Investissement Responsable : Développements et Enjeux

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Par Imane Essrifi
Candidate au Doctorat en Stratégie des Affaires, Spécialité : Investissement Responsable. ESG, UQAM.


Mots-clés : investissement socialement responsable (ISR), fonds de couverture (Hedge Funds), Finance Socialement Responsable (FSR), Responsabilité Sociale des Entreprise (RSE), capital de développement (Private equity), ISO 26 000 (norme de Responsabilité Sociale des Entreprises-RSE), GRI (Global Reporting Initiative), la gestion de risque extra-financier, United Nations-Principles of Responsible Investment

 

L’investissement Responsable fait fureur ! Il y a même des fonds de couverture (Hedge Funds), accusés d’avoir savamment huilé l’engrenage financier qui a mené à la déconfiture de 2008, qui se spécialisent désormais dans des investissements thématiques tel que les énergies vertes, ou du moins, s’engagent dans une évaluation extra-financière qui instrumentalise les principes promulgués par l’ONU (UN-PRI)1. Si les enfants terribles de la finance s’y mettent, c’est parce que la tendance vers une finance responsable est lourde et, on ose penser, irréversible.

Depuis une trentaine d’années, les marchés s’imposent de plus en plus comme des régulateurs de l’activité sociale et économique. Les marchés financiers, défenseurs zélés de cette vision semblent être à l’épreuve de crises de plus en plus profondes, de plus en plus couteuses qui ne font que corroborer leurs positions d’institutions sociales dominantes; certes sources de scandales et de mécontentements, mais étonnamment résilientes.

 

Ce qu’est la FSR

La Finance Socialement Responsable (FSR), un mouvement qui applique le concept de Responsabilité Sociale des Entreprise (RSE) au secteur financier, s’est distinguée donc par la promotion de questions sociales, environnementales ou de gouvernance, qui ne sont pas, généralement, considérées comme déterminantes dans les calculs économiques classiques.

La FSR englobe des activités de placement, et d’investissement. L’activité de placement revient à placer son argent dans un produit financier sur le marché secondaire, alors que l’investissement correspond à une allocation de capital à long terme à une entreprise ou un projet. Généralement, on réfère à l’Investissement Socialement Responsable (ISR) pour désigner aussi bien les activités de placement que d’investissement. Les chercheurs Gendron et Bourque, de l’Ecole des sciences de la gestion de l’UQAM, suggèrent d’utiliser l’appellation FSR pour une désignation plus juste et englobante, ce que nous ferons dans le cadre de cette analyse.

 

Une popularité en croissance

LA FSR a connu une montée remarquable comparativement à l’investissement dit classique (mainstream). Aux États-Unis, l’actif sous gestion a augmenté de 639 milliards en 1995 à 2.71 billions en 2007 soit une augmentation de 324%; en 2010, il était de 3.069 billions selon des données de 2011, du Social Investment Forum.

Cette pénétration massive des pratiques FSR au sein de la finance Mainstream étonne même les professionnels du secteur. En effet, l’Institut des Comptables agrées du Canada a déclaré dans un rapport, en 2010 : “On croyait au départ que les investisseurs éthiques ou socialement responsables étaient les seuls à s’intéresser aux facteurs ESG, mais il apparait que ces questions préoccupent maintenant de plus en plus les grands investisseurs institutionnels au Canada et ailleurs dans le monde”.

 

Les facteurs ESG et l’activisme actionnarial

Les facteurs ESG font référence à l’ensemble des critères de performance extra-financière; à savoir la performance environnementale, sociale et de gouvernance dans les politiques et décisions de placement. Ces facteurs ont émergé suite à un processus de délibération, initié par l’ONU, qui a rassemblé 70 experts et groupes multipartites appartenant au secteur financier.

Cette initiative a donné naissance en 2005, aux Principes de l’Investissement Responsable (PRI), ratifiés par 850 investisseurs institutionnels qui représentent 25$US billions d’actifs sous-gestion. L’application du PRI, invite à l’utilisation des facteurs ESG dans les décisions de placements afin « d’aligner les objectifs des détenteurs de capitaux avec les objectifs partagée par toute la société » (2). Toutefois ces principes généraux, sont interprétés différemment par les différents acteurs du secteur financier, ce qui se traduit par l’hétérogénéité des pratiques observées.

