Commentaires critiques sur la chronique sur le nucléaire de François Cardinal à l’émission de radio « C’est bien meilleur le matin » le 15 juin 2011 à la première chaîne de Radio-Canada

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Par Marie-France Doucet,
Chroniqueuse de Biomes dans
Le Sans-Papier


Mots-clés : nucléaire, Commission canadienne de sûreté nucléaire


À François Cardinal,

Lorsque j’ai écouté la chronique la première fois, je me suis demandé si vous étiez sérieux. Puis, j’ai pensé aux personnes qui vous entendaient peut-être pour la première fois et là, je ne vous ai pas trouvé drôle, mais pas du tout.
 

Lien vers la chronique environnementale de François Cardinal présentée à l’émission C’est bien meilleur le matin à la première chaîne de Radio-Canada, le mercredi 15 juin 2011 sur la pertinence de l’utilisation de l’énergie nucléaire.


Je ne réinventerai pas la roue pour vous, François. Vous savez lire autant qu’écrire et parler. Alors permettez-moi simplement de vous inviter à revisiter le coeur de l’atome.

Juste à titre d’exemple, sur le site de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, dans le dossier de Gentilly-2, sachez que 85 % des 64 mémoires déposés dénoncent le nucléaire et ses lourdes conséquences. En fait, le seul véritable avantage du nucléaire, s’il en est, est de produire de l’énergie. Point.

Quand des sociétés jugent nécessaire de mettre sur pied des organismes de surveillance, de faire des consultations publiques, quand on regarde toutes les conséquences qu’un « exceptionnel » accident nucléaire entraîne et ce, à très long terme, je ne comprends vraiment pas comment vous pouvez prétendre que « l’exploitation du nucléaire est moins dangereuse que celle des autres sources d’énergie ». Toutes les formes d’énergie comportent des inconvénients, à court, à moyen et à long terme. Et quand on considère tous les tenants et aboutissants de chacune, je n’en vois aucune qui soit aussi dangereuse que le nucléaire.

« Quand des décisions politiques sont motivées par la peur, c’est rarement des bonnes décisions »
, avez-vous dit. Quand on attend à la dernière minute pour agir, effectivement, c’est souvent la peur qui propulse, malheureusement. Toutefois, les décisions prises dans ces moments-là ne sont pas nécessairement mauvaises pour autant. Plusieurs pouvaient même déjà être en gestation, parfois depuis longtemps, n’attendant que l’élément déclencheur pour se mettre en action. En fait, une décision prise sous l’effet de la peur révèle souvent justement l’instinct de survie.

Dans le cas présent, c’est très significatif, car elle met en évidence qu’elle aurait dû simplement être prise avant, par mesure de précaution, selon le principe « mieux vaut prévenir que guérir ». Il y a des années qu’on jongle avec le nucléaire, qu’on laisse la chance au coureur. Fukushima est la goutte qui a fait déborder le vase. Les pays qui affichent maintenant leur intention d’abandonner la filière nucléaire en ont assez de jouer au chat et à la souris, de se faire mentir sur la prétendue sécurité du nucléaire et de la transparence des informations qui sont transmises. L’énergie nucléaire est un miroir aux alouettes, fabriquée de toute pièce par l’humain et lourde de conséquences. Et les gens savent maintenant, avec du recul et toutes les informations qui sont aujourd’hui étalées au grand jour — et l’on ne sait pas tout –, que l’accident de Fukushima-Daiichi était inévitable.

Alors, lorsque vous parlez de peur, François, je me permets de vous dire qu’elle est non seulement légitime, mais elle est sagesse, ne vous en déplaise. Non, les pays ne réagissent pas à un accident exceptionnel, ils dépassent justement l’étape de la réaction pour celle de l’action.

