéral par la femme de l’une des victimes de l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon contre BP, TransOcean et Halliburton.

 

Les entreprises, l’environnement et l’État

Les risques d’accidents sont, en partie, des faits imprévisibles; mais lorsque la recherche du profit maximum domine, abusivement, toutes les autres raisons d’agir, ces risques deviennent tout à fait prévisibles.

La prévention est, par ailleurs, la meilleure des politiques pour minimiser les risques d’accidents; mais lorsque les entreprises combattent, avec tous les moyens dont elles disposent, et elles en disposent d’énormes, les initiatives de réglementation des États en prônant l’autoréglementation, on peut être sûr que pour atteindre leurs objectifs démesurés de rendement, elles minimiseront le calcul de risque et les niveaux de sécurité afin de diminuer leurs coûts de production.

Derrière l’image « écolo » que se donnait BP depuis quelques années – qu’on se rappelle du fameux Beyond Petroleum -, il y avait finalement beaucoup de greenwashing. BP fait partie, avec les autres Goldman Sachs de ce monde, de ces entreprises géantes qui, inlassablement, travaillent dans l’ombre pour rapetisser toujours plus la place des États dans la vie économique actuelle, parce que l’interventionnisme étatique nuirait à leurs affaires. Selon ces entreprises, les risques de perte de réputation et de perte de revenus seraient des motivations suffisantes pour laisser les entreprises s’autoréguler… Malheureusement, la baisse des réglementations publiques qui se sont effectivement réalisées au cours des trente dernières années ont conduit aux mêmes résultats : des désastres économiques, sociaux et environnementaux.

BP serait-elle une entreprise socialement responsable? «While BP is supportive of companies having a system in place to reduce risk, accidents, injuries and spills, we are not supportive of the extensive prescriptive regulations as proposed in this rule [une nouvelle réglementation proposée par l’agence fédérale MMS, NDLR].  We believe industry’s current safety and environmental statistics demonstrate that the voluntary programs implemented since the adoption of API RP 75 [a voluntary industry standard]have been and continue to be very successful. »

 
Voici d’autres exemples du vrai visage de BP :
  • Elle est un des acteurs majeurs des sables bitumineux de l’Alberta;
  • Récemment, l’entreprise s’est retirée de la coalition étatsunienne du Climate Action Partnership (USCAP) qui exigeait du Congrès de passer une législation sur le climat;
  • La rémunération du P-DG de BP, Tony Hayward, a augmenté de 41 % en 2009 et dans la même année, l’entreprise a dépensé 16 millions $ en lobbying auprès du Congrès contre les réformes de l’administration Obama.
 

Dans le Golfe du Mexique, BP aurait décidé, pour diminuer ses coûts, de ne pas dépenser 500 000 $ pour la mise en place d’un équipement de sécurité supplémentaire (an acoustic remote-control shutoff switch) que des pays comme le Brésil et la Norvège rendent obligatoire aux exploitants de pétrole offshore. Avec une totale mauvaise fois, BP accuse maintenant le sous-traitant de la plate-forme de forage, TransOcean, « the responsibility for safety on the drilling rig is TransOcean. It is their rig, their equipment, their people, their systems, their safety processes. »

Rappelons que les dirigeants de BP ont récemment été condamnés pour négligence. Selon le New York Times, l’entreprise aurait reçu la plus grosse pénalité de l’histoire de l’Occupational Safety and Health Administration pour des problèmes de sécurité à sa raffinerie du Texas, qui ont coûté la vie à 15 travailleurs.

 

Qui portent les responsabilités?

Malgré tout cela, un courant d’opinion se développe, dans les médias étatsuniens, laissant entendre que le désastre écologique de BP constitue, pour le président Obama, ce qu’aurait représenté Katrina pour l’ex-président Bush! Comme manœuvre grossière de propagande, on peut difficilement faire mieux que ça. Et à voir la façon dont nos médias, y compris Radio-Canada, relaient cette propagande particulièrement odieuse, on peut se poser des questions.

