L'environnement au Salon de l'Auto 2012 de Montréal (SIAM)

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Par Kim Cornelissen
Bebop et cie et vice-présidente, AQLPA


Mots-clés : greenwashing, performance, Salons de l'Auto, écologie, concessionnaires

 

En raison de l'impact environnemental des automobiles et de leur omniprésence partout sur la planète, les Salons internationaux de l'Auto comme celui de Montréal, affichent chaque année des discours, des images et des nouveautés environnementales.  Mais de quoi parle-t-on vraiment?  Le monde des "chars" serait-il maintenant envahi et dirigé par des écologistes?  Certainement pas celui de Montréal.  Pourtant…

Bien que plusieurs écologistes décident de ne pas avoir de voiture, ce n'est pas le choix de la majorité.  Souvent, cette décision est prise pour des raisons techniques (absence de transport en commun, transport de marchandises, grande famille, etc.) et également… parce qu'on aime les voitures.  Qu'on le veuille ou non, l'automobile est encore un symbole de liberté et, toutes et tous occupé.e.s comme nous sommes, l'alternative en transport en commun est difficile dans bien des cas: contraintes de temps, transport d'objets, enfants ou parents à trimbaler avec soi.  Pour la majorité des gens, l'automobile s'avère aussi essentielle que la résidence principale.  

Prix, fiabilité, espace, consommation d'essence ou solutions électriques, design, polyvalence: divers critères sont considérés lors de l'achat d'un véhicule, ce qui inclut également l'image que l'on veut que notre voiture projette à propos de nous-même.  Les voitures de luxe sont symboles de prospérité et de succès professionnel, les voitures sportives témoignent de la joie de vivre pleinement sa vie et la voiture écolo parle d'elle-même: si l'on veut, voire si l'on doit posséder une voiture, alors assurons-nous qu'elle minimise notre impact pour l'environnement.

Tout comme la résidence principale, pour bien des gens, la voiture fait partie intégrante du standing personnel: quand on peut se le permettre, nos voitures traduisent ce que nous sommes.

Toutefois, dans la plupart des cas, pour des raisons budgétaires, on se contentera d'un modèle moins cher, moins design, moins sécuritaire et moins éco-énergétique.  Mais rien n'empêche d'aller rêver un peu au Salon, sous prétexte de magasiner sa prochaine voiture, maintenant ou beaucoup, beaucoup plus tard.

 

Rêver…sans se soucier de la réalité

Les concessionnaires qui organisent les Salons de l'Auto ont très bien compris ce désir de rêver.  Ils savent que pour être un succès, cet évènement annuel doit être assez magique pour inciter les gens à se rendre par la suite chez les concessionnaires, un lieu autrement plus lointain, plus intimidant et plus engageant.  D'où l'idée de cet immense lieu à multi-étages en plein coeur du centre-ville, cet étrange mélange entre défilé de "mode", centre d'achats et fête foraine: beaucoup de sons et lumières, des voitures étincelantes à s'y mirer, des concours, des autos de police avec policiers, des petits kiosques où l'on peut acheter des jouets (reproductions, porte-clés, plaques d'immatriculation, petits hélicoptères télécommandés etc.).  Beaucoup de lieux de distraction auxquels s'ajoutent des kiosques pour nous "instruire" sur les moyens de financer et de chouchouter sa voiture actuelle. Ou, bien sûr, la prochaine.

 

Et commence la mascarade…

On nous explique en quoi notre prochaine voiture sera sécuritaire, pas vraiment coûteuse et, bien sûr, tellement mieux pour l'environnement grâce à tel gadget ou innovation que l'on qualifie généralement de révolutionnaire.  Parce que bien sûr, le manufacturier X ou Y est vraiment soucieux de l'environnement, disent beaucoup d'entre eux.  Et être soucieux de l'environnement, ça peut vouloir dire bien des choses.  Comme par exemple les gens de chez Volvo, un manufacturier jadis avant-gardiste en matière de protection de l'environnement ou l'on apprend que pour minimiser leur empreinte écologique, ils n'avaient imprimé qu'un seul carton de promotion/personne.  Pas un mot sur le fait qu'ils avaient récemment éliminé du marché nord-américain leurs voitures moins énergivores pour ne conserver que les grandes cylindrées !!!  

Et ils ne sont pas les seuls: le discours attire l'attention sur les petits gestes (réduction du nombre de feuillets publicitaires, fougères, sacs de magasinage avec beaucoup de feuilles vertes dessus, etc.) pendant que l'on continue à qui mieux mieux de vanter la puissance et la vitesse des véhicules, dans un souci grandissant de l'environnement.  La photo ci-dessous est éloquente à cet égard.

Source: Bebop et cie, 2012

 

Nissan présente ici une voiture sport pour vanter sa nouvelle ligne d'automobiles à émissions zéro. Dans le monde automobile, on cherche de vendre des automobiles du XXIe siècle avec une approche marketing "testostérone" du XXe siècle.  Pourquoi est-ce un problème? Parce que cette approche a été très nuisible pour la planète au siècle passé et que le siècle actuel ne peut se permettre de continuer à faire de même.

