Les jeunes québécois sont beaucoup moins verts qu’on ne le pense…

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Par Fabien Durif
Cofondateur et Directeur de l’Observatoire de la Consommation Responsable à l'Université de Sherbrooke


Mots clés : consommation environnementale, consommation responsable, Génération Y.

« Depuis son origine, la consommation a été l’objet de critiques récurrentes, tantôt associée à un gaspillage coupable, tantôt considérée comme aliénante. Célébrée pendant les trente glorieuses, elle se pare aujourd’hui d’une vertu écologique. »

 — L’empire de la consommation, Sciences Humaines, no22, avril-mai 2011

Depuis le début des années 2000, les comportements et habitudes des consommateurs ont fortement changé (ex. Dussart et Nantel, 2007 [1]). Ces derniers privilégient de plus en plus des produits et services ayant peu d’impacts négatifs sur l’environnement et accordent une importance accrue à l’engagement environnemental des organisations (ex. Adams et Raisborough, 2010 [2]).En conséquence, un véritable marché « vert » est apparu, organisé autour de producteurs, de marques et de distributeurs « verts ». Progressivement les grandes firmes multinationales se sont également insérées sur ce marché, dans l’optique notamment de rejoindre le nouveau segment socio et psychodémographique des consommateurs dits « verts » (ex. Bray, Johns et Kilburn, 2011 [3]; D’Souza, Taghian et Khosla, 2007 [4]).Le développement du marché « vert » s’exprime par une constante croissance du nombre de produits et services verts disponibles. L’étude 2009 de l’agence TerraChoice Environmental Marketinga mis en évidence une augmentation du nombre de produits verts de  40 à 176% dans les magasins visités en Amérique du Nord par rapport à 2008 et 2007. En parallèle, la publicité verte a triplé depuis 2006.
 

La tendance verte touche aussi le Québec

 Qu’en-est-il au Québec? Le marché vert attire-t-il de nombreux consommateurs? Les Québécois sont-ils des consommateurs verts? Si l’on regarde les statistiques du Baromètre 2011 de la consommation responsable, diffusé dans le magazine Protégez-Vous[5], une part importante des Québécois pratique la consommation responsable, même de façon occasionnelle. Le groupe des « réfractaires » ne représente que 13,4 % des consommateurs. Le segment des consommateurs engagés est estimé à 33,8 % et est caractérisé par des convictions fortes qui guident l’ensemble des choix de consommation. Le Québécois moyen, pour sa part, est motivé par l’utilité de la consommation responsable sur l’environnement et la société. Par rapport à 2010, la tendance à consommer vert s’intensifie puisque :

  1. 42,1% ont augmenté l’achat de produits et services bons pour l’environnement;
  2. 43,5% ont parfois changé de marque en raison de leurs convictions environnementales;
  3. Pour 74,5% des Québécois, consommer responsable c’est consommer des produits et services bons pour l’environnement.

Mais, qui sont les consommateurs les plus verts au Québec? Est-ce que les jeunes, que l’on présente souvent comme les plus engagés dans l’environnement, sont-ils aussi verts qu’on le pense?


Les comportement verts de la génération Y au Québec

Nous avons mené une étude[6] à partir des données du Baromètre 2011 de la consommation responsable récoltées auprès d’un panel web de 1039 consommateurs représentatifs de la population du Québec : Génération Y (225 personnes); Génération X (263 personnes); Baby-Boomers (416 personnes); Génération Silencieuse (135 personnes). L’objectif était de comparer les comportements de consommation environnementale des membres de la Génération Y, soit ceux nés entre 1978 et 1994, aux comportements des autres générations (Génération X, nés entre 1965 et 1977; Les Baby-Boomers, nés entre 1945 et 1964; Génération Silencieuse, nés entre 1925 et 1944). La littérature académique (ex. Vermillon et Peart, 2010 [7]), mais également les médias, sous-entendent que les membres de la Génération Y se soucient particulièrement de l’environnement, du sort réservé à la planète ainsi que de la pauvreté dans le monde. Ils seraient plus positifs et plus optimistes dans leur capacité à avoir un impact favorable sur la communauté; généralement plus orientés sur leur communauté; et  fortement prédisposés à acheter des produits et services dits « verts », par rapport aux générations précédentes. Or les résultats de notre étude démontrent le contraire !
 

Des résultats plus que surprenants

 Notre étude met en avant que :

  1. Les membres de la Génération Y sont ceux qui ont le moins de préoccupations environnementales (17 types de préoccupations environnementales testées) parmi les quatre générations. Les Baby-Boomers sont en fait les plus préoccupés au niveau de l’environnement;
     
  2. Les membres de la Génération Y sont de loin les moins motivés à consommer de manière environnementale (six types de motivations testées via 29 questions : bénéfices pour la santé, image personnelle, image sociale, bénéfices pour l’environnement, bénéfices pour la société, apparence/design du produit) parmi les quatre générations;
     