Qualifier l’accident de Fukushima d’exceptionnel… Parler de repli irrationnel… Dire que le nucléaire est moins dangereux que les autres filières et le moins nocif pour l’environnement… tout cela témoigne d’une vision à l’horizon plutôt étroit. Le nucléaire n’est pas confiné à ses centrales ni à ses dépôts de déchets toxiques. La contamination des précédents accidents nucléaires flottent encore dans l’air du temps, et celle de Fukushima, pour ne nommer que celle-ci, flottera encore pendant des décennies, causant un nombre incalculable de décès prématurés et d’atteintes génétiques de tout acabit. L’on ignore jusqu’où la radioactivité peut modifier l’ADN. Alors, dans le doute, davantage lorsqu’il est question de vie à grande échelle, le principe de précaution dicte de s’abstenir. Mourir pour fournir de l’énergie à l’humanité est un non-sens. Il y a d’autres avenues à privilégier avant d’en venir là, surtout avec les connaissances et la technologie d’aujourd’hui.

Vous parlez de juxtaposition des images du tsunami et de l’accident nucléaire. Les gens ne sont pas dupes à ce point, François, qu’ils ne soient pas capables de faire la différence entre les deux. Franchement! Au moins, vous admettez qu’on connaît peu l’atome et que les radiations sont invisibles. C’est toujours ça de gagné!

Quant à l'étude — UNE étude — menée il y a quelques années — combien d’années, au fait? La science progresse si vite et ses données sont si vite dépassées — par l’un des plus importants instituts de recherche suisses — lequel au juste? Les Suisses ne viennent-ils pas eux aussi d’abandonner la filière nucléaire, rejetant du fait LA fameuse étude de leurs propres spécialistes? — qui évalue le nombre de victimes de l’énergie, sur une période de vingt ans, incluant les accidents de Three Mile Island (1979) et de Tchernobyl (1986) et présente le nucléaire civil comme étant celui qui a fait le moins de victimes pendant cette période-là, moins que le gaz naturel et 40 fois moins que le charbon… Dites-nous : les chercheurs ont-ils inclus les victimes du nucléaire qui continuent de porter le lourd héritage au-delà de ce laps de temps et qui le laissent et le laisseront en leg à leurs descendants, les cellules de leurs cellules exposées aux radiations novices?

Énoncer que l’énergie nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre est une aberration pure et simple. Ne serait-ce que lors de la construction des centrales et des aires de stockage, dans le processus de déclassement qui peut durer au-delà de trente ans et ce, sans parler de l’exploitation des mines d’uranium et d’autres minerais radioactifs, il y a émission de GES qu’il faut mettre dans la balance de l’équation. Si l’on tient compte de tous les tenants et aboutissants des autres énergies dites polluantes, il faut appliquer la même règle pour le nucléaire, c’est-à-dire du berceau à la fin du cycle de vie. Dans le cas du nucléaire, la fin du cycle de vie est… plutôt assez loin, merci! Dans le cas du nucléaire, aux GES générés à un stade ou l’autre du processus d’exploitation de toute la filière s’ajoutent la contamination radioactive et tous les dommages collatéraux.

Prétendre que le nucléaire est dangereux seulement quand il se produit un accident exceptionnel… que les déchets nucléaires ne causent pas de réels dangers… qu’on sait comment les conserver, mais qu’on ignore comment les traiter… Affirmer qu’on ne peut pas mettre le problème des déchets nucléaires dans l’équation des dangers… Minute, svp. Si demain matin il survenait un tremblement de terre majeur qui ouvrirait les entrailles d’une aire de stockage de déchets nucléaires — lesquels restent radioactifs pendant des milliers d’années, faut-il vous le rappeler? –, j’ai nettement l’impression, François, que vous sauriez apprécier le fait de ne pas être à proximité de l’« événement »… Allez donc répéter cela aux populations qui vivent dans l’entourage d’une centrale et qui se retrouvent avec un taux anormalement élevé de cancers de toutes sortes, dont la leucémie infantile en particulier. Il existe des études un peu plus récentes, semble-t-il, que celle dont vous parlez…

Par quoi va-t-on remplacer le nucléaire? Oui, par l’économie d’énergie, et par de l’énergie renouvelable. Qui vous garantit que les centrales au charbon et au gaz vont prendre la relève? Le Texas, pionnier et grand producteur de gaz de schiste, continue de construire des centrales de production d’électricité au charbon, car le gaz demeure plus cher. Pourquoi l’Allemagne devrait-elle substituer les énergies fossiles à celle du nucléaire alors que l’éolien, le solaire et la géothermie — pour ne nommer que ceux-là — combinés à l’économie énergétique pourront très bien compenser les 22 % « manquants »?