Au début des années 1900, Clara Ford – qui conduisait une voiture électrique – se navrait déjà que son mari Henry ait préféré développer l'approche la voiture à essence – puante, bruyante et polluante – plutôt que d'améliorer la voiture électrique.  Il y a déjà plus de cent ans, cette approche de performance liée à la vitesse et à la puissance a fait bifurquer l'histoire.  Il est difficile d'imaginer à quel point la vie serait différente sur la Terre si les questions de pollution de l'air, de bruit et de la Nature en général, avaient été considérées dans ce choix de développement de l'automobile.

 

Un monde de promesses dépassées

Le monde automobile est encore et toujours un monde d'hommes et les valeurs dominantes de ce secteur demeurent encore le clinquant, la vitesse et la puissance, avec ou sans considérations environnementales.  Il est dommage que les écologistes ne soient pas consultés lors de la mise en place des Salons de l'auto, parce qu'il y aurait moyen de faire beaucoup avec peu et de positionner Montréal – et Québec, pourquoi pas? – comme le mouvement à suivre, du moins en Amérique du Nord.

Utopique?  Les présidents passés du SIAM aussi alors.  Le président de l'édition 2006, Normand Hébert Jr., déclarait à son ouverture qu'il voulait que celui-ci devienne la «référence en matière de voitures plus écologiques et d'énergies alternatives»[1].  Six ans plus tard, le recul est remarquable. En plus d'un retour bien senti des clichés liés à l'automobile qui sont de fort mauvais goût: la visite du SIAM 2012 débute avec la section des autos modifiées (que j'aime bien) mais qui sont placées dans des enclos avec des jeunes filles "sexy": pourquoi les concessionnaires se nuisent-ils en se mettant à dos plus de la moitié de leur clientèle?

Dans la salle suivante, c'est la vue de soldats à mitraillette qui déroute et surprend désagréablement.  Non seulement c'est d'un humour douteux, mais qu'est-ce qu'un kiosque de paintball vient faire dans un Salon de l'Auto?   Un spécial "peinture verte" peut-être?

 

Travailler avec le monde écologiste ?

Puisque la fin du monde est remise à plus tard (fausse alarme, semble-t-il) et que les automobiles sont là pour rester, il serait primordial que les gens du SIAM et le monde écologiste se réunissent pour trouver ensemble des solutions innovatrices qui vont dans le sens de la mobilité durable, en repensant autrement la rentabilité des concessionnaires et des manufacturiers.

Pour ça, il faut des écologistes qui aiment le monde automobile et qui veulent autre chose que la disparition pure et simple des automobiles.  Le défi est majeur mais à l'avantage de tout le monde.   Et il y a des pistes de travail pour combiner ces intérêts à première vue divergents qu'il serait intéressant de développer. 

En reconnaissant d'un côté que les gens aiment leur voiture et aiment conduire, et que de l'autre, il faut accélérer le niveau de réduction de l'impact écologique des voitures, il faut passer de profits basés sur la quantité aux profits basés sur la qualité, une tendance qui existe de plus en plus dans plusieurs secteurs d'industrie.

Pour ce faire, il faut éliminer la captivité de la clientèle, c'est-à-dire le fait que les gens n'aient pas réellement le choix de posséder une voiture en tout temps, c'est-à-dire une situation où les familles doivent posséder une/deux/trois voitures.  Les coûts très importants liés à cette situation (achat, immatriculations, assurance, entretien) limitent également les automobilistes qui doivent alors se procurer des modèles moins chers ou usagers, ce qui diminue ou élimine le profit pour les concessionnaires! En travaillant ensemble sur des solutions de mobilité durable en alternative à la voiture solo tout en libérant une marge financière pour l'achat de meilleures automobiles, plus prestigieuses, confortables, sécuritaires et, pourquoi pas, plus "vertes", tout le monde y trouve son compte!  L'idée demande à être développée ensemble.

D'ailleurs, pour certaines personnes, l'idée d'écologistes qui font de la chronique automobile est une contradiction en soi, tellement la vision de ces deux mondes semble opposée.  Pourtant, s'il y a bien un domaine où les écologistes sont plus que nécessaires, c'est le monde de l'auto.  Ces écologistes doivent se retrouver chez les manufacturiers et concessionnaires, pour ce qui est de la fabrication, de la vente et de l'entretien de nos véhicules.  Les écologistes doivent également se retrouver en politique, pour mettre en place la règlementation et la planification sur la question des transports, tant pour ce qui est des infrastructures et du transport en commun que de l'automobile en tant que tel.

D'où la pertinence que Daniel Breton, l'un des seuls chroniqueurs automobile écologiques au Québec, se soit porté candidat aux prochaines élections québécoises![2]   

 



[1]
FRANCOEUR, Louis-Gilles.  Le Salon tourne au vert… pâle. Le Devoir, 20 janvier 2006.
 

[2] ROBITAILLE, Antoine.  Le PQ recrute Daniel Breton. Le Devoir, 19 janvier 2012.

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