Le système d’échange de gaz à effet de serre québécois : Faire agir la loi du marché pour protéger l’environnement

0

Par Ophélie Bardin
Étudiante à la maîtrise de droit de l’environnement de l’Université de Laval


Mots-clés : Système d’échange d’émission de gaz à effet de serre québécois, changements climatiques, marché du carbone.

 

Dans la lutte contre les changements climatiques, le Québec est aujourd’hui un leader en Amérique du Nord. Avec son plan d’action 2006-2012, il s’est déjà doté de moyens efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et ne compte pas s’arrêter à ce stade. Depuis l’été 2011 en effet, l’annonce par le gouvernement d’un règlement mettant en place un marché règlementé du carbone a fait mouche. Entré en vigueur le 14 décembre 2011[1], les perspectives de ce mécanisme de cap-and-trade, s’inscrivant dans un contexte international chancelant, sont doubles. Alors qu’il revêt incontestablement un caractère économique efficient, des doutes peuvent apparaitre quant à sa réelle efficacité environnementale.

 

Perte d’influence de la Western Climate Inititiative

Le Québec est membre à l’heure actuelle de la Western Climate Initiative (WCI), une association de juridictions indépendantes travaillant ensemble afin d’aborder les changements climatiques à un niveau régional. Parmi les instruments prônés par la WCI, l’utilisation du pouvoir de marché semble être la clef de voûte d’une véritable réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est sous cette impulsion que le Québec a donc proposé son système de cap-and-trade ayant pour objectif de réduire ses émissions de 20% en 2020 par rapport aux niveaux de 1990. A terme, un marché global entre toutes les juridictions parties à la WCI devrait être instauré. Toutefois, suivant l’exemple de la Californie, le Québec a reculé d’une année l’entrée en vigueur de ce marché (1er janvier 2013), invoquant la crise économique et alléguant que cette nouvelle serait difficile à accueillir pour les entreprises dans un contexte financièrement pénible.

En outre, cet engouement semble être en perte de vitesse ces derniers temps puisque six Etats américains viennent de quitter l’association, affirmant leur refus de mettre en place un tel mécanisme de marché. Ce rebondissement s’affiche dans un contexte international similaire, oscillant entre volonté de réduction des émissions et remise en cause progressive de tels instruments de marché (échec relatif du protocole de Kyoto, failles incontestables du marché européen…).

Quoiqu’il en soit, il s’agira certainement pour le Québec de retenir les leçons des précédents systèmes de cap-and-trade afin de lutter efficacement contre le réchauffement climatique et non de rendre ce mécanisme seulement économiquement intéressant.

 

Fonctionnement du système d’échange de quotas d’émissions

A cet égard, le système québécois d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre présente une structure assez classique ponctuée toutefois de quelques originalités qui pourraient être les raisons de sa réussite. L’objectif du règlement est avant tout d’appliquer le principe de pollueur-payeur en responsabilisant les grands émetteurs afin de mettre à leur charge le coût de la pollution engendrée par leurs activités.

Les émetteurs visés par ce règlement sont les entreprises ou municipalités déclarant des émissions annuelles de gaz à effet de serre égales ou supérieures à 25 000 tonnes de C02. Les secteurs concernés sont essentiellement l’extraction minière, de pétrole et de gaz,  la production, le transport et la distribution d’électricité ou de gaz naturel, ou encore la production de vapeur. Pour les entreprises relevant des deux conditions précitées, l’inscription au système est obligatoire. Des initiatives volontaires peuvent toutefois s’y ajouter. Une fois les émetteurs qualifiés, le principe est simple : ces derniers devront couvrir en « droits (ou unités) d’émission » toutes leurs émissions. Il est important de noter qu’à cet égard le système québécois prévoit une quantité maximale d’unités d’émission possédées. Cela signifie qu’une entreprise ne pourra pas émettre à n’en plus finir du C02 simplement en achetant des droits d’émission.

Concernant l’acquisition de tels droits, plusieurs mécanismes sont à la disposition des émetteurs. Tout d’abord, afin d’assurer la compétitivité des entreprises québécoises face à la concurrence étrangère, le gouvernement prévoit d’allouer gratuitement une grande partie des émissions (80%). Le reste de celles-ci pourra être couvert par l’entremise d’unités d’émission vendues dans le cadre d’une vente aux enchères tenue par le ministre. Lors de cette vente, le prix minimum d’une unité sera de 10$ majoré de 7% tous les ans. Par ce seuil minimum en constante augmentation le Québec dresse un bouclier contre des prix trop fluctuants et répond ainsi aux lacunes observées par le marché européen qui avait vu les prix de ses unités baisser considérablement pendant la crise, ne revêtant alors plus un caractère suffisamment incitatif. Les bénéfices de ces ventes seront reversés au Fond vert. Les entreprises pourront en outre acquérir des droits d’émission par la vente de gré à gré, qui elle ne prévoit malheureusement que des plafonds maximaux de prix des unités (40 à 45$).

Ainsi, bien que le règlement soit on  ne peut plus classique, force est de constater qu’il prévoit d’ores et déjà des parades aux principaux inconvénients relevés dans d’autres marchés, notamment quant aux prix fluctuants des unités. Cependant, certains mécanismes de flexibilité sont mis en place parallèlement à cette structure, infléchissant ainsi les mérites potentiels du système québécois.

 

Lacunes intrinsèques du règlement

En effet, le règlement se révèle être un compromis entre efficacité économique et protection de l’environnement, voulant ainsi s’inscrire dans une logique de développement durable. Cependant, au regard des carences qui peuvent lui être imputées, l’objectif écologique semble difficilement trouver sa place.

Ainsi, le règlement prévoit un mécanisme de réductions hâtives, répondant ainsi aux craintes des entreprises de ne pas voir leurs efforts antérieurs reconnus. Ce crédit a pour effet de « récompenser » les entreprises qui, préalablement à l'adoption du projet de règlement, avaient déjà entrepris des mesures pour réduire leurs émissions (au départ de 2008 à 2011 et même avant 2007 avec le règlement final). Cela semble être un pas en arrière concernant la lutte contre les changements climatiques, dans la mesure où les réductions d’émissions devraient être continues et le règlement aurait dû encourager les efforts supplémentaires.

En outre des failles quant au champ d’application du règlement peuvent être facilement relevées. Ainsi, le secteur des transports, bien qu’étant la principale source d’émissions de gaz à effet de serre au Québec, ne sera concerné qu’en 2015 par ces obligations de réductions. Le réchauffement pourtant lui n’attend pas.

Enfin, ne sont concernés que les gros émetteurs. Il sera donc opportun de cumuler ce marché avec d’autres instruments, économiques ou plus conventionnels, afin d’élargir le champ de la lutte contre les changements climatiques et d’intégrer des protagonistes toujours plus nombreux. Le projet de loi 48 concernant la conformité environnementale des véhicules de plus de 10 ans pourrait notamment s’inscrire dans une vision d’avenir en ce sens.

 

Bien qu’imparfait, le nouveau règlement du Québec s’inscrit donc dans la volonté d’une maîtrise globale et collective des émissions de gaz à effet de serre et des coûts associés à ces réductions. Pour beaucoup comme l’AQLPA, cette initiative est donc « un pas de géant », même si des ajustements devront être mis en place et une combinaison d’instruments trouvée afin d’assurer une efficience accrue de cette indispensable et inévitable lutte contre les changements climatiques.



[1]
Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre, 14 décembre 2011, en ligne : <http://www.mddep.gouv.qc.ca/changements/carbone/reglementPEDE.pdf>.


 

Partager.

Répondre