L’exploration et l’exploitation des gaz de schiste : les risques de contamination associés à la gestion des eaux usées et aux techniques d’exploitation

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Par Patricia Guérin-Padilla
M. Env. Université de Sherbrooke et chargée de projet au CRE deLaval


Mots-clés: Gaz de schiste, qualité de l'eau, techniques d'exploitation, santé

 

Au Québec comme aux États-Unis, les principales préoccupations de l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste concernent la gestion des eaux usées, les risques sur la qualité des eaux souterraines et de surface ainsi que la sécurité et la santé des personnes vivant à proximité des sites de forage. Ces inquiétudes ont surgi à la suite de l’importante couverture médiatique de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste en 2010, provoquée entre autres par le documentaire Gasland, qui nous diffusait des images-chocs des conséquences possibles d’une telle industrie. Pourtant, nous avons que peu d’informations sur les impacts réels. Plusieurs discours s’opposent, celui de l’industrie qui nous présente les accidents comme des évènements isolés et peu probables, les environnementalistes qui se veulent alarmistes et une communauté scientifique partagée. Il est donc ardu de se positionner dans un contexte où tous s’entendent pour dire qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes.  De plus, malgré les témoignages et les incidents parus dans les médias, il n’existe pas de répertoire sur les accidents aux États-Unis ce qui rend difficile d’en déterminer les causes. Toutefois, l’Institut national de Santé publique[1] nous mentionnait que parmi les causes des accidents technologiques associées à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste qu’il est possible de prévoir, il faut considérer les erreurs humaines, les défaillances matérielles, les opérations inadéquates (complétion des puits et entreposage des matières dangereuses), la mauvaise application des mesures d’urgence et le transport. Il n’en demeure pas moins que plusieurs risques sont difficilement contrôlables et encore peu connus.

 

Les risques que l’industrie gazière omet de nous mentionner

Les causes de contamination des nappes phréatiques sont nombreuses. Elles peuvent provenir d’une fuite de gaz, des eaux de fracturation, des boues de forages ou d’une remontée des eaux sursalées des sous-sols. Selon le World Watch Institute,[2] en appliquant les meilleures normes de sécurité à l’étape de complétion du puits, on ne peut éliminer à 100 % les risques de fuite parce que les puits sont creusés par section. Marc Durand ingénieur-géologue du Comité scientifique sur la question des gaz de schiste [3] mentionne la corrosion des matériaux du puits qui augmente au fil des années. Selon une étude citée par Marc Durand, sur 15 000 puits offshore du golfe du Mexique dont on a évalué la durée de vie 20 ans après leur fermeture, 50 % des puits présentaient des fuites de méthane. De telles fuites auront pour effet la migration du méthane vers les nappes souterraines et dans le pire des scénarios, le gaz pourrait migrer vers les habitations à travers les conduits d’eau. Des fuites incontrôlées ont déjà été observées en Ohio, au Wyoming et en Pennsylvanie, où dans les cas les plus dramatiques des maisons ont littéralement explosé.

Les risques de fuite de gaz seraient d’ailleurs plus élevés lors de l’exploitation des gaz non conventionnels que pour l’exploitation des gisements classiques. Selon Marc Durand, « dans un puits de gaz conventionnel, le gaz est emprisonné dans un réservoir perméable et circule librement ce qui explique que pendant l’exploitation, on récupère 95 % du gaz présent dans le gisement. Dans le cas des gaz de schiste,  après la période d’exploitation d’un puits qui est d’environ 10 ans, c’est 80 % du méthane qui demeure dans les sous-sols ».[4] Ainsi, « comme on a modifié les conditions naturelles du sol d’une façon irréversible en multipliant par 100 000 voire 1 million le coefficient de perméabilité par la fracturation, les chances de remontée du gaz pour rejoindre une fissure naturelle ne sont pas négligeables » nous dit l’ingénieur-géologue. Le processus de migration du gaz qui se calcule normalement en temps géologiques pourrait s’accélérer et se réaliser en seulement quelques décennies. « Ceci est encore plus vrai lorsqu’on considère que des petites fuites de méthane sont courantes, et ce, sans aucune altération de la perméabilité du sol »,[5] nous mentionne Marc Durand. Dans le même ordre d’idées, Tom Myers,[6] expert indépendant en hydrologie au Natural Resources Defense Council de l’État de New York, nous apprend que l’injection de fluides de fracturation dans le schiste pourrait réunir les conditions pour que les gaz et les contaminants jusque-là emprisonnés, puissent migrer après quelques décennies ou siècles dans les strates géologiques supérieures.

Enfin, la distance de 1 km qui sépare la nappe phréatique et le forage que certains représentants de l’industrie gazière jugent infranchissable fait plutôt référence à la distance de forage dans le jargon pétrolier. Selon Marc Durand, malgré que la distance de forage soit de 1000 mètres, « en tenant compte de la zone d’extension de la fracturation d’environ 90 mètres autour du forage et des déviations possibles du forage vers le haut, la distance réelle entre la nappe et le forage peut être de 400 mètres »[7] tel qu’observé en étudiant le plan d’un puits de forage au Québec disponible au ministère.

