Le Plan Nord : vers une deuxième erreur boréale ? Lettre d'opinion de Louis Bélanger

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Alors que le gouvernement s’est engagé à conserver 50 % de la superficie du Plan Nord en le mettant à l’abri du développement industriel, minier et énergétique, l’inquiétude est de mise. Un recul important de la conservation de la forêt boréale nordique est en train de se dessiner, en toute discrétion : passer outre la « limite nordique des forêts attribuables ». Cela ouvrirait la forêt boréale nordique, exempte de toute exploitation forestière, à cette industrie. Ainsi, l’ensemble de la forêt boréale continue deviendrait commerciale et exploitable. En route vers une deuxième erreur boréale !

Pourtant, en 2000, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) a, lui-même, établi cette « limite nordique des forêts attribuables »  à la suite du rapport d’un comité scientifique dont les conclusions étaient claires : « La zone […] (forêt boréale au nord de la limite) est celle où la combinaison des éléments du milieu est la plus contraignante, l’exploitation sur une base industrielle pourrait y mettre en péril le maintien de l’état et de la productivité des écosystèmes forestiers ainsi que la conservation de la biodiversité. ». C’est donc suite à ces considérations écologique, scientifique et même économique, qu’environ 100 000 km2 de la « forêt boréale continue » a été soustraite à l’industrie forestière.

Le développement du Plan Nord remet aujourd’hui en question la préservation de la partie la plus nordique de la forêt boréale continue : « La mise en valeur des forêts boréales situées au nord de la limite nordique des forêts attribuables représente un défi encore plus considérable. […] Une stratégie d’aménagement durable des forêts, analogue à celle développée pour l’ensemble des forêts du Québec mais adaptée aux particularités socio-écologiques du Nord, sera élaborée afin d’encadrer la gestion durable des ressources forestières de ce territoire. »[1]. Le gouvernement envisage donc mettre en place une foresterie « durable » pour exploiter la forêt boréale nordique alors que le MRNF avait retiré l’industrie forestière de cette forêt considérant que son exploitation n’était pas durable…

Malgré l’engagement de conserver 50 % du territoire du Plan Nord, des éléments sont préoccupants en ce qui concerne le concept de la limite nordique. Le statut proposé de « terres de réserves du capital nature », devant assurer la « conservation » sur 38 % de ce territoire, ouvre grand la porte à la foresterie. L’implantation de ces réserves au sein de la forêt boréale non-commerciale ferait de la limite nordique un concept vide de sens en autorisant l’exploitation forestière au-delà de cette ligne.

La nouvelle Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier est un autre signe furtif du délaissement de la limite nordique. Alors que l’ancienne Loi sur les forêts faisait mention de la limite nordique, force est de constater que cette expression est absente de la future loi qui se mettra en place à partir de 2013. A-t-on oublié de nous aviser que l’on abandonne l’idée d’une « limite nordique » ?

Ce qu’il faut savoir sur cette partie de la forêt boréale québécoise, c’est que les peuplements qui la composent présentent globalement une faible densité ainsi qu’une hauteur restreinte. La croissance des arbres sous cette latitude est très lente. À titre indicatif, le rapport Coulombe mentionnait que l’accroissement moyen en volume marchand brut, un indicateur de la productivité d’un site, sera supérieur à 2 m3/ha/an dans le sud du Québec, et se situera entre 0,33 et 0,50 m3/ha/an en marge de la limite nordique des forêts attribuables. La régénération est quasi nulle avec des secteurs qui présentent tantôt des sols organiques, tantôt des pentes fortes, du roc, etc. et qui, par endroit, sont très affectés par des feux de forêts de récurrence élevée qui ne permettent pas l’atteinte du stade de maturité.

Les peuplements denses à l’intérieur de cette forêt sont plus rares, donc essentiels pour la survie de la biodiversité, notamment le caribou forestier qui est également très sensibles aux perturbations. La fragilité des sols et le maintien des services écologiques seraient également compromis.

L’exploitation de la forêt boréale nordique ne se justifie pas sur le plan écologique, mais elle est également un non-sens économiquement parlant. Aller plus loin pour récolter des arbres épars de moins grande taille serait non rentable pour l’industrie forestière à moins d’utiliser des artifices et d’en faire porter le coût à tous les Québécois. La création de routes comme celle des monts Otish va ouvrir ce territoire vierge et la tentation de venir exploiter la forêt sera grande. Voilà une belle subvention cachée qui sera offerte aux compagnies pour faire une foresterie non-durable, comparable à de l’extraction de ressources non-renouvelables et à de la désertification.

La plantation d’arbres dans cette zone, aussi loin des usines, serait très onéreuse. Les investissements sylvicoles devraient plutôt être utilisés dans la forêt boréale du sud pour restaurer des sites de coupes et contribuer à l’aménagement durable de la forêt. C’est là où se trouvent les communautés qui vivent de la forêt.

Conserver la forêt boréale non-commerciale ou non attribuée est une décision qui n’a pas d’impact négatif sur les emplois des travailleurs forestiers (elle n’a jamais été exploitée), mais qui a un gros impact dans le maintien de la biodiversité nordique. Il est donc inacceptable d’ouvrir ce territoire à l’industrie, une décision claire doit être prise pour ne pas franchir cette limite nordique ! Le gouvernement du Québec doit s’engager à préserver l’ensemble de la forêt boréale non-commerciale et à y interdire toute activité forestière dans le futur. Le Plan Nord constitue une occasion historique de concrétiser cet engagement.

Pour le moment, les « gains » en conservation qui sont annoncés dans le Plan Nord ressemblent de plus en plus à un écran de fumée derrière lequel se masque une perte nette, avec l’ouverture d’un vaste territoire intact à la foresterie. Alors que les experts s’accordent à dire que nous faisons face à une crise de la biodiversité, le Plan Nord est quant à lui soumis à une grande crise de confiance…



[1]
| Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, 2011. Faire le Nord ensemble : le chantier d’une génération.

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