Plaidoyer contre l’exploitation du gaz de schiste du Shale d’Utica

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Par Anny Schneider

Auteure, herboriste et citoyenne engagée


Mots-clés : Shales d’Utica, APGQ, Montérégie

Personnellement, je me sens concernée en tant que membre de cinq regroupements en lien avec la protection de l’environnement : l’Action boréale, la Fondation pour la protection des écosystèmes pour la Haute-Yamaska, l’Association de protection du bassin versant du lac Waterloo, le Regroupement Québécois des Groupes Écologistes ainsi que la Guilde des Herboristes.

Je me sens également interpellée en tant qu’herboriste et auteure de quatre essais relatifs aux plantes sauvages médicinales et nutritives, comme simple citoyenne engagée de longue date, et bien sûr, comme mère de deux beaux grands enfants. 

À l’instar de 75 % des citoyens québécois, je suis inquiète des conséquences des forages et surtout des effets de l’exploitation des gaz de schiste des Shales d’Utica. Je le suis d’autant plus que vivant depuis 30 ans au Québec, j’étudie tous les aspects de la biodiversité, de l’environnement à la santé publique. Les êtres humains étant au sommet de la pyramide des écosystèmes, je constate simplement leur impact déplorable sur l’environnement, lequel va en empirant. Et nous sommes nombreux à le constater.

Nous sommes tous en cause quand il s’agit de pollution : trop d’autos et de camions, hyperconsommation des ressources naturelles et de la pétrochimie fossile, agriculture intensive, urbanisation sans limites acceptables et industrie presque sans contrôle, tous ces facteurs et systèmes sont les premiers responsables de la dégradation de notre environnement. Mais, il peut y avoir pire encore : à preuve, ce projet absurde dépassant tout bon entendement, vu l’état actuel de la planète déjà précaire.

La beauté de nos paysages, la fertilité durable des sols, la qualité de l’eau, des arbres et plantes nutritives et/ou médicinales, cultivées et sauvages, se raréfient sérieusement en Montérégie. Même les animaux d’élevage et sauvages sont menacés, car tous ces éléments et espèces dépendent directement de la santé des écosystèmes ambiants.

Les nombreuses données publiées sur les méfaits des forages et l’exploitation des gaz de schiste prouvent qu’ils nuisent autant à l’environnement qu’à l’habitat des êtres vivants qui en dépendent. Les explications nébuleuses des ingénieurs de l’APGQ le 28 septembre dernier à Saint-Hyacinthe n’ont rien fait pour rassurer les 700 citoyens présents ce soir-là. Moi non plus!

 

Forer et exploiter le sol d’un écosystème déjà hypersensible?

Les basses terres du Saint-Laurent constituent les régions les plus peuplées du Québec et recèlent une bonne partie du territoire agricole qui n’y dépasse pas les deux pour cent. Par ailleurs, la plupart des affluents du Saint-Laurent — du lac Saint-Pierre à  la Batiscan en passant par la rivière Saint-François, et plus particulièrement la Yamaska, la plus polluée du Québec — signalent que les réserves d’eau sont déjà menacées, comme en font foi la présence d’algues bleues dans la plupart des lacs et rivières, été après été. Par ailleurs, les biologistes appellent la Montérégie « le désert montérégien » à cause de la pauvreté de la biodiversité due aux pratiques agricoles intensives et à l’étalement urbain accéléré. Aussi, dans notre région, il reste à peine 15 % de couvert forestier, et presque plus de plantes indigènes, de moins en moins de batraciens, d’oiseaux et papillons, sans oublier l’apiculture qui est en grave déclin…

 

Photo: Anny Schneider. Tous droits réservés.