  3. Les membres de la Génération Y sont toutefois légèrement moins freinés (sept types de freins testés via 30 questions : efficacité, apparence/design du produit, information générale sur les attributs verts du produit, prix, information sur les écolabels, temps, perception de son impact sur l’environnement) à consommer vert que les autres générations, en particulier sur les freins de l’efficacité des produits, de l’information générale sur les attributs verts des produits, de l’information sur les écolabels et du temps;
     
  4. les membres de la Génération Y ont les comportements de consommation environnementale (quatre comportements testés via 41 question : comportements environnementaux généraux, transport durable, recyclage et compostage) les plus faibles parmi les quatre génération, à l’exception des comportements de transport durable pour lesquels ils sont les plus adeptes;
     
  5. Les membres de la Génération Y achètent peu de produits et services verts (25 produits et services verts testés) par rapport aux autres générations, à l’exception des cosmétiques biologiques, des vêtements en côton biologique et des couches pour bébé lavables et écologiques. Les produits verts en tête de liste des ventes (ex. produits d’entretien ménager verts; produits à base de papiers recyclés et produits de rénovation verts) sont plébiscités par les Baby-Boomers et la Génération Silencieuse.

 

Des comportements sont difficiles à décrypter

Les résultats de notre étude mettent donc clairement en avant que l’âge joue un rôle majeur dans la propension à adopter des comportements de consommation environnementale. Lesjeunes de la Génération Y sont moins préoccupés par l’environnement; ont moins de motivations à consommer de manière environnementale; sont toutefois relativement moins freinés à ce type de consommation; mais adoptent peu de comportements de consommation environnementale; et achètent peu de produits et services verts, en comparaison aux autres generations. Ainsi, notre étude souligne la complexité de la comprehension des comportements spécifiques des membres de la Génération Y. Certains auteurs (ex. Chester, 2002[8]) avaient identifié cette ambigüité en ce qui concerne leurs préoccupations environnementales. En effet, malgré un fort engagement, certains ont aussi l’impression qu’il est déjà trop tard pour faire une différence sur le sort réservé à la planète et qu’une contribution individuelle n’a pas d’impact afin de préserver notre environnement. Le problème est que c’est une génération difficile à comprendre et à analyser tellement les comportements sont changeants. Certains auteurs (ex. Heaney, 2007[9]) énoncent qu’il s’agit de consommateurs notoirement inconstants, qui changent rapidement d’avis et de comportements de consommation mais qui sont paradoxalement attachés à certaines marques et à certaines modes. Complexe…
 

Repenser les cibles et les modes de sensibilisation

La faiblesse des comportements verts des jeunes Québécois soulève une problématique majeure dans notre société, notamment pour l’ensemble des acteurs privés, publics, associatifs et internationaux travaillant pour une meilleure protection de notre environnement. Sensibiliser, informer, mobiliser et motiver les jeunes Québécois à adopter des comportements de consommation environnementale, telle est la direction à prendre. Les médias sociaux et les nouvelles technologies pourraient être des outils pertinents à utiliser dans ce sens (Ferguson, 2011 [10]). Il faut travailler à véritablement faire passer à l’action les citoyens : "Consumers say they want to buy ecologically friendly products and to reduce their impact on the environment. But when they get to the cash register, their Earth-minded sentiments die on the vine" (Bonini et Oppenheim, 2008, p. 56 [11]).

 


[1]Dussart, C. & Nantel, J. (2007). L’évolution du marketing : retour vers le futur. Gestion, 32 (3), 66-74.

[2]Adams, M. & Raisborough, J.  (2010). Making a difference: ethical consumption and the everyday. The British Journal of Sociology, 61 (2), 256–274.

[3]Bray, J., Johns, N. & Kilburn, D (2011). An Exploratory Study into the Factors Impeding Ethical Consumption. Journal of Business Ethics, 98, 597-608.

[4]D’Souza, C., Taghian, M. & Khosla, R. (2007). Examination of environmental beliefs and its impact on the influence of price, quality and demographic characteristics with respect to green purchase intention. Journal of Targeting, Measurement and Analysis for Marketing, 15 (2), 69–78.

[5]Les auteurs sont les créateurs du Baromètre de la consommation responsable : http://www.protegez-vous.ca/maison-et-environnement/le-barometre-de-la-consommation-responsable.html

[6]Caroline Boivin (Ph.D., professeure à l’Université de Sherbrooke), Lova Rajaobelina (Ph.D., professeur à l’Université de Moncton) et Jean-Sébastien Blais (étudiant M.Sc, Université de Sherbrooke) ont participé à l’étude.

[7]Vermillon, L.J. & Peart, J.  (2010). Green Marketing: Making Sense of the Situation. Proceedings of The Academy of Marketing Studies, 15 (1), New Orleans,  68-72.

[8]Chester, E. (2002). Employing Generation Why?Collorado: Tucker House Books.

[9]Heaney, J-G. (2007). Generation X and Y’s internet banking usage in Australia. Journal of Financial Services Marketing. 11, 196-210

[10]Ferguson, S. (2011). A global culture of cool? Generation Y and their perception of coolness. Young Consumers, 12 (3), 265-275

[11]Bonini, S. & Oppenheim, J.  (2008). Cultivate the Green Consumer. Stanford Social Innovation Review, 6 (4), 56–61.

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