Révision de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme – Réforme de la loi, réforme des pratiques

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Par Alexandre Turgeon
Président de Vivre en Ville


Mots-clés: Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, Commission de l’aménagement du territoire, Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme, Québec, municipalité

 

En vigueur depuis plus de 30 ans, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) est en train de subir une véritable cure de jeunesse. La Commission de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale tient une consultation sur l’avant-projet de loi déposé en décembre dernier. Des attentes, très élevées, sont suscitées par ce processus de mise à jour : est-ce que la future LAU révisée saura y répondre? On ne peut qu’espérer que la nouvelle Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme soit le coup d’envoi d’un changement de cap décisif et donne à l’État les leviers nécessaires pour orienter le Québec vers un aménagement durable du territoire.

 

Mettre fin à des décennies de mauvaises pratiques en aménagement

Revoir le cadre législatif est en effet une occasion incontournable de mettre fin à des décennies de mauvaises pratiques en aménagement et au gaspillage de ressources qui en a résulté. En effet, déterminer le régime légal de l’aménagement du territoire, c’est faire un choix qui influencera les prochaines générations à tous les niveaux, parce que les pratiques d’aménagement et d’urbanisme façonnent à long terme nos milieux de vie et leur organisation.

Malheureusement, les pratiques actuelles en aménagement du territoire et en urbanisme sont loin d’être durables: étalement urbain, collectivités dépendantes de l’automobile, perte de territoires naturels et agricoles, infrastructures difficilement rentabilisées … Le régime législatif et administratif qui sous-tend l'aménagement du territoire au Québec depuis 1979 n'a pas réussi à mettre en place un développement durable de notre territoire, et cela nous coûte cher à tout point de vue. On peut néanmoins y remédier.

 

L’aménagement du territoire : chantier n˚1 du développement durable

L’aménagement du territoire doit constituer le prochain grand chantier québécois. Il s’agit en fait de la pierre d’assise d’un véritable développement durable au Québec. Bien au-delà des solutions technologiques, repenser la manière dont nous aménageons nos milieux de vie est la solution la plus efficace et la moins coûteuse de répondre à plusieurs défis actuels et futurs.

 

Réduire notre consommation énergétique

Le défi climatique et énergétique, tout d’abord. En façonnant nos villes, l’aménagement du territoire détermine la consommation énergétique et la quantité de gaz à effet de serre émis par leurs habitants. À titre d’exemple, des milieux de vie plus compacts, avec des services accessibles à pied et axés sur un service performant de transport collectif sont le meilleur moyen de réduire la longueur et le nombre de déplacements motorisés. La cible de 20 % de réduction des émissions en 2020, mais aussi, à plus forte raison, celles plus importantes encore qui suivront, ne pourront être atteintes sans une action structurante en aménagement du territoire.

 

Sauvegarder les terres agricoles

La protection du territoire agricole est aussi un enjeu brûlant, alors que les communautés métropolitaines en sont à évaluer leurs besoins de superficie constructible selon les prévisions de croissance. Jusqu’ici, on a permis le développement toujours plus loin au lieu de favoriser celui des zones déjà urbanisées. Il y a pourtant, au cœur même des villages, des quartiers anciens, des premières couronnes de banlieue, un potentiel énorme dans la revitalisation de terrains vacants ou sous-utilisés, bref, pour une meilleure utilisation de l’espace, avant même de penser à dézoner un seul hectare de zone agricole.

 

Gérer de façon exemplaire les fonds publics

Parallèlement à ces enjeux, les décideurs doivent plus que jamais répondre à des impératifs d’efficacité et de bonne gestion : et c’est aussi ça le développement durable! L’étalement urbain rend nécessaire la construction de nouveaux aqueducs, écoles, services d’incendie, équipements de loisirs, etc. Et c’est sans compter le réseau routier et autoroutier dont le coût est bien souvent assumé par le gouvernement, donc par l’ensemble des Québécois. Ces besoins exponentiels en infrastructures constituent un gouffre pour les finances publiques auquel il est impératif de mettre fin.

Les mauvaises décisions en aménagement du territoire ont de nombreuses autres conséquences néfastes, que ce soit en matière de santé, de perte de biodiversité, de sécurité routière, d’inefficacité énergétique, de disparition des milieux humides… Nous n’avons pas le choix : il faut mettre l’aménagement du territoire au premier rang des priorités. Le nouveau cadre législatif doit être la première étape d’un changement de cap.

 

Un avant-projet de loi prometteur

Nous sommes enthousiastes quant à l’intitulé de l’avant-projet de loi, « Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme » (LADTU), qui annonce une volonté d’aller dans la bonne direction. En introduisant un « aménagement planifié et responsable, respectueux des principes du développement durable » comme principe de base, le nouveau cadre législatif proposé invite les acteurs municipaux à améliorer leurs pratiques. Cette orientation devra d’ailleurs se refléter à tous les niveaux dans le projet de loi.

 

L’État, gardien de l’aménagement durable du territoire
Les municipalités : une autonomie de moyens, une obligation de résultats

Le message qui doit ressortir de la nouvelle loi, c’est que l'État doit d’abord demeurer le gardien de l'aménagement durable du territoire québécois et préserver l’intérêt collectif. Pour leur part, les municipalités doivent être autonomes dans leurs moyens d’action, mais elles ont une obligation de résultats.

 

Des éléments positifs à renforcer

Malgré les éléments positifs de l’avant-projet de loi, il serait possible d’aller beaucoup plus loin en étant plus explicite quant aux pratiques associées au développement durable ainsi qu’en instaurant un véritable cadre de développement durable du territoire. Notamment, le législateur québécois a déjà défini le développement durable et l’aménagement durable des forêts, pourquoi n’en ferait-il pas autant avec l’aménagement du territoire?