 

Par conséquent, cette région du sud du Saint-Laurent, et la Montérégie en particulier, est déjà hautement vulnérable pour la précarité de ses écosystèmes. Ces projets d’exploitation souterraine, ne pourraient que dégrader le peu de sites naturels protégés qui reste, et pire encore, la qualité de l’eau déjà douteuse dans certaines municipalités montérégiennes. Je cite Ricardo Petrella (Le Devoir, 24 octobre 2010) : « Non seulement le privé, dans l’extraction des hydrocarbures par exemple, n’a jamais permis de mettre en place une économie profitable à tous, stable et non conflictuelle, mais il a indéniablement contribué à la dévastation de la nature. »

 

Données imprécises, catastrophes annoncées et déjà vues

À ce stade, le projet d’exploitation des gaz de schiste souffre d’un grave manque de précision et de données crédibles, autant dans la perception des environnementalistes que dans celle des citoyens. On ne peut que s’inquiéter de la rapidité avec laquelle de nombreux permis ont été concédés d’office par notre gouvernement, sans en informer adéquatement la population au préalable. Le pire problème a trait aux énormes quantités d’eau nécessaire aux forages et à l’exploitation, forcément issues des aqueducs, de puits ou de sources proches des sites, et par surcroît,diluées avec de mystérieux solvants permettant l’hydrofracturation des roches de schiste. Peu de municipalités sont prêtes à traiter les eaux usées et sur les rares sites de forages déjà effectués, de dangereux bassins stagnent à ciel ouvert. Rien pour nous rassurer…

De trop nombreux témoignages et images alarmantes parvenues des États-Unis ou diffusées sur le Web ou même par Radio-Canada (1000 infractions en deux ans en Pennsylvanie!) ne font que nourrir notre scepticisme face à cette industrie au final plus polluante que payante, quoi qu’en disent Mme Normandin et M. Caillé.

 

Remettre en question notre inconscience et l’hyperconsommation…

Les Amérindiens appellent les pierres « les Os de la terre mère » ou encore « les grands-pères ». Ils les vénèrent comme les ancêtres de la création. S’est-on vraiment penché sur la réelle fonction et la finalité biologique de ces roches de schiste  de 450 millions d’âge vénérable et situées à 2000-3000 mètres de profondeur?

D’après un rapport récent de l’ONU, actuellement 20 000 espèces de formes de vie sont en péril sur la planète, dont 600 au Canada seulement. Notre pays produit déjà un des plus hauts taux d’émission de GES per capita, et on peut se questionner sur la légitimité de l’énorme gaspillage de l’énergie fossile dans ce pays, tout autant que sur le controversé pipeline Trailbraker (Ne pas oublier les dégâts des déversements de Saint-Césaire en 1995).

L’ordre naturel du monde se présente par strates, de bas en haut : minéral, végétal, animal, car c’est dans cet ordre d’apparition que s’est manifestée la vie sur terre et qu’elle s’est spécialisée et répandue après de chaudes luttes étalées sur des milliards d’années d’évolution.

En quelques minutes, voire quelques secondes de dynamitage, nous pouvons anéantir des milliers de formes de vies, bons microbes compris. N’est-ce pas déplorable ou pour le moins questionnable?

 

Des promesses, toujours des promesses…

Au Sommet de la Terre, tenu en 1992 à Rio de Janeiro, la plupart des pays participant à cette conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement durable se sont entendus sur une convention internationale portant sur la diversité biologique. Quelque 150 chefs de pays, dont le Canada et M. Charest, alors ministre de l’Environnement, signaient cette convention. La même année, le Québec adhérait aux principes et buts de cette convention ratifiée par le gouvernement du Canada. En cette année mondiale de la Biodiversité qui achève, l’auraient-ils oublié?

Rendue publique au tout récent sommet de Nagoya le 20 octobre 2010, l’étude TEEB, mandatée par l’Union européenne, estime à 5000 milliards par an la perte économique due uniquement à la destruction des forêts humides de la planète! Chiffre faramineux, sans même parler des méfaits de la nuisance pour l’eau, le sol, la forêt boréale, les plantes qui nourrissent et soignent ou les pertes prématurées de nos semblables humains, surtout dans l’hémisphère sud, qui payent pour nos excès à cause des GES et des changements climatiques maintenant indéniables.

 

Oui, il faut tout arrêter!

Comme 78 % des citoyens informés sur le sujet (Le Devoir du  22 octobre 2010), je suis d’avis qu’à ce stade-ci de la réflexion, il faut renoncer complètement à la commercialisation de cette ressource. En raison du manque d’information sur une industrie somme toute peu rentable, compte tenu du cours du gaz très bas, des risques inhérents à son exploitation et acheminement, des énormes volumes d’eau nécessaires, du bruit et des GES générés par les camions et, finalement, de l’érosion de la couche arable, le simple bon sens dit qu’il faut renoncer à l’exploitation de ce type d’énergie fossile dans l’environnement déjà si fragile de la grande plaine montérégienne.

