Projet de loi C-38. Les biologistes du Québec lancent un cri d'alarme

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L’Association des biologistes du Québec (ABQ) s’inquiète du projet de loi C-38, lequel prévoit la modification de plusieurs lois et règlements touchant l’environnement. En effet, ce projet compte 425 pages dont 153 portent exclusivement sur la refonte des lois environnementales, en particulier, celles régissant les évaluations d’impacts.

Si le gouvernement fédéral souhaite un développement économique sans contraintes, nous craignons que l’entrée en vigueur de cette loi n’entraîne des effets négatifs considérables sur l’environnement et sur l’expertise professionnelle et scientifique développée au Québec et au Canada depuis des décennies par les biologistes, notamment.

La Loi sur les pêches. Les récentes coupures de budget et de postes à Pêches et Océans Canada vont entraîner une baisse de la capacité d’analyse de ce ministère mais surtout une perte d’expertise, notamment en ce qui concerne la pollution chimique de l’eau et conséquemment, la protection des espèces et des habitats aquatiques. Les coupures de postes annoncées dans le domaine de l’écotoxicologie, notamment dans les laboratoires d’Environnement Canada, de Pêches et Océans Canada et à l’Institut Maurice-Lamontagne sont une bien mauvaise nouvelle pour la santé des Canadiens et pour la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Dorénavant, la portée de la Loi sur les pêches ne se limitera plus qu’à la protection des espèces de poisson d’intérêt pour la pêche commerciale ou récréative, ou celles utilisées par les autochtones. Les espèces de poisson non couvertes par cette loi sont donc des poissons de petite taille, notamment des poissons-appâts qui sont à la base de la chaîne alimentaire. Des connaissances biologiques élémentaires permettent de comprendre les effets en cascade sur les populations de poissons de plus grande taille. Cette absence de protection s’accompagnera aussi d’une plus grande facilité à détruire les habitats du poisson ne constituant pas des habitats d’espèces commerciales, comme les petits cours d’eau, les étangs, les marais, etc. Rappelons qu’au Québec, la Loi sur la Conservation et la Mise en valeur de la Faune administrée par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) ne protège que les cours d’eau du domaine hydrique de l’État, c’est à dire la plupart des rivières et des lacs. Par contre, beaucoup de ruisseaux situés en terres privées échappent complètement à cette loi. Actuellement, seule la Loi sur les pêches protège ces petits plans d’eau. En limitant la protection des poissons aux espèces commerciales, ces petits habitats seront sans protection.

Au Québec, les milieux hydriques ne sont protégés que de manière partielle par les municipalités, les municipalités régionales de comté (MRC), via les schémas d’aménagement révisés, et par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. En effet, l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec prévoit qu’un promoteur déposant une demande de certificat d’autorisation puisse, sous certaines conditions, procéder à la destruction d’habitats humides. Avec l’adoption récente de la Loi 71, le MDDEP pourra exiger des compensations pour la perte de milieux humides détruits. Depuis 2006, cette compensation d’habitats se fait presque uniquement par la conservation de milieux terrestres. Il y a donc une perte nette de milieux humides et de cours d’eau, et donc d’habitats du poisson. Jusqu’à maintenant, Pêches et Océans Canada via l’article 35 de la Loi sur les pêches, était le seul ministère capable de protéger ce type d’habitat. Le projet de loi C-38, en restreignant le champ d’application de la Loi sur les pêches, risque d’entraîner la destruction de certains de ces habitats et ce, sans compensation de superficies équivalentes. Ainsi, l’adoption de cette loi omnibus risque fort bien de porter atteinte à la biodiversité tout comme à la productivité des populations de poissons d’intérêt commercial, affectant du même coup l’économie canadienne.

Les évaluations environnementales. L’ABQ s’inquiète également des effets de la refonte de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCÉE). Nous sommes d’accord avec le principe qui permet d’éviter les dédoublements dans les processus d’évaluations environnementales, lorsque la province assujettit déjà le projet à ses propres lois en matière d’analyse des répercussions environnementales. Par contre, la notion de projets désignés, laquelle n’est pas précisée dans le projet de loi C-38, laisse libre cours à toutes sortes d’interprétations et permettra au ministre de l’Environnement de soustraire un projet du processus d’évaluation environnementale s’il le juge ainsi. Sans l’élaboration d’un cadre précis, ces exclusions risquent de reposer sur des considérations subjectives ou de nature politique. Il en va de même avec le fait que le gouvernement puisse outrepasser les décisions de l'Office Nationale de l’Énergie et autoriser un projet qui génère des impacts importants sur l’environnement. Sans cadre précis, cette modification de la Loi apparaît purement politique.

Le fait de raccourcir l’échéancier général de l’évaluation environnementale d’un projet aura des répercussions négatives sur le travail des biologistes qui contribuent à l’analyse complète et rigoureuse des dossiers. La participation du public et des autochtones sera également compromise par les changements proposés. Pourtant, leur participation permet le plus souvent d’accroître les retombées économiques et sociales des projets pour leur communauté.

La notion d’effets environnementaux ne couvrira que l'impact des projets sur les poissons, sur certaines espèces aquatiques et sur les oiseaux migrateurs. Cette décision entraînera un manquement important en ce qui concerne l’évaluation des impacts cumulatifs des projets en regard des autres effets environnementaux. Rappelons que la LCÉE est la seule loi qui oblige une évaluation des impacts cumulatifs. Actuellement au Québec, ce type d’évaluation n’est pas demandé dans les études d’impacts encadrées par le processus provincial. En tant que professionnels en environnement, nous croyons que le fait de ne plus évaluer les impacts cumulatifs sur certaines composantes biologiques et physiques pourrait entraîner des effets préjudiciables à moyen et long termes, tant pour la population canadienne que pour les écosystèmes. Il est important de préciser que presque tous les impacts subis par la population canadienne résultent d’impacts cumulatifs (changements climatiques, pertes d’habitats et de biodiversité, baisse de la qualité de l’air, etc.).

En conclusion, le Gouvernement du Canada doit revenir sur sa décision de modifier ces lois environnementales, car il ne semble pas y avoir eu de réflexion en profondeur sur les enjeux et les conséquences de ces changements. L’Association des biologistes du Québec appuie donc le large consensus qui demande actuellement au Gouvernement du Canada de ne pas assouplir les lois qui protègent la biodiversité du pays et la santé des citoyens.

 

Source: Association des biologistes du Québec

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