Les véritables enjeux du chrysotile

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Par Guy Versailles


Mots-clés : amiante, Institut du chrysotile, Convention de Rotterdam


 

Le chrysotile doit-il être désigné comme une substance dangereuse et être assujetti à la procédure de consentement préalable en connaissance de cause qui en régirait le commerce international? La 5e Conférence des parties (CoP) de la Convention de Rotterdam n’a pu dégager de consensus à ce sujet et le dossier est référé à la prochaine conférence, exactement comme cela a été le cas aux deux conférences antérieures de 2006 et de 2008.

Une majorité de pays, dont les chefs de file sont l'Union européenne et l'Australie, militent depuis plusieurs années en faveur de cette option, aussi épousée cette année par la quasi-totalité des pays africains.

Par contre, plusieurs pays qui, ensemble, représentent environ 70 % de la population mondiale, utilisent toujours le chrysotile, sont convaincus de la possibilité de le faire de manière sécuritaire, et sont réfractaires à soumettre le commerce international de cette substance à une procédure clairement perçue comme redondante face aux dispositions d’autres ententes comme la Convention #162 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et les règles du transport des matières dangereuses et représentant de ce fait un obstacle injustifié au commerce. Il existe un substrat économique à ce débat, les pays les plus fortement opposés au chrysotile étant aussi ceux où sont situés les industries proposant des produits de remplacement.

 

La position du Canada face au chrysotile, et les autres pays opposés

Le Canada joue un rôle important dans le groupe de pays favorable au chrysotile et pour des raisons historiques, sa position revêt une grande importance symbolique. Par contre, il est injuste de lui attribuer l'essentiel de la responsabilité de l'impasse qui persiste encore au terme de cette conférence quant à la question du chrysotile. Alors que le Canada est très peu intervenu, sauf pour signifier sa position, l'Ukraine, le Kazaksthan, le Kirghistan et la Russie ont mené une charge vigoureuse contre l'inscription du chrysotile sur la liste des produits dangereux.

De plus, la procédure est ainsi faite que les pays n'ont pas à dévoiler leur position s'ils estiment que cela n'est pas nécessaire. Ainsi, le Brésil et la Chine, gros producteurs et utilisateurs de chrysotile, ne se sont pas prononcés; ils n'avaient pas besoin de le faire puisque l'opposition des pays précités était suffisante pour bloquer l'inscription. Le Canada leur aura servi de paratonnerre.

Par contre, le Brésil et la Chine se sont prononcés contre la création d'une procédure qui aurait permis aux pays qui le souhaitent d'appliquer volontairement le processus de consentement, ce qui donne une indication assez claire de leur position. Les autres pays s'étant prononcés contre cette procédure volontaire sont la Colombie, l'Ukraine, le Kazakhstan et l’Inde, ce qui semble a priori contradictoire avec leur décision d'appuyer le principe de l’inclusion du chrysotile au processus obligatoire. Les États-Unis et la Russie, qui n'ont pas le droit de vote, ont aussi exprimé leur désaccord avec cette approche.

 

Utiliser le chrysotile en toute sécurité, disent certains ; aucune incidence sur la santé, affirment d'autres

Au cœur du litige réside un enjeu scientifique : les pays producteurs et utilisateurs du chrysotile estiment que la science a démontré qu'il est possible de l'utiliser de manière sécuritaire, plusieurs pays allant plus loin et faisant aussi valoir l'absence d'incidences mesurables du chrysotile sur la santé de leur population, malgré parfois près d'un siècle d'utilisation. Ils font aussi valoir l'absence d'information sur les produits de remplacement du chrysotile, qui ont beaucoup moins été étudiés quant à leurs effets sur la santé. Les pays qui souhaitent l'inscription du chrysotile sur la liste des substances assujetties au processus de consentement préalable font valoir des opinions contraires.

Une séance spéciale organisée spécifiquement pour promouvoir les échanges d'information entre les deux groupes a mis en lumière un important déficit d'information et le besoin réel de clarifier les enjeux scientifiques. Les pays favorables à l'inclusion du chrysotile à la Convention de Rotterdam estiment qu'il faut pour cela s'en remettre uniquement au Comité des produits scientifiques, constitué en vertu de la Convention. Les pays favorables au chrysotile sont plutôt favorables à une proposition formulée par l'Ukraine et la Russie d'organiser une conférence scientifique internationale sur la question qui permettrait de faire le point sur tous les aspects de cette question controversée, dont les conclusions alimenteraient les travaux du CRC.

Tant et aussi longtemps que les enjeux scientifiques au cœur de la question n'auront pas été résolus, l'impasse persistera.

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