Bref, il faut cesser toute visée sur cette ressource fossile, somme toute limitée, dans ses volumes comme dans le temps, et aux impacts trop nocifs sur un environnement au statut déjà précaire. Surtout, que jamais au Québec, les eaux technologiques n’aient préséance sur les eaux domestiques!

La vastité du territoire, sa richesse exceptionnelle en eau douce et le savoir-faire des Québécois offrent de nombreuses possibilités de développement vraiment durable et d’utilisation de sources d’énergie bien moins polluantes que le forage des gaz de Shale.

 

Arguments imparables et cortège d’alliés contre les forages

Je me joins à tous ceux qui demandent un moratoire prolongé sur cette question, voire au  renoncement complet à ce projet : soit la plupart des organisations écologistes et tant d’autres citoyens, Guy Laliberté, les soeurs catholiques du RRSE et les maires de l’UMQ, les organisations écologistes comme l’Abbatt, la fondation Suzuki, l’OBV, Équiterre, Greenpeace, Eau Secours… Tous sont contre, y compris celles dont je suis membre, et comme eux, je suis d’avis qu’il faut arrêter au plus vite toute prospection relative au gaz de schiste dans la belle province.

Il faut aussi, de toute urgence, abroger la Loi 246 dite « Loi sur les Mines » datant de 1886 (!), largement désuète, voire absurde, antidémocratique et antiécologique, qui fait que n’importe quelle compagnie peut sonder le sol partout, même sur votre propriété!

Deuxièmement, le Québec est déjà un des premiers producteurs d’énergie hydro-électrique, peu polluante et la plus rentable à ce jour. De fait, grâce à l’or bleu, notre plus grande richesse avec la forêt, nous en exportons en Ontario et encore plus aux É.-U., et tous nos équipements domestiques sont axés sur l’hydroélectricité à un prix somme toute raisonnable, ce que beaucoup de pays nous envient!

Troisièmement, le gaz naturel n’est à peu près pas destiné à l’usage domestique et ne fera qu’une petite différence dans l’énorme déficit du Québec dû surtout à des dépenses abusives antérieures et de mauvais investissements. On parle de 40 millions de profits potentiels par an pour 100 puits de gaz de schiste, contre 40 milliards perdus dans les gaffes de la Caisse de dépôt, aucune commune mesure!

 

Solutions énergétiques douces et peu polluantes 

Au-delà de l’hydroélectricité dont on peut être fier (même si on aurait pu épargner les dernières rivières sauvages du Nord), actuellement le Québec est largement en retard dans la mise en place de solutions alternatives encore plus vertes. On néglige beaucoup trop les énergies solaire et éolienne, la récupération des eaux de ruissellement, la production du méthane ou la géothermie (comme à notre belle grosse caisse pop de Granby), …

Consommer moins, se déplacer moins, généraliser les services de transport en commun et de location d’autos à bon prix, subventionner les recherches sur les moteurs électriques, voire restaurer les lignes de chemin de fer qui décongestionneront les routes, produire et manger local en encourageant l’agriculture biologique et diversifiée… Voilà quelques bonnes pistes à explorer pour un quotidien et surtout un avenir collectif bien moins polluant!

En 2010, alors que beaucoup d’espèces vivantes sont en danger de disparition totale, qu’un milliard de personnes souffrent de la faim et encore plus de la soif, je considère qu’il est dangereux, voire criminel, de risquer de détériorer une ressource aussi importante que l’eau, plus précieuse que tout l’or et l’argent du monde.

En tant qu’herboriste, citoyenne consciente du reste du monde et mère soucieuse de la pérennité des ressources naturelles et de la vie, je conclurais avec cette célèbre phrase de Saint-Exupéry; « Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos petits-enfants ». Pour toutes ces bonnes raisons, je le redis tout haut : « au Québec, laissez en paix, là où ils sont, les gaz de schiste et le sol qui les recèle! »

Ne laissons pas tuer le peu de beauté qui reste au monde…

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