Le Forum mondial de l'eau: de Marseille à Québec

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Par Marie-Claude Leclerc
Directrice du Regroupement des organismes de bassins versants du Québec ( ROBVQ )


Mots-clés : Forum mondial de l'eau, eau, changements climatiques, bassins transfrontaliers, gouvernance

 

Marseille a été l’hôte du sixième Forum mondial de l’eau en mars dernier alors que, selon les chiffres officiels provenant des organisateurs, 35 000 participants [1] ont franchi les tourniquets pour partager leurs expériences sous le thème « Le temps des solutions ».

 

La délégation

Six représentants des organismes de bassins versants du Québec ont eu l’opportunité de participer à ce forum grâce à une contribution financière des Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ). Ainsi, Karine Dauphin (OBV COPERNIC), Geneviève Gallerand (OBV COBALI), Claude Normand (OBVNEBSL), Ambroise Lycke (OBVT), Antoine Verville (ROBVQ) et moi-même avons fait nos choix parmi cette orgie de 400 conférences, événements, ateliers et expositions offerts sur plus de cinq journées.

 

Le modèle québécois

Le Forum est l’occasion pour les décideurs de prendre des ententes dans le cadre des sessions dites ministérielles. Le Québec n’était pas représenté dans le cadre de ces sessions, perdant ainsi une occasion de démontrer au monde entier un modèle de gouvernance participative qui fonctionne très bien, et ce malgré des contraintes financières évidentes. La Déclaration ministérielle [2] adoptée dans le cadre du Forum reflète les valeurs qui guident les décideurs (paix, solidarité et équité entre les sexes), mais n’apporte pas de solutions financières nécessaires à l’atteinte de ces objectifs.

 

Les enjeux du Québec

De grands thèmes ont été abordés dans le cadre de cet événement d’envergure dont l’assainissement de l’eau dans les pays du Sud, l’eau et les femmes ainsi que l’eau et la santé publique. D’autres thèmes touchaient plus particulièrement les préoccupations des Québécois : les changements climatiques, la gouvernance de l’eau et la gestion des bassins transfrontaliers.

 

Les changements climatiques et l’eau

Le Plan d’action sur les changements climatiques 2012-2020 du gouvernement du Québec n’est pas encore adopté. Cependant, il semblerait que ce plan soit à limage du précédent et que la majorité de l’enveloppe financière soit allouée à la réduction des gaz à effet de serre. À Marseille les conférenciers martèlent que les mesures d’adaptation doivent nécessairement obtenir une part de financement plus importante que les mesures de réduction qui sont très coûteuses et n’empêchent pas in fine, les épisodes extrêmes. L’un des objectifs planétaires est d’outiller les communautés pour faire face à ces épisodes et travailler en collaboration, municipalités et organismes de planification de l’eau (ici, les organismes de bassin versant), à établir une planification des crues et des étiages possibles et de leurs impacts sur les populations et les éco- systèmes. Personne ne renie les objectifs de Kyoto pour autant. Il est plutôt question de développer en parallèle, les capacités des communautés afin de faire face aux changements climatiques (développement de scénarios, d’outils de modélisation, etc.).

 

La gestion des bassins transfrontaliers

Que ce soit pour les aquifères de surface ou souterrains, la gestion des bassins à l’échelle des pays et des provinces est un défi immense. La conférence donnée par le Groupe dʼAIX [3] sur le partage des eaux entre la Palestine et Israël illustre à merveille ce propos. Le Québec est également concerné par cette thématique puisque la gestion transfrontalière fait appel aux États-Unis, à l’Ontario et au Nouveau-Brunswick autant pour les bassins versants des zones St-François, Matapédia et Témiscamingue pour ne nommer que ceux-là, que pour le bassin du fleuve Saint-Laurent.

Tous s’entendent sur l’importance de l’acquisition de connaissances sur les aquifères souterrains et sur les implications économiques de la gestion transfrontalière de l’eau. Au-delà de ces constats, les façons de faire semblent similaires et le succès difficile à garantir même lorsque la volonté s’ajoute à la bonne foi. En ce sens, l’Agence française de développement a proposé une approche en cinq étapes [4]. Le représentant du fleuve Mékong a illustré avec succès cette démarche pour son bassin versant abritant une population de 70 millions de personnes dans sept pays différents.

