L’ombre de Tchernobyl : 25 ans de menaces nucléaires

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Par Denise Proulx,
Journaliste et directrice générale de GaïaPresse


Mots-clés: nucléaire, Tchernoyl, Gentilly-2, contaminants, Commission canadienne de la sûreté canadienne


Le hasard fait parfois bien les choses pour éviter que l’oubli ne s’impose à des réalités qu’il faut garder en mémoire. Ainsi, la fuite sans contrôle de rejets radioactifs de la centrale nucléaire de Fukushima, dans le nord-est du Japon, rappelle qu’il y a 25 ans, le 26 avril 1986, les habitants de la petite municipalité tranquille de Prépiat, voisine de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, et des milliers d’autres en Biélorussie, voyaient leur vie basculer dans la peur et le néant.

 

La contamination étendue

Ce que l’on sait du nucléaire, c’est que les échappées radioactives contiennent de l’iode 131, du césium 137, du plutonium, du tritium, du strontium 90, pour ne nommer que celles-ci, d’importants contaminants qui affectent les organes vitaux des personnes qui en sont touchés. Ils se déposent de manière aléatoire, de près ou loin de la centrale nucléaire dévastée. Il en résulte une eau potable de surface contaminée, une eau de mer radioactive, l’air chargé de radio-éléments en suspension, des terres devenues inutilisables et des productions maraîchères à laisser pourrir aux champs. Malgré les précautions, dans les régions où ces contaminants existent, les autorités sanitaires enregistreront des cancers du poumon, de l’estomac et des intestins, des os, du cerveau, des problèmes de la glande tyroïde, des leucémies, des problèmes cardiaques et oculaires en hausse exponentielle. On a beau se dire que nous n’en serons pas affectés, rien n’est plus faux. Tout dépend des vents dominants, de leur force et des intempéries rencontrées. C’est en quelque sorte le principe de la roulette russe : on ne sait pas quand, mais tous sont touchés.

 

Se souvenir de Tchernobyl

En mars 2005 durant une série de reportages réalisés en Biélorussie et en Ukraine, en compagnie du photographe tchèque Vaclav Vasku, je me souviens avoir vécu de longues soirées de discussions avec notre guide Ludmilla, à tenter d’évaluer quels impacts étaient les plus graves : sanitaires, économiques, agricoles, sociaux ou culturels. Tous étaient graves et la déconstruction communautaire que vivaient les populations en Biélorussie faisait mal au cœur.

À la suite de ce séjour, je rapportais dans les pages du magazine L’Actualité médicale les inquiétudes du médecin oncologue, le Dr Reiman Ismalzade, qui voyait arriver à l’hôpital général de Minsk des cancéreuxde plus en plus jeunes. Vingt ans après la catastrophe de Tchernobyl, il constatait que les impacts sanitaires demeuraient bien réels.

Un autre témoignage, celui du Dr Yuri Scherbak, médecin épidémiologiste, qui a étudié depuis 1986 les conséquences de la contamination à la radioactivité, donnait tout aussi froid dans le dos. « Nous remarquions un changement de comportement chez de nombreux pompiers, soldats et employés du gouvernement soviétique. Ils développaient une forte apathie et ils présentaient une forme de régression de leur mode de vie. Par exemple, ils passaient la journée entière avachis devant la télévision. Ils ne présentaient aucune réaction à la vie qui les entourait; ils n’avaient plus aucun désir de communication ni aucune activité sexuelle », observait-il.  Ce comportement qu’il a qualifié de « Syndrome de Tchernobyl » continuerait  à faire des ravages encore aujourd’hui, là où les populations, pauvres et désinformées, vivent dans les villages contaminés, utilisent des produits et des denrées toujours radioactifs.

