Commentaires critiques sur la chronique sur le nucléaire de François Cardinal à l’émission de radio « C’est bien meilleur le matin » le 15 juin 2011 à la première chaîne de Radio-Canada

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Par François Lapierre,
Coordonnateur du caucus uranium à la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine et au Réseau québéc
ois des groupes écologistes


Mots-clés: nucléaire, uranium, Gentilly-II, Niocan, Strateco, Énergie atomique du Canada ltée, CANDU

 

François Cardinal est journaliste depuis une dizaine d'années et parle d'environnement le mercredi à 8 h 35 à l’émission de radio « C’est bien meilleur le matin » à la première chaîne de Radio-Canada. Actuellement éditorialiste à La Presse, il était reporter spécialisé en environnement jusqu'en avril 2010.

Le site de Radio Canada a mis plus d’une semaine pour mettre un lien direct sur cette capsule contrairement à l'habitude?! Se censurent-ils eux-mêmes? Voici le lien pour la page des commentaires sur l’entrevue avec François Cardinal sur le nucléaire :

De là, le lien pour la capsule audio de l’entrevue est finalement directement disponible.


Cette chronique a sonné à mon oreille comme une litanie de demi-vérités sur le nucléaire que je qualifierais de propagande pro-nucléaire de désinformation, une sorte d’opération de relations publiques de type « damage control » à la suite de l’échec de Berlusconi qui venait de perdre son référendum. En effet, ces dernières semaines ont vu l’intention d’un retrait du nucléaire progresser en Europe. La Suisse a décidé de sortir en 2034, l’Allemagne en 2022, les Italiens ont refusé la relance du nucléaire par référendum.

Demi-vérités comme de dire, par exemple, que le nucléaire est propre et ne produit pas de gaz à effet de serre. Quand on affirme cela, on fait preuve d’un dangereux raccourci intellectuel. Oui, les centrales nucléaires émettent peu de CO2 durant la production d’électricité, mais on oublie intentionnellement de considérer l’ensemble du cycle du nucléaire : les étapes de l’extraction et de la concentration du minerai d’uranium en combustible fissible, tout le béton et l’acier nécessaire à la construction de la centrale et des piscines pour le stockage temporaire des déchets radioactifs et finalement la construction des sites de stockage à très long terme de ces mêmes déchets. Il faut compter en plus le CO2 émis par la machinerie lourde requise durant tout le cycle du nucléaire. Pour vous en convaincre, lisez l’article « Oui, le nucléaire émet bien du CO2 » à l’adresse suivante :
http://www.terraeco.net/Oui-le-nucleaire-emet-bien-du-CO2,16535.html

Ce fallacieux argument « sur l’incontournable renaissance du nucléaire à l’échelle mondiale » (idem pour les gaz de schiste) comme bouée de sauvetage contre le CO2, l'effet de serre et les changements climatiques sert à désinformer les gouvernements et la population sur la nécessité de rénover et de construire de nouvelles centrales nucléaires et d'ouvrir de nouvelles mines d'uranium comme le projet Matoush de Strateco Inc. Cette première mine d'uranium au Québec risque d'être mise en exploitation en Jamésie, sur un territoire conventionné de la Baie James, près du village Cri de Mistissini à environ 60 km de Chibougamau et ce, avec la bénédiction du gouvernement libéral obnubilé par son Plan Nord. Heureusement, malgré l'appui du Grand Conseil des Cris au Plan Nord, les Cris sont déterminés à faire obstacle à ce projet. Voyez cette courte vidéo de 4 minutes de l'excellent reportage télé sorti récemment à ce sujet qui démontre la non-acceptabilité des Cris envers ce projet uranifère sur leur territoire : http://aptn.ca/pages/news/2011/06/14/cree-concerned-over-uranium-mining-plans/

Cet uranium approvisionnerait le marché grandissant du combustible des nouvelles centrales nucléaires pour pallier aux estimations de la croissance de la demande énergétique, de cette croissance à l’infini toujours nécessaire pour maintenir notre niveau de consommation/gaspillage (sur emballage, obsolescence programmée) ici et dans les économies émergeantes. Nous ne disposons des ressources que d’une seule planète, pas de trois et demie. Il faudra bien, pour atteindre un développement durable, apprendre à gérer la décroissance. Il ne s’agit pas de prôner un retour à la chandelle, mais de stopper la fuite en avant, à crédit, basée sur le pillage des ressources non renouvelables, en consommant différemment, plus intelligemment… Le slow food en est une des expressions.

Il y a un autre argument évoqué par François Cardinal qui mérite qu’on s’y attarde, c'est celui qu'« il n'est pas bon de baser des décisions sur de la peur ». Selon lui, les Italiens, les Suisses et les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire pour une mauvaise raison : parce qu’ils en ont peur, comme des enfants qui ont peur du Bonhomme sept heures. Selon lui, les catastrophes sont peu probables et cet inconvénient est largement compensé par l’apport énergétique de masse et peu coûteux (sic) que procure le nucléaire.

La peur n'est pas toujours irrationnelle ou phobique. Elle peut aussi être un sain mécanisme de défense nécessaire à la survie. Moi aussi j'ai peur du nucléaire quand je vois le cafouillage et le manque de transparence de TEPCO, l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi au Japon qui a été endommagée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Aujourd'hui, les Japonais, qui se voient imposés des dosimètres pour leurs enfants, ont appris à avoir peur des centrales nucléaires, même au prix de remettre en question leur consommation énergétique et leur niveau de vie.