Passer du nucléaire au charbon, du charbon au gaz naturel… ben voyons! Il faut passer du nucléaire aux énergies renouvelables, des énergies fossiles aux énergies renouvelables. C’est la ligne à suivre.

Réduire la quantité d’énergie disponible va induire une réduction de consommation. L’abondance engendre souvent l’abus, nous en faisons la preuve constamment, entre autres en surexploitant nos ressources-richesses naturelles. La conjoncture environnementale est idéale pour migrer vers l’utilisation d’énergies renouvelables. Nous sommes dans une période de TRANSITION. C’est le moment d’agir.

Dire que les coûts faramineux du nucléaire sont le principal problème, plus même que les déchets… Vous me semblez davantage sensible à l’aspect financier que vous mettez sur un piédestal — ce que j’avais déjà remarqué d’ailleurs devant votre prétention-solution de hausser les coûts d’utilisation de l’hydroélectricité.

Ma prétention est tout autre : consacrons le même budget dans le développement des énergies renouvelables que dans le nucléaire et les énergies fossiles et vous verrez que non seulement notre économie se portera mieux, mais la santé de toute la planète et de toutes les espèces vivantes s’améliorera de façon significative et ce, parce que c’est dans notre nature. Nous n’avons aucun atome crochu avec l'uranium, nous en avons avec l’eau, l’air, la terre et les forêts qu’il faut préserver au risque d’y perdre la vie!

En fait, François, la seule véritable idée sensée que vous avez émise lors de votre entrevue, c’est qu’on n’a pas vraiment besoin de Gentilly-2 ici au Québec, à cause de l’hydroélectricité. Et j’apprécie vos arguments provocateurs qui auront peut-être le mérite de brasser les idées. « On mise sur le nucléaire comme si c’était le fléau alors que le véritable problème, c’est le charbon… On va passer des années, des décennies à s’occuper du nucléaire pendant que le charbon et le gaz vont prendre le dessus. » N’y a-t-il pas une compagnie, ces temps-ci, qui incite à bâtir une planète plus intelligente? Je vous garantis, François, que si les décideurs prennent la voie des énergies renouvelables de façon intelligente, qu’ils misent sur une transition et une migration intelligentes, les populations vont mettre l’épaule à la roue. Quant aux lobbies antinucléaires qui sont puissants et qui font peur au monde, permettez-moi de sortir de mes archives personnelles ce petit commentaire que je vous avais transmis il y a deux ans, suite à votre article du 29 mai 2009 « Gentilly : visite au coeur de l’atome » :
 


Extrait de votre article

« Bien de l'eau lourde a coulé depuis l'accident de Three-Mile Island en 1979, et la catastrophe de Tchernobyl en 1986. En pleine renaissance dans le monde, notamment au Canada, l'industrie nucléaire a jusqu'à maintenant réussi de convaincre une portion des élus et des citoyens que ses centrales n'ont rien d'alarmantes, à tort ou à raison.


En témoigne les résultats mitigés, à ce jour, de la campagne Sortons le Québec du Nucléaire. Certes, le mouvement a rallié de gros noms à sa cause, dont plusieurs médecins, mais il n'a pas encore réussi à créer une fronde d'envergure comme celles qui ont permis de bloquer avec succès les projets de centrale thermique du Suroît ou de privatisation du mont Orford.