Je me rappellerai toujours son insistance pour que je transmette un message aux Canadiens. Et de sa stupeur que je veuille garder une certaine neutralité journalistique. « Vous, qui avez tant de ressources en eau et en vent, en pétrole et en gaz, pourquoi voulez-vous tant développer le nucléaire ? Vous n’en avez pas besoin ! », m’avait-il dicté …

 

Le Québec veut sortir du nucléaire

Dans la foulée du dit et du non-dit entourant la catastrophe de Fukushima et du rappel du triste anniversaire de Tchernobyl, une coalition québécoise demande au gouvernement du Québec de surseoir à son intention de procéder à la réfection de la centrale nucléaire Gentilly-2, située dans le Centre-du-Québec. Plusieurs groupes militants, entourés des représentants de Québec Solidaire et de la chef du Parti Québécois Pauline Marois, ont exprimé leur intention de stopper la remise à neuf de Gentilly-2, en s’appuyant surtout sur des arguments économiques, soit une facture dépassant les 2,2 milliards de dollars.  Avant cette sortie publique remarquée, il y avait bien trois ans que les CentricoisEs et MauricienNEs pour le déclassement du nucléaire réclamaient la fin de la centrale nucléaire. Et avant eux encore, le Mouvement Vert de la Mauricie a documenté les risques de Gentilly-2 pendant plus de 20 ans.

Lorsqu’on constate le laxisme qui dicte les normes quant aux rejets dits acceptables, on comprend leurs interventions. Par exemple, les normes fixées par le Canada pour tolérer la technologie CANDU font en sorte que nous établissons des rejets acceptables de 7000 Bq/L d’eau alors qu’une majorité de pays ne tolèrent aucunement ces normes. Les États‐Unis ont une norme de 740 Bq/L et en Europe, 100 Bq/L. [i]

 

Des médecins engagés

Le Dr François Lamoureux, président de l’Association des médecins spécialistes en médecine nucléaire, se fait rassurant en termes de sécurité, mais il reconnaît que les produits radioactifs sont inodores et incolores, donc très difficiles à détecter et que le principe de précaution doit être de rigueur.

Des médecins du Québec et du Canada sont moins confiants que les risques soient minimes. Ils rappellent avec justesse que le Québec, semblable à la Biélorussie, est dans la ligne des vents dominants provenant du sud de l’Ontario et des États-Unis, où se situent globalement quelque 110 centrales nucléaires, dont certaines ont atteint leur fin de vie sécuritaire, comme Gentilly-2. La Coalition de médecins, Stop Uranimum Baie des Chaleurs, et  l’organisme canadien Physicians for Global Survival se sont positionnés contre le maintien de cette technologie à haut risque. Le Dr Éric Notebaert, professeur adjoint de médecine à l’Université de Montréal et président de l'aile québécoise de Physicians for Global Survival nommée Professionnel-le-s de la Santé pour la Survie Mondiale [ii], est l’un des médecins des plus actifs pour que le Québec développe une expertise sérieuse en démantèlement de centrales nucléaires. Comme des dizaines d’autres, son organisation a soumis un mémoire à la Commission canadienne de sûreté nucléaire demandant expressément que le Canada sorte du nucléaire. Aux États-Unis, un nombre croissant de médecins ajoutent leur voix à celles de leurs collègues canadiens et québécois.

 

En mémoire des victimes

En mémoire de ceux et celles qui ont perdu le sens de leur vie avec ce jour fatidique du 26 avril 1986, je fais une prière. Je pense souvent à ces familles disloquées, à ces jeunes qui ont perdu un père, une mère, un voisin, qui ne trouvaient pas de travail, de quoi espérer en l’avenir. Et je me questionne : À quoi peut bien servir l’énergie nucléaire au Canada et au Québec si le prix à payer devient incommensurable et transgénérationnel? Ne serait-il pas temps de porter un regard plus soucieux aux effets que cette science procure?


 


Liens pertinents

[i]  « Mémoire pour le renouvellement du permis d’exploitation du réacteur nucléaire de Gentilly-2 : Pour une véritable sécurité nucléaire, le déclassement », présenté le 20 mars 2011, à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, par  les CentricoisES et MauricienNEs pour le déclassement nucléaire (CMDN).

[ii] Mémoire « Dix bonnes raisons pour dire « non » à la réfection de Gentilly-2 », présenté le 20 mars 2011, à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, par Dr Éric Notebaert.

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