Forêt – Vers une conciliation entre la conservation et la foresterie

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Par Caroline Daguet
Biologiste à Corridor Appalachien

Mots-clés : forêt, conservation, conciliation, outils de conciliation

 

Les forêts privées du Québec méridional : richesse naturelle et biodiversité exceptionnelle

De nombreux acteurs sont impliqués dans la gestion de ces forêts, en soutien aux 130 000 propriétaires forestiers qui s’en partagent la tenure. Les forêts du sud du Québec, principalement feuillues, abritent la majorité des espèces fauniques et floristiques en situation précaire à l’échelle de la province. On note cependant que les grandes superficies forestières feuillues sont nettement sous-représentées au sein du réseau d’aires protégées québécois, et que des pressions grandissantes accélèrent leur conversion à d’autres usages (agriculture, développement urbain, villégiature, etc.). Le secteur forestier traverse quant à lui une crise profonde, assortie d’une tendance au désengagement des propriétaires vis-à-vis l’aménagement de leur boisé. Un consensus se dégage cependant entre écologistes et forestiers : malgré le rôle central que jouent les milieux forestiers dans l’économie locale et le bien-être des individus, tous les intervenants reconnaissent que la forêt privée subit des menaces importantes qui affectent sa biodiversité et la pérennité de la ressource ligneuse.

En terre privée, la protection, la restauration et l’utilisation durable de la forêt doivent être abordées de manière distincte de la forêt publique. Il faut favoriser l’engagement du propriétaire dans une démarche qui se base sur le respect de son droit de propriété et de ses besoins. Seule une collaboration étroite entre les intervenants forestiers et les groupes de conservation permettra une gestion cohérente de l’ensemble des boisés environnants, vers un aménagement durable de la forêt qui prenne en compte la biodiversité et des paysages.

 

Moteur de l’économie locale

Selon le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), les activités en forêt privée génèrent chaque année des revenus annuels de quelque 800 millions de dollars (M$), dont 500 M$ proviennent de la récolte de bois. La production de bois de chauffage et de produits de l'érable tout comme la culture d'arbres de Noël, la chasse et la pêche génèrent également des toutes desrevenus pour les propriétaires de lots boisés et pour les communautés rurales. Au total, les activités de la forêt privée québécoise soutiennent 29 000 emplois directs. Toujours selon le MRNF, la contribution des activités autres que la coupe forestière, incluant les activités de plein air, est évaluée à 708 M$. C'est donc dire le rôle important qu'elles jouent dans l’économie de plusieurs municipalités.

 

La conception d’outils et la force des partenariats

Corridor appalachien (ACA) figurait au rang de pionnier parmi les organismes de conservation québécois lorsqu’il proposait de créer de nouveaux outils pour concilier conservation et foresterie. Ces outils assureraient la protection des milieux naturels en terres privées tout en permettant la pérennité des activités économiques locales à faible impact sur la biodiversité forestière. En effet, la stratégie de conservation mise de l’avant par ACA comprend des zones tampons qui permettent l’établissement d’activités à faible impact environnemental. Ces zones sont qualifiées de « tampons », car elles forment un écran entre les aires de conservation plus strictes (noyaux de conservation où l’on retrouve des écosystèmes d’une richesse exceptionnelle) et les aires où les activités humaines ont perturbé les milieux naturels de façon plus significative. Dans les zones tampons, les communautés peuvent pratiquer des activités qui ne compromettent pas l’intégrité écologique des noyaux de conservation, comme par exemple les activités d’aménagement forestier durable.

Les bases de ces nouveaux outils ont été dessinées par Corridor appalachien avec l’appui de plusieurs producteurs forestiers. Ces derniers se sont engagés, volontairement, à respecter les éléments de biodiversité les plus sensibles de leur propriété lors de l’aménagement de leur boisé, et ce, sur une période d’essai de cinq ans. Ainsi, dans le plan d’aménagement de leur propriété, les prescriptions établies par les ingénieurs forestiers respectent les mesures de protection des espèces en situation précaire et des habitats fragiles identifiés par les biologistes d’ACA. Cette première ébauche, à l’échelle de propriétés individuelles, devait pouvoir être élargie afin d’être applicable à n’importe quel boisé privé de la province.

En février 2010, ACA unissait ses efforts à ceux de plusieurs partenaires-clés (dont l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie, la Conférence régionale des élus de l’Estrie, Conservation de la nature du Canada et le Syndicat des producteurs de bois de l’Estrie)  pour organiser un colloque sur la conciliation entre conservation et foresterie. Cette rencontre visait notamment à initier la réflexion sur l’applicabilité d’outils de conciliation au contexte québécois dans son ensemble.

Le colloque a connu un vif succès, avec plus de 150 participants du domaine de la foresterie et de la conservation, des représentants d'instances fédérales, provinciales, régionales et municipales, etc., démontrant ainsi l’intérêt et la nécessité de protéger la forêt en tant que joyau naturel, ressource économique, sociale et culturelle. Dans la foulée du colloque, un comité de réflexion a été mis sur pied afin de développer des outils et des mesures qui visent le maintien de la vocation forestière des boisés privés et de leur biodiversité.

 

Des recommandations concrètes

Le rapport produit par ce comité émet une première série de  recommandations, dans le but d’augmenter la contribution de la société au maintien des forêts privées du Québec méridional. En effet, il reste du travail à faire en ce qui concerne, par exemple, la création d’incitatifs adaptés aux besoins des propriétaires, ou la protection de la vocation forestière des boisés privés par les MRC et les municipalités.

De plus, sur la lancée des recommandations émises par le comité, la réflexion s'est poursuite lors d’un atelier organisé par Corridor appalachien, dans le cadre du Carrefour Forêt Innovation, tenu le 5 octobre 2011 au Centre des congrès de Québec. Les attentes étaient grandes et cet évènement semblait l’occasion idéale de réaliser des avancées importantes vers un mariage réussi entre conservation et foresterie.

Le temps est donc à la conciliation entre écologistes et forestiers. Les deux groupes unissent leurs efforts et cherchent à mettre en place des mesures communes pour protéger à la fois la ressource forestière et la biodiversité, prônant de saines pratiques complémentaires aux stratégies mises en œuvre pour assurer la protection des paysages, des écosystèmes et des espèces les plus menacées de la faune et de la flore du Québec.

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