Cela dit, les partisans du nucléaire connaissent bien les limites de leur propre discours: personne ne sait que faire des millions de grappes hautement toxiques qui s'accumulent chaque année dans des entrepôts temporaires, un sujet explosif que l'on tente de pelleter en avant en attendant une hypothétique solution permanente. »
 


Commentaire émis

C'est toujours les mêmes qui se lèvent debout. […] Afin qu'une telle campagne lève, il faut énormément d'organisation, de démarches, de temps, d'énergie (non nucléaire), de mobilisation. Il y a des limites… et il y a des limites à se battre. Ce n'est pas normal que le moindre changement écologique que l'on veut apporter en faveur de l'environnement exige maintenant de se battre contre ceux qui détiennent le gros bout du bâton, c'est-à-dire le pouvoir et l'argent, lesquels font malheureusement office d'autorité. Vous ne trouvez pas ça curieux que toutes ces initiatives pour ramener l'harmonie avec la nature, pour protéger et sauvegarder l'environnement émanent du peuple? Que le peuple doive agir comme chien de garde alors que les élus sont là pour nous représenter? C'est nous qui donnons les mandats, faut-il le rappeler?

En plus de tout savoir […], il faudrait camper dans la rue pour être sur la ligne de front afin de dénoncer, d'exiger, de défendre, de transmettre les informations… Ça n'a aucun sens. Ce n'est pas ça, la vie! À ce rythme-là, François, la planète peut bien sauter… allons-y gaiement pour le nucléaire, n'enfouissons pas les déchets et éparpillons-les à tous vents pour que la fin de ce monde arrive plus vite!



Si j’en juge d’après vos propos lors de l’entrevue, il semble que les antinucléaires ont fait du chemin depuis 2009… Maintenant qu’ils se font entendre et qu’on commence à prendre au sérieux leurs allégations, vous prétendez qu’ils font fausse route, qu’ils font peur au monde. Pourtant, ce qu’ils préconisent est justement le contraire : cesser d’utiliser une énergie mal contrôlée et risquée pour privilégier l’utilisation d’énergies alternatives plus respectueuses de la nature, plus douces, moins violentes. Voyons, François! Vous savez parfaitement bien que l'argumentation des antinucléaires repose sur de sérieux constats scientifiques irréfutables et bien établis, pas sur l’espoir de futures avancées scientifiques et technologiques et d’hypothétiques besoins de croissance énergétique des pronucléaires…

Si l’on accepte de pelleter par en avant la solution du traitement des déchets nucléaires, pourquoi n’acceptons-nous pas aussi que le développement des énergies renouvelables va entraîner des découvertes qui vont sans cesse améliorer leur rendement et ce, sans détruire nos éléments vitaux?

Il faut regarder un peu plus loin que le bout de son nez. Des déchets qui constituent des menaces pour la vie durant des millénaires ne sont certainement pas compatibles avec celle-ci.

Bravo si les coûts astronomiques du nucléaire ralentissent les ardeurs. Je n’entrerai pas dans une bataille de chiffres, mais je suis profondément convaincue que si les milliards de dollars et le génie humain mobilisés par le fonctionnement des centrales nucléaires étaient investis dans le développement d’énergies renouvelables et dans la protection des éléments vitaux (eau, air, terre et forêt), la Terre pourrait peut-être redevenir l’immense jardin qu’elle a déjà été. Pour terminer, François, je vous invite à lire ou à relire le texte « Dix bonnes raisons pour dire non à la réfection de Gentilly-2 ». En excluant les passages qui concernent spécifiquement Gentilly-2, vous y trouverez l’argumentation nécessaire pour réévaluer vos points de vue. Pour votre bénéfice et celui des lecteurs-lectrices, voici le lien : http://www.sortonsquebecnucleaire.org/documents/DIXBONNESRAISONS.pdf

Quant aux auditeurs-auditrices qui vous écoutaient pour la première fois, j’ai la naïveté d’espérer qu’il n’y en avait pas, ou très peu. Ce qui ne sera peut-être plus le cas après la mise en ligne de ce commentaire dont l’effet pervers peut contribuer justement à augmenter la cote d’écoute de votre entrevue!! Mais bon! Au moins, les deux côtés de la médaille seront exposés…

 

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