Cancun : la réalité politique et la complexification des enjeux

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Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.


Mots-clés : Climat, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Conférence des Parties, Cancun, Copenhague, Protocole de Kyoto, marché du carbone.

Une nouvelle session de négociations internationales s’est amorcée la semaine dernière à Cancun dans le cadre de la seizième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après « la Convention-cadre »). Rappelons que la Conférence des parties est l’organe suprême réunissant toutes les parties signataires de la Convention-cadre adoptée en 1992, à l’occasion du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.

C’est lors de la troisième Conférence des parties en 1997 que le Protocole de Kyoto a été adopté mais ce dernier n’a été mis en vigueur qu’en 2005, à la suite du processus de ratification qui s’est déroulé jusqu’en 2004. Le Protocole de Kyoto est fonctionnel depuis 2008 et son application se termine officiellement en 2012. Un des enjeux des présentes négociations est évidemment de déterminer si le Protocole de Kyoto aura une deuxième phase d’application et si c’est le cas, quelles en seront les modalités et les mécanismes utilisés.

Contrairement à la dernière Conférence des parties s’étant tenue en 2009 à Copenhague, tous s’accordent pour dire que les attentes sont moins élevées quant aux résultats globaux de cette Conférence. Cela est pourtant paradoxal lorsque l’on considère que certains acteurs prétendaient l’année dernière que Copenhague était la dernière chance pour en venir à une entente post-Kyoto, et par conséquent, la dernière chance de sauver l’humanité des effets néfastes des changements climatiques. Pourquoi une telle détente diplomatique cette année?

 

La Chine et les États-Unis

Une des raisons de ce relâchement est un constat de l’extrême difficulté politique à faire adopter aux grands États puissants de ce monde des obligations contraignantes de réductions des émissions de gaz à effet de serre, et ce, par l’entremise d’un système encadré par les Nations Unies.

 

Les espoirs suscités par Obama

Pourtant, l’espoir était à son comble lors de l’élection du Président Barack Obama aux États-Unis, quelques mois avant la Conférence de Copenhague. En effet, ce dernier énonçait alors clairement avoir pour objectif de créer un marché de droits d’émission similaire ou pouvant éventuellement être lié à des marchés conçus selon les bases théoriques du Protocole de Kyoto.

Au niveau national, une dure année s’en est suivie pour le Président américain. Une puissante poussée républicaine déferle sur les États-Unis. Son moteur initial était de neutraliser la réforme de la santé proposée par les Démocrates. Ce fut une dure bagarre politique. Le président Obama et son équipe en sont ressortis affaiblis. Il devait alors s’attaquer au projet fédéral d’un système d’échange de droit d’émissions (Cap-and-Trade). La tentative de faire passer un tel projet de loi a lamentablement échouée au Sénat. Les dernières élections de novembre 2010 ont par la suite fait perdre aux Démocrates la majorité de la Chambre des représentants.

Il devient alors très peu probable que les négociateurs américains puissent se présenter à Cancun avec un mandat permettant aux États-Unis de ratifier à court terme une entente faisant suite au Protocole de Kyoto, Protocole que les États-Unis n’ont pas ratifié.

 

La Chine intéressée par les énergies propres

Un autre grand joueur s’avère évidemment être la Chine. Contrairement à ce qui pourrait être véhiculé, le pays s’intéresse de plus en plus aux énergies propres et à la création future d’un marché du carbone chinois.

Malgré cette position, dans le cadre des négociations internationales, la Chine reste réticente à s’obliger formellement à réduire ses émissions et ratifier une entente aussi élaborée que le Protocole de Kyoto.

Il reste tout de même intéressant de noter que les États-Unis et la Chine ont signé l’Accord de Copenhague, une entente plutôt générale quant aux modalités de réduction. Cela pourrait signifier un rapprochement de ces leaders à l’égard des mécanismes proposés par les membres des Nations Unies.

Toutefois, cela pourrait aussi démontrer que ces derniers ne considèrent pas le vecteur international des Nations Unies comme étant le forum suprême en termes de lutte aux changements climatiques.