Le modèle d’activisme actionnarial, quant à lui, consiste à acquérir des parts dans une corporation dans le but d’améliorer son comportement envers ses parties prenantes et envers l’environnement. La Caisse de Dépôt et de Placement du Québec et Bâtirente sont deux exemples de Caisses de retraite québécoises qui adoptent à la fois des facteurs ESG et le modèle d’activisme actionnarial. Selon le recensement de l’AIR, parmi les 84% gestionnaires d’actifs qui ont répondu au sondage, 25% disent adopter un modèle d’activisme actionnarial par le biais de résolutions ESG (ESG proxy voting policies). Les facteurs ESG sont de plus utilisés dans la sélection de portefeuilles d’investissement alternatifs, qui n’étaient généralement pas sujets à ces considérations, tels que le capital de développement (Private equity) et les portefeuilles de titres immobiliers.

 

Divulgation et Matérialité des facteurs ESG

L’évolution des cette intégration dans la prise de décision est tributaire, à notre avis, de deux facteurs majeurs: la divulgation et la matérialité des facteurs ESG.

La divulgation est une décision d’investissement qui intègre les facteurs ESG dans le processus d’évaluation d’un titre est réputée prendre en considération les risques et les opportunités associés au comportement d’une entreprise en termes de politique environnementale, des pratiques sociales et de gouvernance ainsi que leurs impacts, négatifs ou positifs sur la valeur de l’entreprise. Cette prise en compte suppose que les entreprises rendent disponibles leurs efforts de Responsabilité Sociale et les catégorisent selon les cadres de reporting suggérés par plusieurs instances de normalisation telles que l’ISO 26 000 (norme de Responsabilité Sociale des Entreprises-RSE) et le GRI (Global Reporting Initiative)…

Présentement, cette divulgation, ainsi que l’adoption d’un cadre de reporting en particulier est volontaire pour les entreprises canadiennes, qu’elles soient privées ou à capital ouvert (cotées en bourse) contrairement à la France, par exemple, où la réglementation imposant aux entreprises cotées de déposer un bilan social a commencé en 1977 et a été renforcé en 2001.

Une loi canadienne qui imposerait le dépôt d’un rapport de développement durable au même titre que le rapport financier exigé en fin d’année, augmenterait la transparence des entreprises à propos de leurs initiatives en termes de RSE et de ce fait leur comparabilité et leur classement. Cela ne peut que servir l’enjeu de l’intégration dans la prise de décision financière.

La Matérialité réfère, quant à elle, aux conséquences potentiellement significatives des facteurs ESG sur la valeur d’une entreprise. Plusieurs études ont tenté d’établir cette matérialité scientifiquement, mais cela s’avère difficile. Un document de discussion du comité du PRI responsable de l’intégration des facteurs ESG dans les marchés obligataire, publié récemment, a recommandé de supposer la matérialité des facteurs ESG, au lieu de chercher à la prouver inlassablement (3). Cela ne serait que bon sens et parfaitement en ligne avec le devoir fiduciaire des gestionnaires d’actifs.

La matérialité suppose également la quantification de tous les facteurs ESG. Si elle est possible pour des facteurs environnementaux tels que les émissions de gaz à effet de serre, cette quantification peut s’avérer impossible pour des indicateurs sociaux tels l’octroi de droit de syndicalisation… Il devient alors nécessaire d’intégrer des données qualitatives dans les modèles d’évaluation des titres. La Fédération Européenne des Sociétés d’Analyse Financière (EFFAS) suggère des Indicateurs Clés de Performance (KPI : Key Performance Indicators) sous forme narrative4. Reste à savoir si l’adoption de ces critères sera réussie, sachant la réticence des analystes financiers face aux données non chiffrées.

 


Bibliographie :

 

Institut Canadien des Comptables Agréés. 2010. « Facteurs environnementaux, facteurs sociaux et facteurs liés à la gouvernance (ESG) dans les processus décisionnels des investisseurs institutionnels ». Toronto. ICCA. 56 pages Sandberg, J. Juravle, C., Hedesström et T. M. Hamilton, I. 2009. « The Heterogeneity of Socially Responsible Investment » Journal of business ethics. 87 (4) : 519-533

UNEP-FI. et Mercer. 2007. Demystifying Responsible Investment Performance – A Review of Key Academic and Broker Research on ESG Factors. UNEP. New York. 78 pages.

Social Investment Forum (SIF). 2011. « 2010 Report on Socially Responsible Investing

 

1) UN-PRI : Principes d’Investissement Responsable, un programme lancé par l’ONU en 2006.

2) http://www.unpri.org/about.

3) http://www.unpri.org/fixedincome/index.php

4) http://www.dvfa.de/files/die_dvfa/kommissionen/non_financials/application/pdf/KPIs_ESG_FINAL.pdf

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