Toutes ces considérations ne sont pas prises en compte dans l’encadrement québécois des forages et des puits gaziers, tout simplement parce qu’il est conçu pour atténuer les risques de l’exploration et de l’exploitation des gaz conventionnels, qui ne sont manifestement pas les mêmes pour les gaz de schiste. Marc Durand nous mentionne que dans la règlementation actuelle, principalement à travers le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains[8], « la restauration qui est exigée est limitée en surface, durant toute la durée de l’exploration et de l’exploitation du gisement et jusqu’à 6 mois après la fermeture du puits ».[9] Ainsi, les impacts liés aux fuites de gaz se poursuivront après la fermeture du puits et risquent d’être plus importants puisqu’une fois la fermeture du puits, la pression augmentera et il y aura encore 80 % du méthane à évacuer. Par conséquent, ces risques spécifiques aux projets gaziers qui ont recours à la fracturation devront être assumés par la collectivité. « On peut donc se questionner sur la rentabilité d’une telle exploitation »[10], soulève Marc Durand.

 

Les risques associés à la gestion de l’eau, ce que le Texas et la Pennsylvanie nous enseignent

L’exploration et l’exploitation des gaz de schiste comportent des impacts appréhendés à court terme mieux connus et observés aux États-Unis. Outre les risques couramment mis de l’avant comme les fuites d’eaux usées à travers les puits, les bassins de rétention ou lors du transport, d’autres impacts ont été relevés en Pennsylvanie et au Texas. Ces expériences nous témoignent que peu importe la technique utilisée pour gérer les eaux usées, que ce soit par traitement en station d’épuration ou par injection dans des couches géologiques profondes, il y aura toujours des risques bien qu’il soit possible de les atténuer.

D’abord, les eaux usées de fracturation récupérées (soit environ 50 % des eaux injectées) ont capté les composés présents naturellement dans les couches géologiques profondes, ce qui explique leurs concentrations élevées en solides dissous, responsables de leur forte salinité. Bien que les solides dissous[11] soient composés de sels inorganiques et de matières organiques retrouvés entre autres, dans l’eau que nous buvons, les couches plus profondes en contiennent plus que nos eaux domestiques. Selon Marc Durand, les eaux sous le shale Utica au Québec sont fortement minéralisées et salées, jusqu’à 10 à 12 fois l’eau de mer.[12] De plus, comme les stations d’épuration sont conçues pour traiter les eaux domestiques, les solides dissous ne sont pas éliminés et sont rejetés dans les cours d’eau. C’est cette même eau qui sera par la suite récupérée pour notre consommation. Malgré que les solides dissous causent des modifications des propriétés qualitatives de l’eau telles qu'une altération de l’odeur, de la couleur et du goût, ils sont sans danger pour la santé.[13] Ce n’est que lorsque ces eaux seront captées des rivières pour être traitées à des fins de consommation qu’elles peuvent être problématiques. En effet, les Trihalométhanes (THM), un sous-produit de la réaction issue de la chloration des solides dissous dans les usines de traitement des eaux ,[14] sont inquiétants lorsque les concentrations atteignent des niveaux trop élevés. Les effets sur la santé demeurent encore incertains, on soupçonne les THM de causer le cancer de la vessie et des nuisances au développement du fœtus.[15] Toutefois, les risques de cancer apparaissent à la suite d’une exposition prolongée sur une période de 20 ans. Les normes actuelles des paramètres d’eau potable au Québec concernant les THM sont de 80 µg/litre.[16]

En Pennsylvanie, les effets cumulatifs des déversements des eaux usées de l’industrie des gaz de schiste auraient probablement contribué à hausser la teneur en solides dissous de la rivière Monongahela en 2008, privant 350 000 personnes d’eau potable.[17] Bien que le lien n’ait pas été clairement défini sur la responsabilité de l’industrie gazière, l’évènement a eu suffisamment d’ampleur pour qu’une modification des normes de concentration maximale des solides dissous des eaux usées de l’industrie gazière et pétrolière en Pennsylvanie soit appliquée. Ainsi, la concentration maximale en solides dissous imposée est passée de 2000 mg/litre à 500 mg/litre.[18] Consécutivement, les usines d’épuration qui accueillaient les eaux usées de l’industrie gazière et pétrolière, devaient se conformer à des normes plus élevées de teneur en solides dissous que les normes applicables aux eaux domestiques qui sont demeurées à 2000 mg/litre. Ceci a contribué à une baisse significative du nombre d’usines d’épuration prêtes à accueillir les eaux usées issues des activités d’exploration et d’exploitation gazière en Pennsylvanie. Face à ces contraintes, les compagnies gazières ont progressivement procédé au traitement des eaux usées sur place par  méthode d’osmose inversée, permettant ainsi d’éliminer les solides dissous. Une bonne proportion de ces eaux traitées, entre 70 et 90 % des eaux récupérées, sont alors recyclées pour d’autres fracturations hydrauliques ou sont réacheminées vers une usine de traitement ou un puits d’injection autorisé.[19] La Pennsylvanie est devenue ainsi un des États américains les plus actifs dans le domaine du traitement et de recyclage des eaux usées issues de l’industrie gazière.

