Crise alimentaire – Le Québec a 30 ans de retard sur la Chine

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Par François René de Cotret


Mots clés: Chine, industrie porcine, terres agricoles, agriculture, Loïc Tassé, Ruralia

 

C'est dans ces mots que le politologue et spécialiste de la Chine et de l'Asie, Loïc Tassé, a mis en garde contre la voracité des Chinois lors du congrès Ruralia qui s'est déroulé du 16 au 20 mai à Montréal.

Pour le politologue, c'est une évidence: avec 20% de la population mondiale et seulement 7% du potentiel agricole planétaire, la Chine capitalisera de plus en plus sur les terres étrangères. Cette réalité n'est d'ailleurs pas inconnue au Québec. En mars 2010, le président de la Fédération de l'Union des producteurs agricoles de Saint-Hyacinthe, Réjean Bessette, a annoncé aux médias qu'une quinzaine d'agriculteurs s'étaient vu offrir par des hommes d'affaires chinois des sommes considérables pour leur porcherie.

Or, il y aurait plus. Loïc Tassé a expliqué que, depuis les années 80, l'Empire du Milieu a envoyé des dizaine de milliers de Chinois étudier de par le monde, dont au Québec. Les producteurs porcins québécois se sont fait dire, par exemple, que la Chine était très intéressée par les connaissances nord-américaines en matière agricole. On demandait ensuite s'il était possible que des stagiaires chinois soient accueillis dans le milieu en question.

La Chine est le premier producteur porcin au monde. « Qu'a-t-elle à apprendre du Québec? », a demandé M. Tassé à la centaine d'auditeurs de la conférence. Selon lui, ces stagiaires seraient plutôt des émissaires venus étudier le potentiel agraire dans le but d'en tirer profit. En comparaison au nombre de Chinois qui sillonnent les terres québécoises de même que les meilleures écoles et universités, la présence québécoise en Asie de l'Est est marginale. « Fort heureusement, les Québécois s'intéressent de plus en plus à la Chine », a fait savoir le politologue.

 

250 millions de fermiers recherchés
Si l'on se fit à ses propos, le nombre d'« émissaires chinois » envoyé outre-mer ne diminuera pas, bien au contraire. Certes, la nécessité de trouver des terres cultivables pèse dans la balance, mais ce n'est pas tout. En effet, le pays le plus populeux de la planète n'arrive pas à contenir sa main-d'œuvre agricole dans ses propres campagnes.

Dans les 30 dernières années, 250 millions de Chinois, soit près de la population des États-Unis, ont migré de la campagne vers les villes, ces dernières offrant un niveau de vie de plus en plus supérieur. Et l'exode s'accélère toujours. Au XXIe siècle, la conscience populaire de la dégradation de l'environnement (70% des lacs et rivières et 95% de la nappe phréatique sont pollués dans ce vaste pays) s'est ajoutée à l'équation. Par exemple, en s'éloignant des villes côtières – plus riches – les usines chinoises ont miné davantage les campagnes.

La disparité entre le rural et l'urbain se ressent aussi au niveau de la richesse. Il y a quelques décennies, il était fréquent de voir de riches agriculteurs chinois. Or, aujourd'hui, c'est différent : les salaires en villes sont rendus dix fois plus élevés que dans les campagnes du Nord. « Imaginez, a enchaîné M. Tassé, qu'on vous offre 100$ de l'heure au lieu de 10 pour faire le même travail. Que feriez-vous? »

Malgré une croissance démographique importante, la Chine est passée de 120 millions d'hectares cultivables à près de 100 millions dans les trois dernières décennies. Pour la même période, la production agricole a augmenté de 60% pour atteindre quelque 550 millions de tonnes. Or, l'industrialisation des fermes a ses limites; depuis quelques années, ce sont directement les fermiers qui sont visés par la réforme agraire. Par exemple, depuis 2006, les agriculteurs chinois n'ont plus d'impôts à payer.

La machine étatique chinoise a cela de positif : elle permet de réagir rapidement à la dynamique agricole du pays. « Ce qui se décide en un ou deux ans au Québec se décide en une ou deux semaines [là-bas] », a expliqué M. Tassé.

L'objectif ultime du gouvernement chinois reste de mettre sur pied une politique d'autosuffisance agricole. Dans cette optique, les « enclaves agraires » comme le Québec ne peuvent que se retrouver dans la mire du géant asiatique. Sans adopter un ton dramatique, Loïc Tassé a tout de même prôner la vigilance en guise de conclusion : « le Québec doit ouvrir l'œil ». De fait, les enjeux alimentaires à venir n'épargneront pas le Québec et ses terres cultivables, soit environ 2% de son territoire.

 


  Le politologue et spécialiste de la Chine et de l'Asie, Loïc Tassé, met le 
Québec en garde contre les enjeux alimentaires planétaires à venir.
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