 

Les initiatives étatiques : l’Europe chef de file

Sans vouloir minimiser l’importance du processus international qui est une source  importante de changements et de discussions diplomatiques, il appert que la lutte aux changements climatiques s’effectue autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du processus de la Convention-cadre. Cela a pour conséquence un marché du carbone fragmenté et fragile mais tout de même présent.

Par exemple, l’Union européenne, qui regroupe notamment les États membres de son territoire qui ont ratifié le Protocole de Kyoto, se prépare à la troisième phase de son important marché d’échanges de droits d’émissions avec des cibles contraignantes et absolues.

Ce marché, qui utilise généralement les mécanismes du Protocole de Kyoto, n’est cependant pas dépendant d’une entente post-2012 pour poursuivre ses activités de réduction. Les cibles et les modalités de réduction du système européen sont déterminées par l’Union européenne et non par les Nations Unies.

L’Union européenne, évidemment, soutient vivement l’effort des membres de la Convention-cadre pour en arriver à un consensus post-2012. Par contre, son marché du carbone ne s’éteindra manifestement pas en l’absence d’une entente à Cancun.

 

Un marché de milliards de dollars, permanent

En 2008, la Banque Mondiale évaluait la valeur approximative du marché européen, en termes de transactions, à 92 milliards de dollars (US$) [1]. En 2010, cette dernière note une augmentation de ce marché à 118,5 milliards de dollars (US$), toujours en termes de transactions [2]. Selon Carbon Market Data, en moyenne, à l’égard des installations visées par le système, il en résulte une réduction d’émissions représentant approximativement 10,2 % par installation, par rapport en 2008 [3].

En cette période incertaine, nous pouvons nous interroger sur les impacts possibles de l’absence d’une entente internationale post-2012. Mais est-ce la fin du marché du carbone et de la lutte aux changements climatiques pour autant? Il semble que non.

 

Des négociations qui avancent, techniquement

Au contraire, avec les présentes négociations à Cancun, on assiste à une rationalisation des négociations avec des domaines d’expertises de plus en plus tranchées, à l’intérieur même de la Convention-cadre.

Chaque État ayant ses propres caractéristiques, les négociations se transforment en séance de concertation et de cohérence quant aux objectifs à atteindre. Et ce, malgré l’absence de cibles contraignantes post 2012 pour tous les États membres, du moins, jusqu’à maintenant.

 

La multitude des enjeux et les pays en développement

À la lumière des différents guides de négociations que l’on retrouve pour les fins des négociations de Cancun, on remarque que les enjeux deviennent eux-mêmes des domaines très spécialisés, ce qui rend la tâche d’une entente globale encore plus complexe. Voici quelques domaines d’expertises :

  • Les mesures d’adaptations;
  • Les mécanismes de financement;
  • Les mécanismes à l’égard des pays en développement (transfert de technologie);
  • La gestion forestière et l’affectation des terres;
  • Les méthodologies et les mécanismes de crédits compensatoires;
  • L’éducation, la recherche et l’observation.

On remarque donc que ces domaines de pointes nécessitent des discussions approfondies préalablement entre les différents experts mondiaux pour ensuite incérer ces enjeux dans le cadre des négociations plus globales entre les différents États, selon les intérêts de chacun. Ce qui n’est pas une mince tâche.

La joute diplomatique pourrait devenir plus intense lorsque les pays développés, pouvant agir indépendamment d’une entente globale, seront confrontés à des pays en voie de développement. Ces derniers, pauvres, demeurent dépendants d’un transfert de connaissances, de technologies et d’investissements. Pire, plusieurs sont des pays à haut risques environnementaux (agglomérations côtières et insulaires).

 

Une démarche nécessaire

C’est à cet égard que la démarche internationale reste une démarche nécessaire et vitale dans le cadre de la lutte aux changements climatiques, sans être nécessairement fatale et absolue en termes de résultats à court terme.

 

Sources :

[1] The World Bank, “State and Trends of the Carbon Market 2009”, Washigton D.C., 2009, p.5.

[2] The World Bank, “State and Trends of the Carbon Market 2010”, Washigton D.C., 2010, p.5.

[3] Carbon Market Date, “Carbon Market Data publishes key figures on the European emissions trading scheme for the year 2009”, Press release, 06/04/2010.

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