L’injection des eaux usées dans les couches géologiques profondes est une autre technique de gestion des eaux usées très courantes au Texas. Cependant, certaines propriétés du sous-sol ne permettent pas d’effectuer cette pratique de façon sécuritaire ce qui explique que l’injection dans le shale du Marcellus en Pennsylvanie est peu pratiquée du fait, entre autres, de sa perméabilité plus élevée en comparaison au shale Barnett au Texas.[20] Malgré qu’une bonne proportion des eaux usées puisse être réutilisée pour de nouvelles fracturations, 20 à 30 % des eaux usées récupérées ne peuvent être recyclées. Face aux difficultés mentionnées à traiter les eaux usées de l’industrie gazière et pétrolière vers une usine de traitement en Pennsylvanie, les compagnies gazières de Pennsylvanie acheminent leurs eaux usées en Ohio où 181 puits d’injection sont disponibles en comparaison à seulement 8 puits en Pennsylvanie selon les données d’octobre 2010. Ainsi ce sont 50 % des eaux usées injectées dans les puits en Ohio qui proviendraient de la Pennsylvanie.[21] Bien que cette technique soit fortement encadrée au niveau fédéral aux États-Unis par l’Environmental Protection Agency dans le cadre du Underground Injection Control Program exigeant un permis pour chaque puits d’injection,[22] il existe des incertitudes sur les effets à long terme concernant la possibilité de migration des contaminants et des gaz. De plus, des secousses sismiques ont été ressenties dans quelques zones où ces injections sont pratiquées telles que dans l’État d’Arkansas, en Ohio et au Texas.[23] Toutefois, le lien de causalité n’a pas été scientifiquement établi.

Considérant les nombreuses incertitudes qui subsistent concernant la modification des propriétés des sous-sols et de l’ampleur que peuvent prendre les impacts négatifs sur notre sécurité et sur la qualité des eaux de surface et souterraines, pourquoi alors vouloir exploiter cette ressource au Québec ? Bien qu’il existe des technologies qui permettent d’atténuer les effets de cette industrie, beaucoup trop de risques demeurent peu connus au niveau de leur portée et de leurs effets à long terme. Où s’arrêtera cette ambition sans limites de produire de l’énergie au détriment de l’environnement ? Quand appliquerons-nous le principe de précaution qui stipule que « lorsqu’il y a un risque de dommage grave ou irréversible, l’absence de certitudes scientifique complète ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement »[24] ?  Pourtant il s’agit bien là d’un principe retrouvé dans la Loi sur le développement durable, mais qui face à la suprématie de la Loi sur les mines trouve peu sa place dans nos décisions politiques. Finalement, il convient également de se questionner sur la volonté du gouvernement du Québec à créer un projet de loi sur l’économie énergétique au Québec.


 

[1] http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1177_RelGazSchisteSantePubRapPreliminaire.pdf

[4] Tiré de la conférence « Les très graves lacunes géotechniques de l’industrie des gaz de schiste » présentée par Marc Durand le 23 novembre 2011 dans le cadre du Cycle de conférences 2011-2012 du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste. collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com

[5] Ib.

[7] Tiré de la conférence « Les très graves lacunes géotechniques de l’industrie des gaz de schiste » présentée par Marc Durand le 23 novembre 2011 dans le cadre du Cycle de conférences 2011-2012 du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste. collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com

[9] Tiré de la conférence « Les très graves lacunes géotechniques de l’industrie des gaz de schiste » présentée par Marc Durand le 23 novembre 2011 dans le cadre du Cycle de conférences 2011-2012 du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste. collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com

[10] Ib.

[11] Les solides dissous font référence à l’expression Total dissolved solids (TDS) qui a été francisée. Les solides dissous désignent la concentration totale des substances dissoutes dans l’eau composées de sels inorganiques généralement du calcium, du  magnésium, du  potassium et du sodium, ainsi que des matières organiques. http://www.safewater.org/PDFS/resourcesknowthefacts/tds+ph.pdf

[19] Les pourcentages de recyclage des eaux usées ont été tirés des données fournies par Devon Energy et Range Ressources, 2 compagnies qui opérant en Pennsylvanie. http://www.twdb.state.tx.us/RWPG/rpgm_rpts/0604830613_BarnetShale.pdf

[21] Ib.

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