En fait, à cause de la technologie du CANDU jugée non sécuritaire, une commission d’enquête sur le nucléaire en Ontario a conclu que la question n’est pas de savoir s’il y aura un jour un accident majeur dans ces centrales, mais bien de savoir quand il se produira.

J'ai aussi peur de la possibilité qu’un jour s’ouvrent des mines d'uranium chez moi dans les Hautes-Laurentides. J’ai aussi peur quand je vois des populations entières aux prises avec des épidémies de cancers, de fausses couches et autres déformations congénitales dans les villages près de mines d'uranium aux Indes, au Niger, au Nouveau-Mexique et même, contrairement à ce qui est véhiculé par les « politiques », chez les autochtones de la Nation Déné de la Saskatchewan, haut lieu de production minière d'uranium « up-to-date » technologiquement, supposément au summum des mesures de sécurité. Les Cris de Jamésie, les Innus de la Côte-Nord, les Micmacs de la Baie-des-Chaleurs, les Algonquins du Lac Barrière en Abitibi et les Mohawks de Kanesatake en Basses-Laurentides — Projet de mine de niobium (Nb) de Niocan; le minerai que Niocan entend extraire contient des concentrations élevées d'isotopes de radium (Ra) et de polonium (Po). Ces derniers, ainsi que d'autres matières radioactives (comprenant le radium 226, le plomb 210 et le thorium 230), seront présents dans la quantité élevée de déchets radioactifs produits par l'exploitation de la mine sous forme de stériles et de résidus miniers) — font bien aussi de craindre ce type de développement minier générateur de déchets radioactifs sur leurs territoires. C’est pourquoi, depuis 2007, de plus en plus de citoyens, de groupes écologistes, de même que deux partis politiques et plus de 300 municipalités au Québec demandent au gouvernement libéral d’instaurer un moratoire sur l’exploration et l’exploitation de l’uranium comme en Colombie-Britannique, en Nouvelle Écosse et bientôt au Nouveau-Brunswick. C’est une question de gros bon sens comme celui de l’application du principe de précaution, un des fondements du développement durable.

En fait, la seule chose intelligente pour un public averti que François Cardinal ait dite ce matin-là est, qu’au Québec, nous n'avions pas besoin de rénover la centrale nucléaire Gentilly-2. Heureusement qu’il avait été récemment convaincu par un confrère chroniqueur radio membre du groupe Maîtres chez nous 21e siècle.
François Cardinal est éditorialiste à La Presse, La Presse de l'empire médiatique Power Corporation, propriété de J.P. Desmarais. Power Corporation est l’un des principaux actionnaires de SNC Lavalin, firme québécoise d'ingénieurs, principal prospect pour acheter Énergie atomique du Canada ltée (ÉACL). ÉACL que le gouvernement Harper veut privatiser pour stopper l'hémorragie sans fin des fonds publics canadiens. ÉACL est le concepteur, constructeur et vendeur des centrales nucléaires de la filière CANDU.

ÉACL devrait tôt ou tard se spécialiser dans cet incontournable marché d'avenir, cette niche internationale, celle du déclassement des CANDU qui sont à la fin de leur vie utile, comme au Québec, en Ontario, en Argentine, aux Indes, au Pakistan, en Corée du Sud, en Roumanie, au lieu de tenter de les rafistoler comme celle de Gentilly-2 au Québec et celle de Point Lepreau au Nouveau-Brunswick, aux frais des fonds (puits sans fond) publics.
D'ailleurs, les agences de cotation ont mis en garde les États du monde qu’une décote de leur taux de crédit sur les marchés internationaux est possible s’ils persistent à investir dans la construction de nouvelles centrales nucléaires. C'est un argument que tous les « lucides » politiciens, entrepreneurs et syndicalistes devraient pouvoir comprendre. Money talk!

Les énormes investissements publics et privés requis dans la construction ou la rénovation de nouvelles centrales nucléaires pour pallier à la croissance de la demande énergétique ne peuvent se faire qu’au détriment des investissements nécessaires au développement de l'efficacité énergétique et des filières énergétiques renouvelables comme celles du solaire, de l’éolien, des biocarburants issus de la digestion des déchets organiques et de la géothermie, pour ne mentionner que les plus connues. C'est encore là que SNC Lavalin devrait investir ses ressources scientifiques et financières pour contribuer à l'économie québécoise.

C'est cela que François Cardinal devrait suggérer à ses patrons pour continuer à « ne pas mordre la main qui le nourrit » au lieu de faire montre, ici, d'un manque flagrant d'éthique journalistique et scientifique. Son point de vue exprimé dans cette chronique est loin d'être neutre et équilibré, et il mérite presque le dépôt d’une plainte auprès du conseil de presse et de l'ombudsman de Radio-Canada. Ce serait un service à lui rendre pour remettre ses valeurs à la bonne place pour la poursuite de sa « brillante » carrière d'éditorialiste et de chroniqueur environnemental.

Monsieur Cardinal, soyez assuré que nous suivrons attentivement l’évolution de votre pensée qui a le mérite, tout de même, de brasser la cage dorée de l’individualisme et du confort de l’indifférence collective.

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