Également, les outils de planification territoriale, des orientations gouvernementales aux plans d'urbanisme, devraient se baser sur des principes plus détaillés du développement durable, comme les vocations énoncées à l'article 19, qui soutiennent les efforts « de réduction des émissions de gaz à effet de serre » et « qui contribuent à diminuer le recours à l’automobile et à modifier les habitudes de déplacement ».

Nous soutenons par ailleurs fortement le nouveau principe d’évaluation de la performance des documents de planification. L’obligation pour les MRC et municipalités de se doter de mécanismes de suivi pour l’atteinte de leurs objectifs est certainement un bon pas vers une planification plus efficace et responsable. Les documents produits de façon transparente par les responsables de l’aménagement doivent en effet permettre à l'État et aux citoyens de suivre l'état de la situation.

 

Des indicateurs pour une meilleure évaluation de la performance

Au sujet de l’article 79 : « Le ministre peut, à l’égard de tout organisme compétent, établir des indicateurs et prescrire les conditions et modalités suivant lesquelles ces indicateurs doivent être implantés », nous considérons que le ministère des Affaires municipales, des régions et de l’occupation du territoire a le devoir d’établir des indicateurs de suivi et de prescrire les conditions et modalités de leur implantation. Il est en effet essentiel d’uniformiser les indicateurs utilisés pour l’évaluation de la performance des différentes MRC et municipalités, sans quoi il devient impossible de réaliser des bilans comparables entre les collectivités de mêmes tailles.

L’utilisation de données homogènes apparaît également nécessaire pour assurer rigueur et objectivité à la démarche d’évaluation. Sans indicateurs préalablement établis, une municipalité pourrait choisir de ne se doter que d’indicateurs pour lesquels une évaluation lui serait favorable. Des indicateurs préétablis permettront au contraire d’évaluer les progrès réalisés par une organisation municipale sur des bases solides et objectives, et de répondre à des questions qui s’adressent à l’ensemble des collectivités : chemine-t-on vers un aménagement du territoire plus durable, sommes-nous sur la bonne voie pour l’atteinte des objectifs fixés, et plus globalement pour mettre en œuvre les orientations gouvernementales en aménagement ?
 

Voici quelques exemples d’indicateurs pouvant être établis :

  • Superficie des terrains naturels intacts et des terrains en zone agricole
  • Émissions de GES par habitant
     
  • Parts modales des modes de transport collectifs et actifs ainsi que de l’automobile
     
  • Kilométrage parcouru par ménage
     
  • Mixité des fonctions (à partir des superficies commerciales et résidentielles)
     
  • Proportion de logements abordables et de logements sociaux
     
  • Dépenses en infrastructures par habitant


Dans un souci d’équité et dans le respect des spécificités des différentes collectivités, il doit impérativement être envisagé de moduler les objectifs et les indicateurs en fonction de la taille et du taux de croissance du milieu concerné.

Au niveau gouvernemental, en plus des orientations gouvernementales, l’État ne devrait-il pas se fixer lui aussi des objectifs, un plan d’action ainsi qu’une méthode d’évaluation et de suivi de sa propre performance en aménagement ? Une politique nationale constituerait un cadre idéal pour rassembler l’ensemble des orientations, objectifs et mécanismes de suivi.

L’aménagement étant une responsabilité politique partagée, un bilan national s’avère nécessaire au même titre que les bilans locaux ou régionaux. L’évaluation des interventions gouvernementales en aménagement serait particulièrement pertinente.

 

Vers une Politique québécoise d’aménagement durable du territoire

Finalement, nous considérons que la révision de la LAU n'est que le premier jalon d'une véritable Politique québécoise de l'aménagement durable du territoire. Cette politique devrait intégrer les domaines de l’urbanisme, des transports, de l’agriculture, du développement économique, de la santé et de l’environnement, en ayant comme objectif d'assurer la cohérence de l'ensemble des actions de l'État qui ont une influence sur l'aménagement du territoire. Guidée par une vision claire et la volonté ferme de modifier les pratiques, une politique québécoise d’aménagement durable du territoire devrait aller du cadre législatif aux pratiques gouvernementales, en passant par des choix budgétaires cohérents. Le territoire québécois, patrimoine inestimable, mérite le déploiement d’une politique d’envergure, intégrée et portée par un puissant leadership.

La nouvelle loi doit être le coup d’envoi d’un « désormais » en aménagement du territoire : pour que le Québec continue d’offrir à ses habitants prospérité, sécurité et qualité de vie, il est impératif de changer nos pratiques. La proposition actuelle va dans la bonne direction. Les principes doivent en être précisés lors de son application, qui devrait s’accompagner de nouvelles orientations gouvernementales en aménagement plus précises et plus exigeantes.

Puisque les décisions locales ont des conséquences majeures pour l’ensemble des citoyens québécois, c’est à l’État de définir la direction à prendre et les cibles à atteindre. Il se doit de fixer des objectifs aux municipalités, en collaboration avec elles mais en demeurant le gardien du développement durable de notre territoire. La variété de leviers dont il dispose, tant budgétaires que législatifs, lui permettra de jouer le rôle d’arbitre en même temps qu’il déploiera, par l’exemple, son leadership.

On ne le répètera jamais assez : l’aménagement du territoire est au cœur du développement durable. Le Québec a besoin d’une révolution en matière d’aménagement du territoire, et la LADTU peut en être un des fondements.

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