Au Québec, la gestion du grand bassin du fleuve Saint-Laurent, qui présente certains défis transfrontaliers, a plutôt été confiée aux entités municipales qui travailleront de concert avec les zones d’intervention prioritaires à l’élaboration d’un plan détaillé pour des tronçons de cet important cours d’eau.

 

Gouvernance étatique

Selon l’OCDE [5], les conditions de succès de la gestion de l’eau sont les suivants : une bonne gouvernance, un environnement propice et un financement adéquat. L’État doit donc établir une planification financière stratégique à long terme et déterminer des priorités en matière de gestion des eaux. Elle doit y allouer les ressources financières nécessaires et prioriser les réformes législatives et réglementaires. De plus, les cadres institutionnels et réglementaires doivent être connus et fixés clairement.

Cependant, l’État québécois avec ses 13 ministères impliqués dans les dossiers aquatiques n’a pas établi de planification financière stratégique, pas plus qu’elle n’a déterminé des priorités en matière de gestion de l’eau. L’État a adopté une Politique nationale de l’eau [6] en 2002, mais ce document d’orientation ne donne pas de cibles à atteindre, pas plus que de moyens financiers. La Loi sur l’eau [7], en 2009, vient offrir certaines balises qui sont vite bafouées par les règlements et projets mis de l’avant dernièrement (Gouvernance du Saint-Laurent, Stratégie de l’eau potable, etc.). De plus, les réformes législatives et réglementaires actuelles, et elles sont nombreuses, mettent à l’ombre ces organismes qui oeuvrent depuis maintenant 10 ans la gestion intégrée de l’eau par bassin versant.

Les représentants au Forum de tout horizon sont d’avis que la gestion de l’eau par bassin versant est la seule stratégie adéquate pour gérer l’eau de façon efficiente et responsable. Un élément récurrent du Forum a été l’importance, dans ce contexte de gouvernance, d’avoir un lien direct entre les communautés et les organismes de bassin. Cette idée est largement véhiculée par les OBV du Québec : la reconnaissance sur le terrain est essentielle à la bonne gouvernance des usages de l’eau.

 

Des solutions concrètes

Dans les conclusions du Forum, il est clair que la seule solution viable pour la gestion de l’eau est la mise en oeuvre des « 3T » : taxes, transferts et tarification. Au Québec, la Loi sur l’eau permet la tarification des premiers « préleveurs » faisant partie des ICI (industries, commerces et institutions). Lorsqu’il est question de la tarification de l’eau, un grand malaise se fait sentir au Québec, alors qu’ailleurs dans le monde, le malaise se fait sentir lorsqu’ils comprennent que l’eau est, pour ainsi dire, gratuite chez nous (la tarification des services d’eau municipaux est pour ainsi dire invisible à l’utilisateur, étant comprise dans l’ensemble des taxes foncières).

La gestion de l’eau est une mécanique complexe qui s’articule autour de nombreux intervenants. Elle peut être vue comme étant une gestion de corridors bétonnés ou encore, dans sa globalité et en fonction de ses impacts cumulatifs et de ses usages. Nous privilégions, la seconde option.

Le Forum Mondial de lʼEau a été l’occasion de se rappeler que le Québec a fait des choix avant-gardistes en misant sur la gouvernance participative de l’eau par des structures légères d’accompagnement des décideurs et des acteurs de l’eau. Ce modèle comporte cependant des limites : son financement et son encadrement législatif.

Il est temps pour le Québec qu’une forte volonté politique vienne soutenir les efforts de mobilisation consentit dans toutes les régions.

 


[1] Communiqué de presse: Franc succès du Forum Mondial de lʼEau qui a réuni à Marseille plus de 35 000 participants, 20 mars 2012, World Water Forum 6.

[2] Déclaration ministérielle, Ministères des Affaires étrangères européennes, World Water Council, 13 mars 2012.

[4] Agence française de développement, collectif. Vers une gestion concertée des systèmes aquifères transfrontaliers (2010)

[5] Meeting the Water Reform Challenge, OCDE, mars 2012

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