Leader du DD – Témoignage personnel en mémoire de Ray C. Anderson

0

Par Andrée Mathieu,
Chargée de cours à la maîtrise en Gestion et développement durable à l'Université de Sherbrooke

Mots-clés : Ray C. Anderson, Développement durable

En 1996, la vie m'a fait un beau cadeau. Elle a mis sur ma route un être qui devait orienter le reste de ma vie. Ray C. Anderson était un personnage plus grand que la nature dont il s'est fait un preux défenseur. J'aimerais vous le présenter sous un angle moins connu.

À cette époque, mon mari, Réal Bellavance, venait d'être engagé comme vice-président aux ventes pour Interface Canada, un manufacturier de carreaux de tapis commercial. Je commençais alors à m'intéresser au développement durable et j'étais fort sceptique lorsque Réal m'annonça que son employeur était le leader mondial du DD dans le secteur manufacturier. Il m'invita donc à l'accom-pagner en Floride car le président – fondateur de la compagnie devait parler de la nouvelle mission d'Interface Inc.

La première fois que j'ai vu Ray, il portait des oreilles de Mickey Mouse, car il revenait d'une visite à Disney avec ses petits-enfants. Il s'est approché du micro et, avec sa modestie légendaire, il nous a expliqué que ce qu'il souhaitait laisser à ses petits-enfants n'était pas tant des parts dans une multinationale prospère qu'une planète où il fait bon vivre pour eux et leurs propres descendants. Puis, il a passe la parole à ses conseillers et amis Paul Hawken, Hunter L. et Amory Lovins. Je me revois encore, d'abord assise les bras croisés à l'arrière de la salle demandant à être convaincue puis, quelques minutes plus tard, assise dans les premières rangées, buvant les paroles de ces géants du DD. Quand j'y repense aujourd'hui, je n'en reviens pas d'avoir eu le privilège de côtoyer, grâce à Ray, certains des plus illustres pionniers du DD.

Ray C. Anderson était une « singularité », au sens où l'entendent les physiciens. Avant lui, il y avait une façon de fabriquer des produits, avec lui de nouveaux procédés ont vu le jour qui étaient plus soucieux de la santé de la biosphère et de ses habitants. Issu de la Géorgie « profonde », ancrée dans la Bible Belt, Ray C. Anderson a fait des études en génie avant d'aboutir dans le domaine de la fabrication de couvre-planchers. Rien ne semblait le destiner à devenir un démocrate ouvert sur le monde et un champion de l'industrie « responsable ». Mais Ray était un visionnaire. Déjà à l'époque où les ordinateurs envahissaient les édifices à bureaux, il avait misé sur la production des carreaux de tapis qui permettaient un accès beaucoup plus facile aux câbles qui sillonnaient les sous-planchers. Mais c'est en 1994 qu'il a opéré sa véritable « conversion » comme il se plaisait à appeler ce nouveau tournant dans sa carrière. C'est en lisant L'écologie de marché, dont l'auteur Paul Hawken allait devenir l'un de ses meilleurs amis, que Ray a décidé de faire de sa compagnie, Interface Inc., le guide du monde industriel sur la voie du développement durable. Et comme aurait dit le poète Antonio Machado y Ruiz, il n'y avait pas de chemin : « Le chemin [s'est] construit en marchant ». Il faut dire qu'il a su se faire accompagner! Son « Eco Dream Team » comprenait plusieurs des pionniers qui continuent aujourd'hui à défricher les sentiers du développement durable.

Il y en aurait long à écrire sur le rôle de Ray C. Anderson sur la scène du DD, mais c'est sur ses qualités de coeur que j'aimerais maintenant insister.

Quand vous aviez la chance de parler avec Ray C. Anderson, vous deveniez instantanément la personne la plus importante du monde. Il aimait sincèrement les gens et cet amour lui était bien rendu. Il pouvait vous reconnaître au milieu d'une foule de quelques centaines de personnes après plusieurs mois, et venir vous accueillir avec son large sourire et une chaleur humaine qu'on sentait sincère. Quelle présence, il avait! Quand mon mari est décédé du cancer en janvier 2002, il m'a écrit une première lettre à la main qui devait me procurer un grand réconfort. Il me disait combien la présence de Réal, avec son immense charisme, transformait spontanément l'atmosphère de chaque pièce où il pénétrait. Dans le cas de Ray, c'est l'atmosphère de la planète entière qui aura été modifiée par sa présence. Au moment où il se savait lui-même atteint d'un cancer et qu'il subissait des traitements de chimiothérapie, il a eu la gentillesse de répondre, toujours à la main, à ma lettre d'encouragement. Son leadership et sa créativité en ont fait un modèle dans le monde des affaires, mais ce sont ses qualités de coeur qui resteront à jamais gravée dans le coeur de ceux qui l'ont connu.

Je suis présentement au sommet des Chic-Chocs en Gaspésie. Une montagne plus élevée se dresse devant moi et se découvre au moment d'écrire ces dernières lignes. Elle me rappelle le « Mount Sustainability » que Ray nous invitait à gravir à sa suite. Il nous a quitté en chemin, avant d'atteindre le sommet. Je n'y parviendrai sans doute pas non plus, mais j'espère que les étudiants à qui je m'efforce de transmettre son message, mais surtout son courage, son enthousiasme, sa détermination et ses qualités humaines, l'atteindront bientôt. Et je connais plusieurs personnes qui suivent ses traces et s'attaquent également au « Mount Sustainability » sur tous ses flancs. Tôt ou tard, quelqu'un se tiendra au sommet et j'espère qu'à ce moment on se souviendra de celui qui a entrepris l'ascension. Ray, je vous fais le serment d'appuyer leurs efforts en votre nom.

Partager.

Répondre