Comme le rappelle Joe Romm sur son blogue « At least 1,836 people lost their lives in the actual hurricane and in the subsequent floods, making it the deadliest U.S. hurricane since the 1928 Okeechobee hurricane. Hurricane Katrina in 2005 was the largest natural disaster in the history of the United States. Total damage was $81 billion (2005 USD), nearly triple the damage wrought by Hurricane Andrew in 1992. »

Ce n’est pas de l’ouragan Katrina, un désastre naturel, qu’on accusait Georges Bush, mais de l’incapacité de l’administration de gérer ses conséquences. Le drame de la marée noire de BP repose aussi, comme Katrina, sur la gestion déficiente des conséquences, mais découle surtout de la gestion défaillante des administrations précédentes qui, du fait de leur incompétence et de leur collusion avec l’industrie pétrolière, portent l’entière responsabilité de cette catastrophe.

La population des États-Unis a élu Georges Bush pour deux mandats, pendant lesquels les plus hauts placés de son administration, liés à l’industrie pétrolière, ont profité pour transférer à cette dernière d’énormes pouvoirs et prérogatives. Et maintenant ils ont le culot de critiquer l’administration Obama pour l’inaction du gouvernement dans ce domaine! Lorsque l’on permet à des entreprises de faire des forages à près de 2 kilomètres sous le niveau de la mer alors que personne, ni les pétrolières ni le gouvernement, n’a l’expertise pour réagir rapidement en cas de désastre, qui porte les responsabilités?

Si le président Obama porte une responsabilité, ce n’est pas celle du passé, ou même celle du présent, mais bien celle du futur. Devant l’histoire, il a la responsabilité de saisir cette occasion pour changer un modèle de développement qui mène les États-Unis au désastre. Après la pire catastrophe minière des 40 dernières années (les 25 morts de la mine de charbon de Massey Energy) et le pire désastre environnemental de l’histoire du pays, la gauche démocrate lui demande d’agir rapidement pour changer la culture de l’administration du pays. Il y a une nécessité, une urgence de briser cette culture de collusion avec l’industrie pour reconstruire les bases d’une culture de bonne gestion du bien public, qui fait défaut aux États-Unis depuis la révolution conservatrice du début des années 1980 et qui s’est particulièrement exprimée dans le secteur de l’énergie.

 

Remettre en question un modèle de développement

De plus en plus de voix se font entendre, mais aussi d’oreilles qui sont réceptives, pour questionner un modèle de développement fondé sur le pétrole à bon marché. À l’heure où, justement, l’accès facile et relativement sécuritaire aux sources de pétroles s’épuise, il est temps de sonner la dernière heure de l’addiction au pétrole parce que le pire est à prévoir.

« This is what the end of the oil age looks like. The cheap, easy petroleum is gone; from now on, we will pay steadily more and more for what we put in our gas tanks—more not just in dollars, but in lives and health, in a failed foreign policy that spawns foreign wars and military occupations, and in the lost integrity of the biological systems that sustain life on this planet. The only solution is to do proactively, and sooner, what we will end up doing anyway as a result of resource depletion and economic, environmental, and military ruin : end our dependence on the stuff. », déclare Richard Heinberg du Post Carbon Institute.

Nous le savons, au rythme d’épuisement actuel, les sources futures de cette énergie sale, qu’est le pétrole, devront provenir des sables bitumineux et des fonds de l’Arctique. Comment pouvons-nous être collectivement assez inconscients pour ne pas réagir contre ce scénario ?


 


Par Gilles Bourque
Coordonnateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité

Gilles Bourque détient une maîtrise en sciences économiques et un doctorat en sociologie économique à l’UQAM.  Il est l’auteur du livre Le modèle québécois de développement : de l’émergence au renouvellement, paru au PUQ, qui s’est mérité le premier Prix pour la meilleure thèse de doctorat de l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine) en 2000.


  et Edouard Archer
Pigiste pour
OikosBlogue

Avec une formation variée en journalisme et en recherche documentaire, Edouard Archer s’est joint à l’équipe des Éditions Vie Économique comme pigiste pour OikosBlogue. Il est également rédacteur pour Éthiques et Sociétés Magazine.


La mission de Les Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité, est de créer un groupe de presse visant à soutenir la diffusion des connaissances provenant de la pratique et de la recherche sur la vie économique actuelle, dans une perspective de développement durable.
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